dimanche 25 août 2024

Oeuvres de Roland de Lassus et d'Arvo Pärt - Cappella Amsterdam - Rencontres musicales de Vézelay - 23/08/2024

Daniel Reuss

Parmi la multitude de festivals organisés tout l’été, les Rencontres musicales de Vézelay restent l’un des plus attachants, en faisant vivre la ville de pèlerinage et ses environs d’une activité intense pendant quatre jours, autour d’un public venu en nombre. Chacun peut y trouver son compte, de l’ambiance plus décontractée et familiale des concerts gratuits derrière la Basilique aux programmes ambitieux donnés dans plusieurs églises des environs, dont Vézelay (et tous précédés d’une présentation gratuite par un musicologue).

Après le faste des Vêpres de Monteverdi données la veille par un Leonardo García Alarcón imaginatif et haut en couleur, le contraste n’en est que plus saisissant avec le programme plus austère du lendemain : on est loin de la foi joyeuse et solaire de Monteverdi, tant cette soirée dédiée à la pénitence, de Roland de Lassus (1532‑1594) à Arvo Pärt (né en 1935) nous plonge dans un monde d’épure et de légèreté diaphane, tout en sensibilité. La musique de Lassus fascine par sa répétition hypnotique des mêmes motifs entrecroisés par les solistes, sans parvenir, toutefois, à éviter une sensation de sur place par endroits. L’atmosphère de renoncement est également présente chez Pärt, en une même veine sombre et éloignée de ses partitions plus extraverties. La délicatesse soyeuse des lignes séduit peu à peu, et ce d’autant plus qu’elle parvient à faire oublier un texte au moralisme sévère et bien peu subtil.

La première partie du concert se conclut dans le bourdonnement à l’unisson des graves, d’une précision inouïe à l’image du reste des pupitres. Cette application millimétrée à faire corps, comme un seul être, impressionne tout du long par son sérieux et son attention aux équilibres. Il ne faut pas attendre ici de grains de folie dans cette interprétation d’une perfection formelle fascinante mais sans surprises. En fin de soirée, les vingt‑quatre chanteurs se concertent avec le chef Daniel Reuss pour offrir un bis au public : un parfum d’improvisation surprenant pour satisfaire une dernière fois le chaleureux public de Vézelay, manifestement prêt à pénétrer plus avant les mystères de la pénitence.

samedi 24 août 2024

Oeuvres de Marc’Antonio Ziani et d'Antonio Vivaldi - L’Escadron Volant de la Reine - Rencontres musicales de Vézelay - 23/08/2024

On retrouve l’un des ensembles baroques les plus prometteurs du moment avec les forces de L’Escadron Volant de la Reine, qui ont été réunies dès 2012 autour du violoncelliste Antoine Touche. La formation a toutefois pour originalité de ne pas disposer de chef, à l’instar du Concerto Köln, par exemple. Cette spécificité ne l’empêche pas d’oser partir à l’assaut de répertoires quasiment inconnus, comme c’est le cas pour le présent concert avec la musique de Marc’Antonio Ziani (1653‑1715), vice‑maître (1700‑1712), puis maître (1712‑1715) de chapelle de la Cour impériale d’Autriche.

Avec le Tombeau du jardin et Lectiones pro defunctis, on tient là deux exemples caractéristiques du genre « sepulcro », en vogue dans le Tyrol et à Vienne à l’époque de Ziani. Il s’agit d’un équivalent des leçons de ténèbres, jouées lors des célébrations pascales, notamment lors du Vendredi saint. Si les lignes mélodiques orchestrales sont parfois sinueuses et lancinantes, aux graves marqués, les contrastes surprennent surtout au niveau vocal : chaque chanteur fait ainsi l’étalage d’une virtuosité stimulante, particulièrement lors des interventions sur la chaire, sans jamais se départir d’une homogénéité de style très appréciable dans ce répertoire.

Le Credo (1717) et le Concerto madrigalesque font ensuite entendre un Vivaldi sérieux et austère par rapport à d’autres pièces plus connues, tout en faisant valoir sa science du contrepoint héritée de Monteverdi et en introduisant une modernité audible dans l’accompagnement nerveux aux cordes.

vendredi 23 août 2024

« Les Vêpres de la Vierge » de Claudio Monteverdi - Leonardo García Alarcón - Rencontres musicales de Vézelay - 22/08/2024

Parmi les chefs‑d’œuvre de Monteverdi, les Vêpres de la Vierge (1610) restent aujourd’hui éclipsées au concert par la place prépondérante des œuvres dramatiques de celui qu’on considère comme l’un des pères fondateurs de l’opéra, d’Orfeo (1609) au Couronnement de Poppée (1643). Pour autant, tout auditeur des Vêpres ne peut qu’être émerveillé par l’ampleur des moyens déployés, entre richesse des coloris (des cornets à bouquins aux sacqueboutes) et entrecroisement stimulant des formes (solo, duo, chœurs, etc). Les sources manquent pour comprendre comment ce corpus volontiers hétéroclite a été formé, en donnant parfois l’impression d’une compilation de pièces plus ou moins anciennes, probablement rassemblées pour démontrer un savoir‑faire accompli, lorgnant en maints endroits vers la pyrotechnie vocale de l’opéra naissant.

On sait pouvoir compter sur un spécialiste aussi reconnu que Leonardo García Alarcón pour explorer les moindres recoins de cette partition, en un mélange de ferveur et de vitalité enthousiasmantes, le tout basé sur une foi chrétienne sincère et sans ostentation : la mise en valeur des moindres inflexions musicales se fait toujours au service du sens, tandis que plusieurs écrans répartis de chaque côté aident le public à suivre le récit sans jamais avoir à déchiffrer la notice dans la pénombre. Le début des Vêpres peut surprendre par ses tempi enlevés, sa rythmique architecturée et sa propension à faire ressortir les basses : le geste tout en contrastes du chef argentin trouve ainsi une énergie aux résonances humaines, loin de toute pesanteur, tout en profitant d’effets de spatialisation bienvenus (notamment la répartition initiale des chœurs dans les travées). Cette idée sera plusieurs fois mise en œuvre tout au long de la soirée, sans jamais paraître excessive : quoi de plus logique que d’illustrer ainsi la joute des deux séraphins ou des chants successifs en écho ?

Leonardo García Alarcón
Si le Chœur de chambre de Namur se montre une nouvelle fois exemplaire, à l’instar des forces orchestrales de la Cappella Mediterranea, on reste quelque peu sur sa faim au niveau de la prestation des solistes masculins, un peu en retrait. Ainsi de Leandro Marziotte, qui semble forcer sa voix, sans parvenir à masquer des difficultés d’intonation dans les aigus, tandis que Valerio Contaldo semble plus effacé, en un chant solide mais sans prise de risques. On est beaucoup plus convaincu par les solaires Miriam Allan (remplaçant Mariana Flores) et Gwendoline Blondeel, qui se situent à un autre niveau interprétatif, grâce à la vigueur de leur engagement.

Avant de reprendre en bis le mouvement final (« Sicut erat in principio ») du Magnificat, Leonardo García Alarcón s’adresse malicieusement au public pour s’étonner d’avoir attendu vingt‑sept ans, depuis son arrivée en Europe, pour être invité à se produire dans le cadre magnifique de la basilique de Vézelay. On espère qu’il y reviendra très vite, pour continuer à faire vivre les trésors du répertoire baroque de toute son inspiration haute en couleurs.