samedi 4 mai 2024

« Le Triptyque » de Giacomo Puccini - Barry Kosky - Opéra d'Amsterdam - 03/05/2024

Après Tosca et Turandot donnés successivement en 2022 et 2023, l’Opéra d’Amsterdam poursuit sa collaboration avec l’inventif et imprévisible Barrie Kosky : le metteur en scène australien propose d’emblée une scénographie épurée afin d’imposer la concentration sur les interprètes, autour d’une direction d’acteur haute en couleur. De quoi permettre aux trois ouvrages en un acte, qui constituent Le Triptyque (1918) de Giacomo Puccini, de s’épanouir dans une vitalité bienvenue, à même de minorer le statisme des deux premiers ouvrages (Il tabarro et Suor Angelica), plus faibles de ce point de vue.

 Le travail sur les éclairages est admirable de bout en bout, tant Kosky s’amuse à jouer avec les ombres de ses personnages, qui envahissent les deux immenses panneaux de bois, en fond de scène. Après les scènes ostensiblement populaires du début entre Giorgetta et Frugola, les ambiances vénéneuses d’Il tabarro accentuent les chatoiements furtifs de ces ombres, de plus en plus élaborés, comme pour figurer les faux-semblants entre les trois personnages. Un coup de théâtre final vient rétablir le double meurtre imaginé par la pièce dont est issu l’opéra, assombrissant plus encore ce bijou noir de Puccini. Si Kosky refuse ensuite le happy end pour l’ouvrage suivant, c’est surtout la modification de la scène du docteur de Gianni Schicchi, réduit à un vieux gâteux incapable d’articuler, qui apparaît la plus contestable.

La clarté envahit ensuite la scène pour dévoiler un escalier monumental, où dévalent joyeusement les nonnes de Suor Angelica, tandis que trône tout en bas une étagère mobile, remplie de fleurs. Ce signe annonciateur du choix final funeste de l’héroïne ne peut manquer de troubler ceux qui connaissent déjà l’issue tragique de l’empoisonnement. La volonté d’épure est plus encore perceptible pour Gianni Schicchi, où la valse endiablée des interprètes envahit tout le plateau, en un début particulièrement hilarant pour figurer la mort et les tentatives de réanimation du vieillard Buoso Donati.

Si le travail de Kosky est globalement moins impressionnant que celui de l’année précédente, avec une Turandot d’une noirceur peu commune, le spectacle s’avère également en deçà des attentes en raison de la direction un rien trop doucereuse de Lorenzo Viotti : le chef suisse peine ainsi à exalter les contrastes rythmiques d’Il tabarro (une des partitions les plus modernes de Puccini), sans parler des lignes plus claires de Suor Angelica, trop évanescentes ici, ou des traits humoristiques un rien timides de Gianni Schicchi (où Viotti réussit, en revanche, les parties éperdues de lyrisme entre les tourtereaux). On se délecte heureusement de l’élégance des phrasés, du geste fluide et des textures allégées, le tout servi par un orchestre de grande classe, mais il semble que ces partis pris interprétatifs fonctionnent mieux dans les ouvrages plus fournis et dramatiques, comme Tosca ou Turandot.

La grande satisfaction de la soirée revient au plateau vocal de haute volée réuni pour l’occasion : malgré quelques imperfections de détail (légers décalages avec la fosse par endroits), Leah Hawkins impose une Giorgetta au fort tempérament, dotée d’une voix chaude et velouté, très bien projetée. A ses côtés, Raehann Bryce-Davis (Frugola) et ses graves délicieusement mordants donnent une présence scénique savoureuse, autant dans les réparties comiques que les raideurs aristocratiques de son rôle de la Princesse (Soeur Angelica). On aime aussi la précision et l’articulation des phrasés d’Elena Stikhina, malgré quelques rugosités de timbre. Daniel Luis de Vicente se montre plus inégal en proposant un Schicchi trop scolaire, là où les aspects plus noirs du meurtrier, en début de soirée, convenaient davantage à ses graves ténébreux. Impeccable de bout en bout, Joshua Guerrero apporte quant à lui un rayonnement solaire à son double rôle, mettant à profit son timbre chaleureux et ses envolées ardentes.

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