dimanche 10 décembre 2017

« Francesca da Rimini » de Riccardo Zandonai - Nicola Raab - Opéra de Strasbourg - 08/12/2017

Saioa Hernández
Le mythe de Francesca da Rimini, tiré de La Divine comédie de Dante, a été une source d’inspiration évidente pour de nombreux compositeurs dès le début du XIXème siècle, de Mercadante à Ambroise Thomas, en passant par Rachmaninov. Mais si l’on excepte le poème symphonique composé en 1876 par Tchaïkovski, c’est bien l’opéra de Ricardo Zandonai (1883-1944) qui conserve aujourd’hui une audience méritée. Le lyrisme généreux de Zandonai irrigue cet ouvrage composé en 1914, au moyen d’une musique d’une grande puissance d’évocation, portée par des talents d’orchestrateur proches de Richard Strauss et Franz Schreker. Le chef italien Giuliano Carella ne s’y est pas trompé, portant l’orchestre de son geste rageur et flamboyant durant toute la représentation strasbourgeoise. Si certaines caricatures ont pu taxer cette musique de « super vérisme », on préfère y voir l’œuvre d’un génie de l’orchestre qui compose là une gigantesque fresque orchestrale pour voix solistes et choeurs, dont ressort superbement le rôle tragique de l’héroïne.

Inspiré de l’œuvre éponyme de Gabriel D’Annunzio, le livret de Tito Riccordi se montre d’une concision et d’une efficacité remarquables, autour de l’histoire tragique de Francesca, rapidement amoureuse de son beau-frère Paolo au détriment de son mari Giovanni, laid et boiteux. Les deux amants, cernés, finiront assassinés par le mari vengeur. La qualité du livret doit beaucoup à l’inspiration néo-médiévale de D’Annunzio dont l’écriture délicate proche des symbolistes belges brosse un portrait saisissant de vérité. Fort heureusement, la mise en scène de l’Allemande Nicola Raab (dont le travail a été récemment découvert à Nancy, dans la rare Semiramide de Rossini) s’éloigne d’une représentation littérale du Moyen-âge pour mieux se concentrer sur la figure tragique du rôle-titre. On est bien loin de la production rétrograde et poussiéreuse de Giancarlo del Monaco, montée à Zurich en 2007, puis Paris en 2011 – et ce alors qu’une exposition actuelle de grande qualité, « Fascination et réinterprétation du Moyen Âge en Alsace, 1880-1930 », à voir jusqu’au 28 janvier prochain à la Bibliothèque universitaire de Strasbourg, démontre combien les visions fantasmées du Moyen Âge peuvent s’enorgueillir d’une grande diversité, sans tomber nécessairement dans le kitsch facile de del Monaco.



Nicola Raab s’appuie sur une scénographie d’une grande sobriété, en jouant sur les volumes qui étouffent l’héroïne, prise en étau parmi le peu de choix qui s’offrent à elle. Privée de couleurs, la superbe scénographie évolue entre gris, noir et blanc, faisant ressortir, avec les éclairages splendides, différents effets de scintillements à la manière de Pierre Soulages. Raab se montre particulièrement inspirée en première partie en faisant revivre à Francesca les événements qui l’ont conduite à accepter la séduction de son beau-frère – un double interprétant son rôle en arrière-scène. Outre l’aspect tragique que sa position au premier plan confère à l’ensemble, on notera aussi d’intéressants ajouts fantastiques, l’héroïne n’hésitant pas à soutenir son double du regard ou, plus encore, à lui tendre une rose qu’elle peine à attraper. Ce travail qui s’appuie autant sur l’analyse psychologique que l’effet plastique, s’essouffle quelque peu après l’entracte, Raab peinant à renouveler les idées détaillées plus haut. Quoiqu’il en soit, l’Allemande sait imposer un univers visuel singulier, dont on notera encore l’excellence des costumes d’Ashley Martin-Davis (également créateur des décors) proches de ceux développés dans la fameuse série télévisée Le Trône de fer.

Outre cette mise en scène globalement satisfaisante, l’Opéra du Rhin a su réunir une superbe distribution dominée par l’incandescente Saioa Hernández dans le rôle-titre. La soprano espagnole impose la beauté cristalline de son timbre au moyen d’une émission d’une souplesse admirable, tandis que Marcelo Puente (Paolo) fait preuve d’une belle prestance malgré un très léger vibrato. Marco Vratogna (Giovanni Lo Sciancato) a un timbre plus terne, en phase avec le rôle, tandis que son mordant et sa morgue confèrent une noirceur bienvenue à ses interventions. Plus en retrait, Tom Randle (Malatestino) assure correctement sa partie, mais c’est surtout Josy Santos qui éblouit dans le rôle secondaire de Samaritana, la sœur de Francesca. Assurément une chanteuse que l’on souhaite revoir très vite, comme Saioa Hernández, tant sa fraîcheur lumineuse a séduit le public, lui valant des applaudissements nourris en fin de représentation. On notera enfin l’excellence de la distribution des servantes réunies autour de Samaritana dont les différentes interventions ont là aussi ravi l’assistance nombreuse pour cette première.


On conseillera donc vivement cette production, avant une très attendue Francesca da Rimini donnée à la Scala de Milan au printemps prochain, dans la mise en scène de David Pountney.

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