En cette année de célébration du centenaire de la mort de Puccini,
l’Opéra de Nice et son directeur Bertrand Rossi ne pouvaient sans doute
pas rendre un plus bel hommage au compositeur en montant son deuxième
opéra, Edgar, dans sa version originale de 1889 en quatre actes.
Le compositeur conserva en effet tout au long de sa vie un sentiment
d’ambivalence pour cet ouvrage, entre dégoût pour son livret bancal et
souvenir ébloui des audaces musicales proches du dernier Wagner. Edgar
peut être considéré comme le premier opéra du compositeur, tant par son
ambition et son ampleur (plus de trois heures de musique), là où
l’ouvrage précédent, Le Villi (1884), ressemble davantage à une cantate dramatique, d’une durée d’une heure environ.
Le semi-échec rencontré à la création (trois représentations) explique
pourquoi Puccini remit plusieurs fois l’ouvrage sur le métier, et ce
jusqu’en 1905. Découvrir la version originale de 1889 reste donc
indispensable pour comprendre l’évolution artistique ultérieure du
compositeur : on est ainsi d’emblée surpris par la présence considérable
du chœur, sans parler de l’orchestre, d’une imagination débordante et
envoûtante tout du long. Les deux premiers actes donnent ainsi plusieurs
fois à entendre avant l’heure le Puccini sanguin et spectaculaire de La Fille du Far‑West (1910) ou de l’ultime opus inachevé, Turandot
(1924). Parmi ses plus belles idées, Puccini oppose au I d’étonnants
effluves orientalistes pour le personnage vénéneux de Tigrana, en
contraste avec les mélodies d’église (reprises de sa Messa di Gloria) entonnées rageusement par la foule pour exclure la séductrice.
Si les deux derniers actes, plus inégaux et moins originaux, ont été
réunis en un seul après 1889, les découvrir en l’état permet de mieux
comprendre l’opposition entre les deux femmes aimées d’Edgar, Tigrana et
Fidelia. Le livret reste toutefois, dans les différentes versions,
l’écueil principal de l’ouvrage, même si on ne peut qu’être touché par
les résonnances avec la biographie de Puccini, alors exclu par sa
famille, suite à sa liaison adultérine et scandaleuse avec Elvira
Gemignani.
Le plateau vocal réuni se montre réjouissant de bout en bout, à quelques infimes détails près. Ainsi de Stefano La Colla (Edgar), qui assume son rôle avec vaillance, faisant valoir son beau timbre et son expressivité. Seuls quelques changements de registre dans l’aigu en puissance font entendre quelques détimbrages disgracieux, surtout au I. A ses côtés, Ekaterina Bakanova (Fidelia) impressionne par son velouté et sa puissance, malheureusement insuffisamment maîtrisée dans le suraigu. On aime aussi la Tigrana de Valentina Boi, qui ne force jamais les traits de l’outrance pour préférer un personnage pétri d’humanité : les piani raffinés de la chanteuse italienne sont un régal, de même que sa tenue de ligne, très solide sur toute la tessiture. Que dire, aussi, du superlatif Dalibor Jenis, déjà entendu dans le même rôle de Franck en 2002 à Radio France, dont l’élégance des phrasés montrent une attention soutenue au sens. Sa complainte mélancolique au I tient justement à distance tout pathos excessif, à l’instar d’un Chœur de l’Opéra de Nice toujours très juste dans ses interventions.
Après cette réussite, le public niçois ne manquera pas de découvrir à la mi‑mars 2025 l’autre grand événement de la saison avec la production de la rare Juliette ou La Clé des songes de Martinů. On a hâte de retrouver le chef‑d’œuvre lyrique du plus grand compositeur tchèque du XXe siècle (avec Janácek), dont l’histoire kafkaïenne est rehaussée par une orchestration éruptive et haute en couleur, à l’imagination débordante d’inventivité.
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