lundi 21 octobre 2019

« Rusalka » d'Antonín Dvořák - Nicola Raab - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 20/10/2019

Photo : Clara Beck
Nicola Raab frappe fort en ce début de saison en livrant une passionnante relecture de Rusalka, que l’on pensait pourtant connaître dans ses moindres recoins. Très exigeante, sa proposition scénique nécessite de bien avoir en tête le livret au préalable, tant Raab brouille les pistes à l’envi en superposant plusieurs points de vue ; de l’attendu récit initiatique de l’ondine, à l’exploration de la confusion mentale du Prince, sans oublier l’ajout des déchirements violents d’un couple contemporain en projection vidéo. L’utilisation des images projetées constitue l’un des temps forts de la soirée, donnant aussi à voir l’élément marin dans toute sa froideur ou son expression tumultueuse, en miroir des tiraillements des deux héros face à leurs destins croisés : l’éveil à la nature pour le Prince et l’acceptation de la sexualité pour Rusalka. Au II, face à une Rusalka muette aux allures d’éternelle adolescente, la Princesse étrangère représente son double positif et sûre d’elle, volontiers rugueux.

La scénographie minimaliste en noir et blanc, puissamment évocatrice, entre sol labyrinthique et portes à la perspective démesurée, force tout du long le spectateur à la concentration, tandis qu’un simple rideau en arrière-scène permet de dévoiler plusieurs saynètes en même temps, notamment quelques flash back avec Rusalka interprétée par une enfant. Cette idée rend plus fragile encore l’héroïne, dont la sorcière Jezibaba serait l’infirmière au temps de l’adolescence (une idée déjà développée par David Pountney pour l’English National Opera en 1986 – un spectacle disponible en dvd). Une autre piste suggérée consiste à imaginer Rusalka comme un fantôme qui revit les événements en boucle, ce que suggère la blessure de chasse reçue en fin de première partie.
Photo : Clara Beck
Quoi qu’il en soit, ces multiples interprétations font de ce spectacle l’un des plus riches imaginé depuis longtemps, à voir et à revoir pour en saisir les moindres allusions. Après la réussite de la production de Francesca da Rimini, donnée ici-même voilà deux ans, voilà un nouveau succès à mettre au crédit de l’Opéra du Rhin (par ailleurs récemment honoré par le magazine allemand Opernwelt en tant qu’”Opéra de l’année 2019″ ).

Le plateau vocal réuni pour l’occasion donne beaucoup de satisfaction pendant toute la représentation, malgré quelques réserves de détail. Ainsi de la Rusalka de Pumeza Matshikiza, dont la rondeur d’émission trouve quelques limites dans l’aigu, un peu plus étroit dans le haut de la tessiture. La soprano sud-africaine semble aussi fatiguer peu à peu, engorgeant ses phrasés outre mesure. Des limites techniques heureusement compensées par une interprétation fine et fragile, en phase avec son rôle. A ses côtés, Bryan Register manque de puissance dans la fureur, mais trouve des phrasés inouïs de précision et de sensibilité, à même de procurer une vive émotion lors de la scène de la découverte de Rusalka, puis en toute fin d’ouvrage.
Photo : Clara Beck
Attila Jun est plus décevant en comparaison, composant un pâle Ondin au niveau interprétatif, aux graves certes bien projetés, mais plus en difficulté dans les accélérations aiguës au II. Rien de tel pour Patricia Bardon (Jezibaba) qui donne la prestation vocale la plus étourdissante de la soirée, entre graves gorgés de couleurs et interprétation de caractère. On espère vivement revoir plus souvent cette mezzo de tout premier plan, bien trop rare en France. Outre les parfaits seconds rôles, on mentionnera la prestation inégale de Rebecca Von Lipinski (La Princesse étrangère), qui se montre impressionnante dans la puissance pour mieux décevoir ensuite dans le medium, avec des phrasés instables.

Enfin, les chœurs de l’Opéra national du Rhin se montrent à la hauteur de l’événement, tandis qu’Antony Hermus confirme une fois encore tout le bien que l’on pense de lui, en épousant d’emblée le propos torturé imaginé par Raab. Toujours attentif aux moindres inflexions du récit, le chef néerlandais alanguit les passages lents en des couleurs parfois morbides, pour mieux opposer en contraste la vigueur des verticalités. Les rares passages guillerets, tels que l’intervention moqueuse des nymphes ou les maladresses du garçon de cuisine, sont volontairement tirés vers un côté sérieux, en phase avec la mise en scène. Un très beau travail qui tire le meilleur de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.

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