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Saioa Hernández |
Le mythe de Francesca da Rimini, tiré de La Divine comédie de Dante, a
été une source d’inspiration évidente pour de nombreux compositeurs dès
le début du XIXème siècle, de Mercadante à Ambroise Thomas, en passant
par Rachmaninov. Mais si l’on excepte le poème symphonique composé en
1876 par Tchaïkovski, c’est bien l’opéra de Ricardo Zandonai (1883-1944)
qui conserve aujourd’hui une audience méritée. Le lyrisme généreux de
Zandonai irrigue cet ouvrage composé en 1914, au moyen d’une musique
d’une grande puissance d’évocation, portée par des talents
d’orchestrateur proches de Richard Strauss et Franz Schreker. Le chef
italien Giuliano Carella ne s’y est pas trompé, portant
l’orchestre de son geste rageur et flamboyant durant toute la
représentation strasbourgeoise. Si certaines caricatures ont pu taxer
cette musique de « super vérisme », on préfère y voir l’œuvre d’un génie
de l’orchestre qui compose là une gigantesque fresque orchestrale pour
voix solistes et choeurs, dont ressort superbement le rôle tragique de
l’héroïne.
Inspiré de l’œuvre éponyme de Gabriel D’Annunzio,
le livret de Tito Riccordi se montre d’une concision et d’une
efficacité remarquables, autour de l’histoire tragique de Francesca,
rapidement amoureuse de son beau-frère Paolo au détriment de son mari
Giovanni, laid et boiteux. Les deux amants, cernés, finiront assassinés
par le mari vengeur. La qualité du livret doit beaucoup à l’inspiration néo-médiévale de D’Annunzio dont
l’écriture délicate proche des symbolistes belges brosse un portrait
saisissant de vérité. Fort heureusement, la mise en scène de l’Allemande
Nicola Raab (dont le travail a été récemment découvert à Nancy, dans la
rare Semiramide de Rossini)
s’éloigne d’une représentation littérale du Moyen-âge pour mieux se
concentrer sur la figure tragique du rôle-titre. On est bien loin de la
production rétrograde et poussiéreuse de Giancarlo del Monaco, montée à
Zurich en 2007, puis Paris en 2011 – et ce alors qu’une exposition
actuelle de grande qualité, « Fascination et réinterprétation du Moyen
Âge en Alsace, 1880-1930 », à voir jusqu’au 28 janvier prochain à la
Bibliothèque universitaire de Strasbourg, démontre combien les visions
fantasmées du Moyen Âge peuvent s’enorgueillir d’une grande diversité,
sans tomber nécessairement dans le kitsch facile de del Monaco.
Nicola Raab s’appuie
sur une scénographie d’une grande sobriété, en jouant sur les volumes
qui étouffent l’héroïne, prise en étau parmi le peu de choix qui
s’offrent à elle. Privée de couleurs, la superbe scénographie évolue
entre gris, noir et blanc, faisant ressortir, avec les éclairages
splendides, différents effets de scintillements à la manière de Pierre
Soulages. Raab se montre particulièrement inspirée en première partie en
faisant revivre à Francesca les événements qui l’ont conduite à
accepter la séduction de son beau-frère – un double interprétant son
rôle en arrière-scène. Outre l’aspect tragique que sa position au
premier plan confère à l’ensemble, on notera aussi d’intéressants ajouts
fantastiques, l’héroïne n’hésitant pas à soutenir son double du regard
ou, plus encore, à lui tendre une rose qu’elle peine à attraper. Ce
travail qui s’appuie autant sur l’analyse psychologique que l’effet
plastique, s’essouffle quelque peu après l’entracte, Raab peinant à
renouveler les idées détaillées plus haut. Quoiqu’il en soit,
l’Allemande sait imposer un univers visuel singulier, dont on notera
encore l’excellence des costumes d’Ashley Martin-Davis (également
créateur des décors) proches de ceux développés dans la fameuse série
télévisée Le Trône de fer.
Outre cette mise en scène globalement
satisfaisante, l’Opéra du Rhin a su réunir une superbe distribution
dominée par l’incandescente Saioa Hernández dans le
rôle-titre. La soprano espagnole impose la beauté cristalline de son
timbre au moyen d’une émission d’une souplesse admirable, tandis que Marcelo Puente (Paolo) fait preuve d’une belle prestance malgré un très léger vibrato. Marco Vratogna (Giovanni Lo Sciancato)
a un timbre plus terne, en phase avec le rôle, tandis que son mordant
et sa morgue confèrent une noirceur bienvenue à ses interventions. Plus
en retrait, Tom Randle (Malatestino) assure correctement sa partie, mais c’est surtout Josy Santos
qui éblouit dans le rôle secondaire de Samaritana, la sœur de
Francesca. Assurément une chanteuse que l’on souhaite revoir très vite,
comme Saioa Hernández, tant sa fraîcheur lumineuse a séduit le public,
lui valant des applaudissements nourris en fin de représentation. On
notera enfin l’excellence de la distribution des servantes réunies
autour de Samaritana dont les différentes interventions ont là aussi
ravi l’assistance nombreuse pour cette première.
On conseillera donc vivement cette
production, avant une très attendue Francesca da Rimini donnée à la
Scala de Milan au printemps prochain, dans la mise en scène de David
Pountney.
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