vendredi 18 mai 2018

« L’Heure espagnole » de Ravel et « Gianni Schicchi » de Puccini - Opéra Bastille à Paris - 17/05/2018

L'Heure espagnole
Réunir deux opéras en un acte est toujours une gageure passionnante : avec Ravel et ses deux courts ouvrages lyriques, L’Heure espagnole (1911) et L’Enfant et les sortilèges (1925), le choix naturel est bien entendu de les faire entendre lors d’une même soirée, ou encore de confronter le premier avec La Voix humaine de Poulenc (voir notamment à Tours en 2015). En ce dernier cas, ce sont deux portraits du désir féminin qui sont mis en miroir, à la manière du diptyque monté récemment à Garnier autour du Château de Barbe-Bleue et de …La Voix humaine. Un autre grand classique consiste à rassembler les deux comédies grinçantes que sont L’Heure espagnole et Gianni Schicchi – l’ouvrage conclusif du fameux Triptyque de Puccini, souvent donné à part : on privilégie alors l’ironie grinçante de ces deux critiques de l’individualisme triomphant.
   
Le metteur en scène français Laurent Pelly ne s’y est pas trompé lors de la création de cette production au Palais Garnier en 2003 (reprise aujourd’hui dans le vaste vaisseau de Bastille), en imaginant une scénographie incroyable de pertinence et de minutie dans le joyeux désordre révélé. Les deux ouvrages bénéficient en effet d’une même perspective écrasée qui symbolise l’étroitesse bourgeoise dans laquelle les protagonistes évoluent : à la course effrénée du désir de la nymphomane chez Ravel répond celui, plus prosaïque encore, de l’argent par les héritiers rapaces croqués par Puccini. Pour autant, Pelly ne se contente pas de cette scénographie virtuose et reste attentif – une constante chez lui – à la direction d’acteur, toujours au plus près des moindres inflexions musicales. On notera ainsi sa propension à renforcer l’aspect ridicule du bellâtre narcissique de L’Heure espagnole, ou encore à se moquer des amoureux de Puccini, dont les interludes mélodramatiques apparaissent surlignés par les outrances de leur gestuelle.

L'Heure espagnole

Mais c’est peut-être plus encore l’orchestre qui tient un rôle prépondérant dans ces deux ouvrages bondissants, à l’humour piquant. Maxime Pascal (né en 1985), après son incursion dans ces mêmes lieux en début d’année dans Boléro, poursuit son exploration de l’œuvre de Ravel avec l’Orchestre national de l’Opéra de Paris. Pour autant, à trop vouloir privilégier l’expression subtile des timbres autour d’un geste legato qui allège les textures, on reste sur sa faim au niveau dramatique, tant le tempo apparaît en maints endroits retenu. Avec ce geste félin mais trop intellectuel et extérieur, le jeune chef français semble oublier toute la part d’ironie et d’humour nécessaire ici. Gageons que les prochaines représentations sauront lui donner l’envie d’explorer plus avant ces autres facettes et gagner en spontanéité.

Cette réserve est d’autant plus regrettable que le plateau vocal réuni pour les deux ouvrages se montre d’un haut niveau. Clémentine Margaine, Carmen (en mars 2017) mémorable pour les uns et plus inégale pour d’autres, trouve ici un rôle à sa pleine mesure, en faisant l’étalage de superbes couleurs dans les graves, autour d’un beau tempérament. A ses côtés, Stanislas de Barbeyrac (Gonzalve) s’impose également avec ses phrasés éloquents, sa voix charnue, sa projection avantageuse. Les autres rôles s’en sortent bien, même si on aurait aimé des timbres plus différenciés, des tempéraments plus extravertis encore, à même de donner davantage de saveur à ces rôles en parlé-chanté.

Gianni Schicchi

C’est précisément en ce domaine que s’impose la distribution de Gianni Schicchi, autour des rôles comiques parfaitement incarnés par les impayables Zita de Rebecca De Pont Davies et Simone de Maurizio Muraro, notamment. A leurs côtés, Artur Rucinski s’en donne à cœur joie dans le rôle-titre, mais ce sont bien entendu le couple d’amoureux, particulièrement privilégiés par la partition, qui recueillent une ovation méritée en fin de représentation. Vittorio Grigolo compense quant à lui aisément son chant un rien premier degré par une aisance vocale toujours aussi insolente, à l’impact physique irrésistible d’éclat. Elsa Dreisig n’est pas en reste au niveau de la facilité, rayonnante dans l’aigu, tout en se montrant heureusement plus intéressée par les nuances dans les phrasés. Indiscutablement une chanteuse à suivre. On mentionnera encore les superlatives Emmanuelle de Negri (Nella) et Isabelle Druet (La ciesa) que l’on souhaiterait entendre dans des rôles plus développés encore.

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