Hubert Jappelle,
pionnier du Off à Avignon, est installé depuis plus de trente ans dans
le Théâtre de l’Usine qu’il a lui-même fondé dans
une friche industrielle de l’agglomération de Cergy-Pontoise. Un
lieu chaleureux et une troupe de tout premier ordre pour défendre une
pièce beaucoup plus abordable que le sujet ne le laisse
penser.
Un massacre, une extermination. Les chiffres éloquents de la conquête
du Mexique par
les Espagnols sidèrent encore aujourd’hui. De 1519 à 1650, avec
les épidémies et les travaux forcés, la population amérindienne passe en
effet de 25 millions de personnes à seulement
un million. Alors que les colons exploitent les ressources du
pays, l’évangélisation se réalise à marche forcée. Seules quelques voix
s’élèvent dans l’intervalle, lorsque le dominicain
Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda
s’opposent dans une controverse restée célèbre. Le premier défend la
cause des Indiens tandis que
le second ne voit que des hommes destinés à l’esclavage.
Alors que les deux religieux ne se sont certainement jamais
rencontrés, confrontant leurs positions de manière épistolaire,
l’écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière relate ces
débats en imaginant une entrevue arbitrée par un représentant de
la papauté. L’efficacité du procédé dramatique de l’ouvrage paru en 1992
conduit la télévision et le théâtre à l’adapter dans la
foulée sous la forme d’un huis clos passionnant. Le succès
critique est au rendez-vous.
Une œuvre rare
Hubert Jappelle choisit de monter cette œuvre malheureusement bien
rare sur les planches, avec force sobriété et réalisme,
particulièrement les décors et costumes d’époque. Sur la scène,
un damier de carreaux blancs compose un vaste échiquier, symbole
de la joute à venir. Le légat du pape trône dans son fauteuil, entouré
du Père supérieur du couvent et des
deux avocats qui lui font face derrière leur table, attendant leur
tour de parole. Le procès débute. Le légat invite les deux religieux à
débattre des questions qu’il sera amené à
trancher : les Indiens ont-ils une âme ? Sont-ils des hommes égaux
aux Espagnols ou des êtres inférieurs à traiter en esclaves ?
Le représentant du pape est interprété par le chevronné
Jean-François Maurier, impressionnant de sérénité avec son timbre grave
et posé. Choix judicieux que ce spécialiste du répertoire de
clown qui s’impose dans un rôle à contre-emploi comme avant lui
Catherine Germain, incandescente Médée
à Sartrouville. Dans
le rôle de Sepúlveda, calme et habile procureur, Rafaël Batonnet
frappe par une autorité très convaincante, particulièrement subtile
lorsqu’il est mis en défaut par le légat. Face à lui,
le Las Casas de Christophe Hardy fatigue à force d’outrance dans
la première partie, avant d’emporter l’adhésion dans son acharnement
humaniste. Les autres rôles sont parfaits,
avec une mention pour l’étonnant bouffon de Nicolas Vogel.
Ce théâtre, accessible à tous, exigeant et simple à la fois, très
respectueux de l’œuvre, donne à un public impressionnant de
concentration toutes les raisons de se réjouir. Et de revenir très
vite soutenir et applaudir une troupe qui démontre, s’il en était
besoin, toute la vitalité créative des nombreux petits théâtres
franciliens.