Pour sa rentrée tant attendue, l’Auditorium fait salle comble pour fêter l’un des plus parfaits chefs-d’œuvre de Verdi, Macbeth, donné dans sa version de 1865, en italien et sans ballet. Dès le lever de rideau, l’atmosphère électrique se meut en concentration, tant le huis clos énigmatique imaginé par Nicola Raab impressionne par ses partis pris visuels radicaux. Deux modules contigus en noir et blanc figurent un appartement étroit, où l’action prend place: le chœur féminin grimé en étranges sorcières, mi-femmes, mi-enfants, occupe la salle à manger, tandis que Lady Macbeth ronge son frein dans la chambre à coucher. Tout du long, la direction d’acteur millimétrée apporte une admirable fluidité entre les scènes. Chaque choriste semble doué d’une action propre, ce qui donne une grande crédibilité au drame, renforcé par les pertinents et nombreux changements de costumes pour le chœur.
Comme à son habitude (voir notamment ses deux spectacles présentés à Strasbourg, Francesca da Rimini en 2017 et Rusalka en 2019), Nicola Raab opte pour une stylisation géométrique classieuse, fondée sur des éclairages crus et froids, tout autant qu’une utilisation fine de la vidéo (ombres chinoises en arrière-scène ou figuration de la forêt). On notera aussi quelques références savoureuses, notamment lors de l’évocation des fantasmes féminins de Macbeth, où l’on peut reconnaître plusieurs tableaux de Paul Delvaux. Enfin, Raab enrichit l’action en insistant sur la stérilité du couple régicide: c’est l’enfant de Duncan qui hante Macbeth, tandis que la femme de Macduff est ostensiblement enceinte.
Face à cette mise en scène d’une grande richesse, l’autre satisfaction
de la soirée vient de la fosse, où le méconnu Sebastiano Rolli impose
une tension de tous les instants, au moyen d’une stimulante exacerbation
des contrastes: le geste rageur des parties rythmiques fait rapidement
place à une attention fine aux nuances et à la respiration, dans les
parties plus apaisées. On pourra juste regretter que le chef couvre
quelque peu le plateau en certains endroits. Alexandra Zabala (Lady
Macbeth) est l’autre heureuse découverte de la soirée, tant la soprano
italo-colombienne illumine chacune de ses interventions de son timbre
corsé: à la manière des plus grandes interprètes du rôle, elle sculpte
les mots et donne des accents d’une superbe noirceur, en comédienne-née.
Vocalement, on pourrait souhaiter interprète plus puissante ou aigu
plus rayonnant: quoi qu’il en soit, les qualités dramatiques évoquées
plus haut rapprochent sa composition des souhaits de Verdi, qui rêvait
pour le rôle d’une «voix âpre, étouffée, sombre» (ce que rappelle l’excellente notice de présentation de Raphaëlle Blin).
De son côté, Stephen Gaertner compose un solide Macbeth, même si le
vibrato envahissant dans l’aigu donne une voix peu naturelle. Il a
toutefois la longueur de souffle et la présence suffisante pour faire
vivre le rôle sur la durée, recueillant des applaudissements nourris en
fin de représentation. On est plus circonspect en revanche sur le peu
d’impact vocal du Macduff de Carlo Allemano, lui qui nous avait jadis
tant séduit ailleurs (voir notamment son interprétation du rôle-titre de
La Clémence de Titus à Innsbruck en 2013, édité chez CPO).
Tous les seconds rôles apportent beaucoup de satisfaction, aux premiers
rangs desquels Elodie Hache (la Suivante) et Yoann Le Lan (Malcolm),
tous deux prometteurs dans leurs courts rôles. Enfin, le Chœur de
l’Opéra de Dijon s’impose par son engagement dramatique très percutant, à
même d’affronter crânement les nombreuses difficultés de la partition,
notamment les superbes finales des deux premiers actes.
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