jeudi 27 février 2020

Oeuvres de Chostakovitch, Dvorák et Weinberg - Trio Karénine - Disque Mirare


Formé en 2009, le Trio Karénine poursuit son exploration du répertoire, comme le prouvent leurs deux premiers disques dédiés à des compositeurs aussi différents que Schumann, Tailleferre, Fauré et Ravel. C’est cette fois un coup de maître, tant les interprètes surprennent par leur capacité à varier admirablement les climats, sensibles et délicats dans les parties apaisées, plus vifs ensuite en contraste, mais toujours au service d’une éloquence narrative et très à propos. Le Premier Trio (1923-1925) de Chostakovitch trouve ici une version de référence, tant la grâce féline à l’œuvre donne un charme constant à cet ouvrage de jeunesse emporté par les élans amoureux. Pour autant, quelques sombres échos nous rappellent combien le moral de Chostakovitch était déjà atteint – à la fois par le décès de son père l’année précédente, une tuberculose diagnostiquée et la situation matérielle très dégradée de sa famille. Le piano cristallin de Paloma Kouider, véritable rayon de soleil de ce disque, fait merveille dans les passages subtils, tandis que ses compagnons saisissent à la perfection les alternances entre lyrisme, rythmique dansante et intériorité du fameux Trio «Dumky» (1891) de Dvorák.

Ce très beau programme s’achève avec le méconnu Trio (1945) de Weinberg (ami proche de Chostakovitch de 1943 jusqu’à son décès), dont on ne cesse de revisiter d’année en année l’importante production. Les deux compatriotes ne cesseront de s’influencer mutuellement, comme le prouve cet ouvrage inspiré où l’on retrouve rythmique nerveuse et tourments expressifs, sans jamais sacrifier à la mélodie. Plutôt que le Premier Trio de Chostakovitch, il aurait peut-être été plus pertinent de graver ici le Second (composé un an seulement avant celui de Weinberg), et ce afin de pouvoir comparer les deux ouvrages. Quoiqu’il en soit, le Trio Karénine séduit tout du long par la lisibilité et les couleurs, toujours mises en valeur par la prise de son – le tout en une lecture équilibrée entre pénombre et clarté. Un grand disque.

mercredi 26 février 2020

« Chic à la française » - Oeuvres de Debussy, Hersant et Ravel - Trio Atanassov - Disque Paraty


Vous avez toujours rêvé de connaître Debussy avant Debussy? Ce disque est fait pour vous! Découvert dans les années 1980 dans les archives d’un élève du maître français, le Trio en sol majeur (1880) est l’un des ouvrages composés lors de son voyage européen avec la famille de Nadejda von Meck, alors qu’il termine ses études au Conservatoire de Paris. Cette évocation délicieuse au modèle franckiste laisse entrevoir un Debussy ivre de séductions mélodiques et de lyrisme, au souffle généreux, bien éloigné du style de la maturité. Pour autant, sa manière fluide séduit d’emblée, faisant la part belle à l’humour dans le piquant et sautillant Scherzo, le plus réussi des quatre mouvements de ce trio d’une durée de 20 minutes environ. Le Trio Atanassov, dont c’est là le deuxième disque après celui consacré à Smetana et Dvorák (Haenssler Classic, 2013), en donne une version superbe d’élégance, au service de chaque nuance et couleurs.

Le disque se poursuit avec les très réussies Variations sur «La Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont» (1998) de Philippe Hersant (né en 1948), dont les Atanassov se sont fait les défenseurs depuis leurs débuts en 2008. La subtilité et le raffinement des phrasés ravissent tout du long, imposant une concentration très à propos. Le Trio (1914) de Ravel bénéficie des mêmes qualités, au service d’une exaltation aérienne et légère, sans effets de manche. De quoi justifier le titre de ce disque en forme d’hommage évocateur du «chic à la française».

mardi 25 février 2020

« Street Scene » de Kurt Weill - Opéra de Monte-Carlo - 25/02/2020


Montrée à Madrid et Cologne, respectivement en 2018 et 2019, la production de Street Scene (1947) imaginée par John Fulljames fait étape à Monte-Carlo en reprenant, à quelques exceptions près, le plateau vocal de Madrid. On se réjouit que des projets d’une telle envergure puissent permettre de découvrir dans les meilleures conditions possibles un ouvrage difficile à monter, autant par le nombre considérable d’interprètes à réunir que les exigences individuelles requises (qualités théâtrales et vocales). Composé en 1946, l’ouvrage se situe à mi-chemin entre l’opéra et la comédie musicale, Kurt Weill s’étant très vite adapté aux contingences américaines plus conservatrices, peu ouvertes au style expressionniste mâtiné d’influences jazzy et cabaret, façon Opéra de quat’sous (1928).

Après le succès de la comédie musicale Lady in the Dark (1941), Weill poursuit dans sa volonté de proposer un spectacle de qualité à Broadway, tout particulièrement quant à l’exigence littéraire de ses livrets. A la manière de ce que fera Britten plus tard avec ses opéras de chambre, Weill va plus loin encore et crée son propre style avec Street Scene, en embrassant une multitude d’influences assez jubilatoires dans leur entrelacement virtuose – jazz, blues et chansons alternent avec des emprunts (parfois sucrés) à Puccini et Korngold. On retrouve l’appétence de Weill pour un théâtre militant, où le compositeur donne la parole à la middle class encore peu représentée sur scène: la vie d’un immeuble populaire à New York dans les années 1920 permet d’observer une micro-société constituée de migrants aux origines multiples, qui façonnent l’Amérique silencieuse des travailleurs en une mosaïque chorale attachante. Weill, qui n’est pas encore inquiété pour ses sympathies marxistes, s’interroge sur la conscience de classe, le déterminisme et la liberté individuelle (en une fin d’ouvrage pessimiste qui honni le «mariage bourgeois»): si le discours a perdu aujourd’hui une grande partie de sa charge subversive, il ne reste pas moins surprenant de l’entendre dans les ors, toujours aussi splendides, de l’Opéra de Monte-Carlo!


Quoi qu’il en soit, l’œuvre sait jouer sur d’autres tableaux, mêlant l’humour et l’ironie avec finesse en plusieurs occasions, de l’ode au «c’était mieux avant» de Maurrant, aux critiques des commères jamais lassées de leur ouvrage ou des mères peu enclines à leur mission reproductrice. Le spectacle imaginé par John Fulljames reste plaisant tout du long en s’appuyant sur une scénographie unique pendant toute la représentation, en forme de huis clos. En montrant chaque appartement de l’immeuble superposé en étage, la promiscuité est ainsi admirablement suggérée, de même que l’atmosphère du New York populaire avec l’adjonction de bruitages de rue pendant les dialogues. L’utilisation des matériaux industriels, comme la variété des éclairages qui revisitent le décor, achèvent de convaincre de ce très beau travail, toujours soutenu par une vibrante direction d’acteur. De même, l’idée de faire commettre le double meurtre loin des regards, dans les hauteurs, fonctionne très bien au niveau dramatique.

Le plateau vocal réuni apporte aussi beaucoup de satisfaction, malgré quelques infimes réserves. Ainsi du solide Frank de Paulo Szot, parfois trop outré dans ses interventions théâtrales, ou de l’abattage scénique toujours aussi impressionnant de l’Anna de Patricia Racette, et ce malgré un aigu au vibrato prononcé. La petite voix de Mary Bevan donne une grâce et une fragilité bienvenues à son rôle, tandis que Joel Prieto fait valoir son beau timbre, malgré quelques faussetés audibles dans son premier air notamment. Tous les autres interprètes affichent un niveau d’ensemble de qualité, à juste titre très applaudi par le public monégasque – tout particulièrement les danseurs avant l’entracte ou le chœur d’enfants, très engagé. Enfin, Lee Reynolds donne le meilleur de l’excellent Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, par une attention soutenue à l’élan narratif, sans jamais couvrir le plateau. Un très beau spectacle qui fait honneur à la grande maison monégasque, où l’on retrouvera d’autres spectacles très attendus pour la suite de la saison, notamment Le Comte Ory avec Cecilia Bartoli, puis La Traviata avec Ermonela Jaho.

lundi 24 février 2020

« Raoul Barbe-Bleue » d'André Grétry - Disque Aparté


Bien avant les ouvrages lyriques d’Offenbach (1866), Dukas (1907) ou Bartók (1911), pour ne citer que les plus connus, la Barbe-Bleue du Liégeois André Grétry fit les délices des connaisseurs jusqu’au XIXe siècle – Wagner en gardant notamment un «souvenir merveilleux» dans le récit des jeunes années de ses mémoires. Ce n’est là que justice, tant cette «comédie» de 1789 surprend d’emblée par un ton tragique aux échos gluckistes, bien éloigné de l’image doucereuse du spécialiste de l’opéra-comique en son temps à Paris (notamment L’Amant jaloux ou Richard Cœur de Lion). Le livret permet ensuite une alternance équilibrée entre sérieux et comique, tout en enrichissant l’histoire de Perrault par quelques emprunts bienvenus à des romans médiévaux alors en vogue: Isaure se voit ainsi poussée dans les bras du riche Barbe-Bleue par ses frères ruinés, tandis que son soupirant Vergy, tout aussi désargenté, ne peut qu’accepter le renoncement de sa promise. La dernière partie de l’ouvrage mélange à nouveau les genres, entre le travestissement de Vergy pour endosser le rôle de la sœur Anne et la vengeance des familles des anciennes femmes de Barbe-Bleue. De quoi donner une action soutenue tout du long, admirablement mise en valeur par un Grétry aussi pétillant dans la variation des climats qu’inspiré au niveau mélodique, même s’il reste toujours dans le moule de la musique galante.

Ce nouveau jalon enregistré en première mondiale s’ajoute aux très beaux disques consacrés à Grétry, toujours à l’initiative du Centre de musique baroque de Versailles: Céphale et Procris et Andromaque en 2010 ont précédé La Caravane du Caire en 2014. On retrouve ici plusieurs chanteurs familiers des productions réunies à Versailles, telle Chantal Santon-Jeffery et son émotion à fleur de peau, qui donne beaucoup de présence à son personnage. Comme à son habitude, la Française néglige cependant la prononciation dans les passages rapides, mais assure l’essentiel, de même que l’impeccable François Rougier, malgré une émission parfois serrée dans l’aigu. Outre la belle articulation de Matthieu Lécroart, on retient les désopilants Enguerrand de Hys et Jérôme Boutillier, toujours aussi excellents dans l’incarnation. Autour de ce plateau vocal entièrement francophone (à une exception près), la grande satisfaction est sans aucun doute la prestation du méconnu ensemble sur instruments d’époque Orkester Nord, basé à Trondheim. C’est précisément dans le cadre du festival Barokkfest Early Music, organisé dans cette même ville norvégienne (troisième du pays après Oslo et Bergen), que ce projet a pu avoir lieu, nous faisant bénéficier des forces emmenées par Martin Wåhlberg (né en 1980). En spécialiste de la littérature française du XVIIIe qu’il a étudiée dans nos contrées, ce jeune chef n’est pas pour rien dans la réussite de ce projet, tant sa direction à la fois enlevée et narrative donne beaucoup de vitalité à l’ensemble. Une très belle découverte.

samedi 22 février 2020

« La Dame blanche » de François-Adrien Boieldieu - Opéra Comique - 20/02/2020


En partenariat avec les opéras de Limoges et Nice Côte d’Azur, l’Opéra Comique célèbre le retour de La Dame blanche de Boieldieu, l’un des plus grands succès de son histoire autour de la mise en scène délicieuse de Pauline Bureau, bien servie par l’ensemble des interprètes, au premier rang desquels une superlative Elsa Benoit dans le rôle d’Anna.


Quatrième plus grand succès de l’histoire de l’Opéra-Comique après Carmen, Manon et Mignon, le plus célèbre des ouvrages lyriques de Boieldieu fait son retour salle Favart, un peu plus de vingt ans après la dernière production confiée à Jean-Louis Pichon. La partition avait d’abord été exhumée en 1997 par Marc Minkowski dans un enregistrement ERATO qui fait encore référence aujourd’hui, autant pour sa superbe distribution que sa direction enlevée.

On retrouve cette fois dans la fosse un spécialiste du répertoire contemporain en la personne de Julien Leroy. Retenez bien son nom car c’est là la révélation d’un jeune surdoué, capable de prendre l’exact contre-pied de Minkowski pour embrasser une lecture allégée et fluide, qui sait respirer pour mieux se réveiller ensuite dans les passages enlevés.

Cet écrin de raffinement apporte beaucoup à la musique de Boieldieu, dont la fine rythmique et l’inspiration mélodique entêtantes doivent autant à Mozart que Rossini et Cimarosa – et ce malgré une orchestration souvent trop prévisible. C’est peut-être plus encore son instinct dramatique qui culmine dans les ensembles d’une apparente simplicité, à la manière d’un Grétry : la scène finale de la vente aux enchères est sans conteste le sommet de la partition, digne des plus grands maîtres précités. 

Le livret de Scribe, tiré d’ouvrages gothiques de Walter Scott alors en vogue, apparaît moins simpliste qu’il n’y parait au premier abord, ce dont se saisit Pauline Bureau en opposant habilement la gaieté du monde populaire au I et les arrogances aristocratiques plus sombres de Gaveston au II, sur fond de merveilleux avec l’apparition de la Dame Blanche. On craint pourtant d’emblée le pire en découvrant la scénographie qui fait la part belle à une illustration classique de l’action, avant d’être peu à peu convaincu par ce travail astucieux qui marie premier et second degrés avec finesse, aidée par des vidéos malicieuses et quelques effets volontiers bon enfant.

Le plateau réuni relève le pari d’une double compétence théâtrale et vocale, indispensable à la réussite du projet. Encore peu connue malgré ses succès au Bayerische Staatsoper, Elsa Benoit reçoit un triomphe mérité, tant pour sa musicalité rayonnante et ses moyens opulents que son abattage scénique énergique. A ses côtés, Philippe Talbot séduit par son timbre clair tout aussi radieux, même si les accélérations mettent à mal la diction, avec des graves plus timides. 
Elsa Benoit
On pourra faire le même reproche à Jérôme Boutillier, qui parvient toutefois à donner beaucoup de noirceur à son Gaveston, bien aidé par des nuances de phrasé toujours aussi pertinentes de finesse. Malgré un timbre un peu voilé avec les années, Yann Beuron donne toujours autant de plaisir par son aisance et son naturel, de même que la puissante Sophie Marin-Degor, à qui on reprochera seulement quelques heurts dans les passages de registre. Enfin, la toujours parfaite Aude Extrémo fait valoir la rondeur de ses graves bien déployés, de même qu’un superlatif Yoann Dubruque.

Très sollicité tout du long, le chœur de chambre Les Eléments, basé à Toulouse, assure bien sa partie, malgré quelques infimes décalages dans les passages plus ardus. Un détail à l’échelle de ce spectacle très réussi, dont les mélodies de Boieldieu résonnent encore très longtemps dans la tête après leur audition.

mercredi 19 février 2020

« Mouvement contraire » de Désiré-Emile Inghelbrecht - Edition La Coopérative


Créée en 2015 par deux passionnés de littérature, Jean-Yves Masson et Philippe Giraudon, ce dernier par ailleurs auteur, traducteur et enseignant, la maison d’édition La Coopérative a remis au goût du jour de nombreux ouvrages indisponibles depuis nombreuses années, faute de réédition – à l’instar des mémoires à rebours de Désiré-Emile Inghelbrecht (1880-1965), publiés en 1947. C’est là l’occasion de se délecter des souvenirs de l’un des chefs d’orchestre les plus célèbres de son temps, de 1933 jusqu’à son enfance heureuse, dans une famille de musiciens aux origines diverses (Angleterre, Belgique et Suisse germanophone). D’une qualité littéraire digne des Mémoires de Berlioz, la prose d’«Inghel» laisse très vite entrevoir son vif tempérament, au service d’une exigence et d’une probité artistiques revendiquées. Ses combats contre la lourdeur administrative ou l’affairisme des dirigeants des plus prestigieuses institutions musicales, lui valent de solides inimitiés, tout comme sa volonté de s’affirmer comme un pionnier du retour aux sources musicologiques, pour «faire le point des mauvaises traditions dans les partitions les plus familières». Cette même rigueur explique quelques expériences malheureuses, à l’instar de sa période à l’Opéra d’Alger, où sa volonté de renouveler le répertoire se heurte aux goûts d’un public conservateur et à des interprètes peu scrupuleux.

Pour autant, si quelques comptes légitimes sont à régler, on préfère grandement lorsque Inghel loue les innovations de son temps (avènement du cinéma et de l’enregistrement discographique notamment) et surtout son amour pour le répertoire français, notamment ses contemporains Debussy, Ravel, Schmitt ou Chabrier, dont il sera un interprète de tout premier plan (voir notamment le coffret «Orchestre national de France. 80 ans de concerts inédits», publié par Radio France et l’INA en 2013). On ne peut que féliciter l’éditeur pour l’apport d’une discographie très complète en fin d’ouvrage, où l’on retrouve quelques pièces composées par Inghel. Le musicien fut en effet d’abord violoniste pour différents orchestres (vagabondage qui lui permettra ensuite de se révéler comme un formidable bâtisseur d’orchestre, à l’instar d’Artur Rodzinski aux Etats-Unis), tout en espérant se faire connaître en tant que compositeur. Malgré la pudeur de l’écrivain, cet espoir déçu transparaît dans quelques passages, où Inghel révèle quelques anecdotes savoureuses, de la composition d’un opéra (!) en tant que nègre à l’audition faussement bienveillante de Colonne à son domicile.

Inghel n’oublie pas de brosser le portrait de nombreuses personnalités majeures de son temps, dont sa femme Carina Ari, rencontrée lors de la période féconde des Ballets suédois, ou encore les figures de Steinlein et Anatole France. On aurait aimé toutefois bénéficier d’une édition augmentée de nombreuses notes de bas de page, afin de mieux situer les personnalités citées et de rectifier, le cas échéant, les quelques libertés prises (volontairement ou non) avec la réalité historique. Malgré cette réserve, l’ouvrage se lit avec beaucoup plaisir, autant par l’apport d’une riche iconographie que par l’esprit affûté du chef qui fait mouche, sans jamais se départir d’un humour très british, y compris sur lui-même lorsqu’il moque, par exemple, son ingénuité pour les choses de l’amour.

mardi 18 février 2020

« La Femme sans ombre » de Richard Strauss - Théâtre des Champs-Elysées à Paris - 17/02/2020

Yannick Nézet-Séguin
Le tout-Paris lyrique semble s’être donné rendez-vous au Théâtre des Champs-Elysées pour l’un des concerts les plus attendus de la saison, la saisissante Femme sans ombre (1919) de Richard Strauss. Dès les premières mesures de cet ouvrage hors normes et rarissime en France, l’ensemble pléthorique des forces réunies gronde et impose la concentration : l’assistance venue en nombre semble écouter comme un seul homme le récit symbolique et initiatique de cette femme en quête d’humanité, sur fond d’éclat orchestral digne du Strauss de la Symphonie alpestre contemporaine (1915). Si le livret n’évite pas un certain statisme, expliquant le recours à une version de concert (comme à Verbier l’an passé), le souffle straussien emporte tout sur son passage, en mêlant avec virtuosité toutes les ressources orchestrales à sa disposition.

Avec une présence aussi prépondérante de l’orchestre, on comprend pourquoi les plus grands chefs du passé ont pu s’intéresser à ce chef d’oeuvre (Karajan, Böhm, Solti ou Sinopoli par exemple), avant Yannick Nézet-Séguin aujourd’hui. Le grand chef québécois livre ici une lecture très personnelle, qui en déroute manifestement plus d’un à l’entracte, au vue des commentaires entendus : l’architecture globale et la robustesse allemande sont ici lissées au profit d’un geste plus souple et aérien, un rien séquentiel – le tout en des tempi très vifs dans les verticalités. Les passages plus lents montrent davantage d’attention à la respiration, notamment la construction admirablement étagée des crescendos, même si l’on pourra être déçu par le peu de relief des alliages de timbres morbides, proches de la manière du Schreker du Son lointain (1910). Comme souvent avec Nézet-Séguin, on a là une lecture d’une grande classe, au service du moindre détail – le tout bien servi par un Orchestre philharmonique de Rotterdam entièrement acquis à sa cause, lui qui en a été le directeur musical de 2008 à 2018. On note toutefois quelques faiblesses pour cette formation, au niveau des bois (d’un bon niveau, sans approcher l’excellence du Concertgebouw d’Amsterdam) ou des premiers violons (étonnant ratage dans les frémissements pianissimi à la limite de la tonalité au III). Le chef québécois parvient toutefois à tirer le meilleur de cette phalange d’une parfaite cohésion en dehors des quelques réserves exprimées, par ailleurs bien servie par un chœur de premier ordre, très précis dans la diction.

Michael Volle
Si l’ouvrage est aussi rare dans nos contrées, c’est qu’il nécessite une distribution à même de se confronter aux forces orchestrales de plus en plus déchainées au fil de la soirée : le Théâtre des Champs-Elysées relève le défi haut la main, malgré la prestation très inégale de Michaela Schuster. La mezzo bavaroise compense ses faiblesses techniques, notamment un medium peu nourri, par des couleurs mordantes et surtout des qualités théâtrales en phase avec son rôle de Nourrice intrigante. Si l’on peut regretter que certains aigus soient arrachés au forceps, la sincérité et l’investissement de cette chanteuse lui permettent de compenser ses défaillances vocales. Rien de tel pour la convaincante Elza van den Heever, vivement applaudie pour sa solidité de la ligne sur toute la tessiture et sa projection puissante – même si les piani font entendre un timbre plus métallique, du fait d’une émission serrée. On peut faire le même reproche à l’Empereur de Stephen Gould, qui manque de chair, mais d’une dignité sans faille dans ses phrasés. Le grand seigneur de la soirée reste toutefois l’immense Barak de Michael Volle, à qui Nézet-Séguin réserve une accolade des plus chaleureuses en fin de représentation : l’art des phrasés, où chaque mot est poli au service du verbe, n’a d’égal que la justesse des moyens, toujours parfaitement en place, y compris dans les passages les plus ardus au III. C’est précisément dans ce dernier acte que Lise Lindstrom montre quelques signes de fatigue, notamment quelques stridences dans l’aigu. C’est d’autant plus excusable que sa prestation avait jusque-là tutoyée les sommets d’une insolente aisance, mêlant subtilement rondeur d’émission et intensité dans l’incarnation. Une grande soirée, accueillie par les applaudissements enthousiastes du public parisien, toujours aussi expressif dans la manifestation de son contentement, y compris lors du rappel à l’ordre de l’un des spectateurs à l’encontre de celui qui avait osé manifester son plaisir un peu tôt, à peine les dernières mesures achevées au I !

mardi 11 février 2020

« L'Etoile » d’Emmanuel Chabrier - Alexis Kossenko - Atelier lyrique de Tourcoing - 09/02/2020


A l’occasion d’une visite dans les Hauts-de-France, on ne saurait trop conseiller de faire halte à Tourcoing, troisième ville de la région après Lille et Amiens ; qui peut s’enorgueillir d’avoir vu naître des compositeurs aussi illustres que Gustave Charpentier ou Albert Roussel. Indissociable de la personnalité charismatique de son fondateur Jean-Claude Malgoire (1940-2018),  l’Atelier lyrique de Tourcoing donne depuis 1981 une résonance internationale à cette ancienne capitale du textile, reconnue pour cette ambition artistique de haut niveau. Désormais, il revient à François-Xavier Roth (né en 1971) de prendre la relève du regretté Malgoire à la direction artistique de l’Atelier lyrique, tandis qu’Alexis Kossenko (né en 1977) fait de même à la tête de l’orchestre sur instruments d’époque, La Grande Ecurie et la Chambre du Roy.

C’est précisément le jeune flûtiste et chef d’orchestre français que l’on retrouve à Tourcoing pour l’une des productions les plus attendue de la saison, l’ébouriffante Etoile (1877) d’Emmanuel Chabrier. On avoue ne pas comprendre pourquoi un tel chef d’œuvre de malice et d’intelligence ne figure pas plus souvent au répertoire hexagonal – au moins pendant les fêtes de fin d’année, aux côtés des grands succès d’Offenbach. On se réjouit par conséquent de cette heureuse initiative, et ce d’autant plus que le plateau vocal réuni se montre d’un niveau proche de l’idéal.

Ambroisine Bré et Anara Khassenova
Ainsi de la rayonnante Ambroisine Bré qui donne à son Lazuli un brio vocal d’une rare conviction dans l’équilibre entre vérité théâtrale et raffinement vocal, tandis que Carl Ghazarossian (Ouf 1er) ne lui cède en rien dans sa composition désopilante, entre morgue cruelle et lassitude feinte. Si Anara Khassenova (la Princesse Laoula) affiche également un haut niveau, Juliette Raffin-Gay (Aloès) est plus en retrait du fait d’une émission parfois étroite, hormis dans son air bien travaillé au II. La production doit beaucoup à l’aisance comique des impayables Alain Buet (très solide Siroco), Nicolas Rivenq (superbe d’autodérision) ou Denis Mignien (à la folie douce-amère). Les chœurs un rien timides au début, avec quelques décalages notables, se montrent de plus en plus affirmés tout au long de la soirée, avant de pleinement convaincre.

Mais c’est peut-être plus encore l’énergie insufflé dans la fosse qui impressionne par son à-propos : si vous n’avez jamais su ce que voulait dire « faire chanter un orchestre », écoutez Alexis Kossenko ! Autant les attaques sèches que la précision et la virtuosité des affrontements entre pupitres donnent des accents inouïs de vitalité, le tout au service d’une expression dramatique qui n’en oublie jamais de faire ressortir les détails humoristiques de l’orchestration. Ce tourbillon de bon humeur répond à la non moins réussie mise en scène de Jean-Philippe Desrousseaux – dont le travail pour Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg avait déjà été récompensé en 2017 par le prix du Meilleur créateur d’éléments scéniques, décerné par l’Association professionnelle de la critique, théâtre, danse et musique. Desrousseaux revisite son décor unique pendant toute la représentation avec maestria, autant par un travail sur les éclairages qu’une mise en valeur des éléments scéniques. Son imaginative direction d’acteur donne beaucoup de plaisir par son double regard qui s’adresse autant aux plus petits qu’à leurs ainés : on retient notamment les nombreux gags visuels intemporels façon Iznogoud ou les délicieux animaux exotiques animés à l’ancienne par deux comédiens. Les rires des tout petits ne trompent pas quant à la réussite du projet, vivement applaudi par le chaleureux public de Tourcoing.

lundi 10 février 2020

« Don Carlos » de Verdi - Gregory Kunde - Opéra royal de Wallonie à Liège - 08/02/2020


La version française de Don Carlos semble faire un retour en force sur les scènes franco-belges, comme en témoignent les spectacles récemment produits à Paris, Lyon et Anvers – à chaque fois dans des mises en scènes différentes. Place cette fois à une nouvelle production très attendue de l’Opéra royal de Wallonie, qui relève le défi d’une version sans coupures, à l’exception du ballet, telle que présentée par Verdi lors des répétitions parisiennes de 1866. On le sait, avant même la première, l’ouvrage subira un charcutage on ne peut plus discutable afin de réduire sa durée totale (de plus de 3h30 de musique), avant plusieurs remodelages les années suivantes. La découverte de cette version “originelle” a pour avantage de rendre son équilibre à la répartition entre scènes politiques chorales et tourments amoureux individuels, tout en assurant une continuité louable dans l’inspiration musicale. A l’instar de Macbeth, Verdi n’hésita pas, en effet, à réécrire des pans entiers de l’ouvrage lors des modifications ultérieures, au risque d’un style moins homogène.

L’autre grand atout de cette production est incontestablement l’excellent plateau vocal réuni : le public venu en nombre ne s’y est pas trompé, entrainant une "ambiance des grands soirs", à l’excitation palpable. Très ému par l’accueil enthousiaste de l’assistance, Gregory Kunde n’aura pas déçu les attentes, et ce malgré d’infimes difficultés pour tenir une épaisseur de ligne dans les déclamations pianissimo au I. Pour autant, en dehors de ce timbre nécessairement abimé avec les années, le ténor américain nous empoigne tout du long par la maîtrise de ses phrasés, où chaque syllabe semble vibrer d’une vitalité intérieure au service du drame. Son expression se fait plus encore déchirante lorsqu’elle est déployée en pleine voix, là où Kunde impressionne par une aisance technique digne de cet artiste parmi les plus grands. La longue ovation reçue en fin de représentation est à la hauteur de l’engagement soutenu tout du long, sans marque de fatigue. En comparaison, on aimerait qu‘Ildebrando d’Arcangelo fende l’armure en plusieurs endroits afin de dépasser son tempérament parfois trop placide – même si l’on pourra noter que cette réserve reste en phase avec les ambiguïtés de son rôle. Quoi qu’il en soit, autant la majesté dans les phrasés, que la résonance dans les graves superbement projetés, sont un régal de tous les instants.

Gregory Kunde
A ses côtés, le wallon Lionel Lhote triomphe dans son rôle de Rodrigo, à force de solidité dans la ligne et de conviction dans l’incarnation. A peine lui reprochera-t-on une émission trop appuyée dans le médium, au détriment de la pureté de la prononciation. Belle prestation également du Grand inquisiteur de Roberto Scandiuzzi, qui compense un léger manque de profondeur dans les graves par une présence magnifique de noirceur. Les femmes assurent bien leur partie, au premier rang desquelles la touchante Yolanda Auyanet, toujours très juste dans chacune de ses interventions, d’une belle rondeur hormis dans quelques aigus tendus. L’Eboli de Kate Aldrich a moins d’impact vocal mais assure l’essentiel sur toute la tessiture, tandis que les seconds rôles superlatifs (magnifiques Caroline de Mahieu et Maxime Melnik) donnent beaucoup de satisfaction.

Si les choeurs montrent quelques hésitations dans la cohésion au I, ils se rattrapent bien par la suite, de même que le tonitruant Paolo Arrivabeni, un peu raide au début avant de séduire par l’exaltation des verticalités et son sens affirmé de la conduite narrative. La mise en scène illustrative de Stefano Mazzonis di Pralafera n’évite pas un certain statisme par endroits, mais séduit par son sens méticuleux du détail historique, parfaitement rendu par l’éclat de la scénographie et des costumes. Un grand spectacle logiquement applaudi par le chaleureux public liégeois, sous le regard goguenard de Wagner (représenté sur le plafond de l’Opéra en 1903, avec d’autres illustres compositeurs).

dimanche 9 février 2020

« Der Schmied von Gent » de Franz Schreker - Ersan Mondtag - Opéra des Flandres à Anvers - 07/02/2020


D’année en année, l’héritage lyrique de Franz Schreker (1878-1934) ne cesse d’être exploré dans toute sa diversité, au disque mais également sur scène. Avant Irrelohe (1922) présenté à l’Opéra de Lyon dès le 24 mars prochain, place au Forgeron de Gand (1932), dernier opéra du grand rival de Richard Strauss en son temps. On doit à l’intérêt conjoint de l’Opéra flamand, en coproduction avec le Nationaltheater Mannheim, le nouvel éclairage donné à cet ouvrage monté pour la dernière fois voilà dix ans à Chemnitz (heureusement gravé par CPO) : ça n’est là que justice, tant Schreker fait montre d’une inspiration foisonnante dans l’éclectisme musical, en un style proche de Kurt Weill pour le parlé-chanté et l’ambiance de cabaret, tandis que les ruptures verticales expressionnistes font davantage penser au Hindemith de Cardillac. L’Autrichien quitte ainsi les expérimentations fraichement accueillies de Christophorus (1929), dédié à Arnold Schönberg, pour embrasser un style virtuose où s’entremêlent chansons populaires flamandes et pastiches de musiques anciennes, avant un acte III rayonnant où la tonalité retrouve davantage ses droits (rappelant le Korngold du Miracle d’Héliane).

Comme à son habitude, le compositeur écrit lui-même son livret, en s’inspirant cette fois des Légendes flamandes de Charles de Coster – l’auteur de Till l’Espiègle, à qui Richard Strauss a dédié son célébrissime poème symphonique. Schreker quitte les rives sulfureuses des troubles freudiens pour la satire du conte folklorique rabelaisien – dans l’esprit du triomphe rencontré quelques années plus tôt par la Schwanda de Jaromir Weinberger (1896-1967). On notera que l’Opéra-Comique de Berlin présente actuellement cette rareté dans sa version allemande, montée par l’excellent Barrie Kosky. A Anvers, Ersan Mondtag s’essaie à sa première mise en scène lyrique avec bonheur, en enrichissant le récit d’une énergie toute aussi riche que la musique : les aventures du forgeron Smee prennent la forme d’un cauchemar psychédélique délirant et absurde, où le héros fuit son quotidien pour un pacte faustien avec le diable, sur fond de satire revancharde contre l’occupant espagnol à Gand. Les décors spectaculaires et les costumes aux couleurs volontairement grotesques convient à des tableaux dignes des outrances d’Otto Dix et George Grosz, même si l’on pourra regretter que le spectacle n’explore davantage, en première partie, la crise de couple et le désir pour Astarté.


Quoiqu’il en soit, le spectacle surprend plus encore après l’entracte en prenant un tour plus politique, sans jamais se départir de son humour : Ersan Mondtag nous rappelle combien la Belgique, jadis oppressée par les Espagnols, puis les Autrichiens, a rapidement endossé les atours de l’oppresseur une fois sa puissance établie. Possession personnelle du Roi Léopold II, avant la cession à la Belgique, le Congo belge subira ainsi de nombreuses atrocités lors de la colonisation, à l’instar des méfaits célèbres du duc d’Albe en Flandre. Le discours saisissant prononcé par le premier ministre congolais Patrice Lumumba, au moment de l’accession à l’indépendance de son pays en 1960, sert de prélude à un dernier acte burlesque et irrésistible de moquerie, où Smee parait grimé en Léopold II. Tandis que le héros se voit refuser à la fois sa place au paradis et dans les enfers, cette saisissante mise en miroir permet de remettre en question l’héritage politique, jugé habituellement favorable, du second monarque belge.

Bien qu’annoncé souffrant, Leigh Melrose (Smee) emporte l’adhésion par sa composition théâtrale d’une grande présence, autour de phrasés très précis. A ses côtés, la superlative Kai Rüütel s’impose avec son émission charnue et bien projetée, de même que l’impeccable Astarté de Vuvu Mpofu. Si Michael J. Scott (Slimbroek) est un cran en-dessous avec son chant puissant mais peu stylé, les autres seconds rôles remplissent parfaitement leur office, au premier rang desquels le truculent Saint-Pierre de Justin Hopkins. La seule déception de la soirée est la direction peu imaginative du nouveau directeur musical Alejo Pérez, qui joue la carte de la musique pure en des tempi enlevés, mais trop peu attentifs à l’expression théâtrale, aux transitions comme aux nuances. Seule la dernière partie, à l’élan post-romantique, le montre davantage à son aise.

vendredi 7 février 2020

« Les Bains macabres » de Guillaume Connesson - Théâtre de l'Athénée à Paris - 05/02/2020


On doit à l’intérêt conjoint du Théâtre impérial de Compiègne et à l’Orchestre des Frivolités parisiennes la commande du tout premier opéra de Guillaume Connesson (né en 1970), Les Bains macabres. Figurant parmi les compositeurs contemporains français les plus joués au monde, Connesson poursuit dans la veine qui a fait son succès, autour d’un langage tonal puissamment expressif, qui lorgne vers Poulenc dans l’écriture de la voix et plus largement vers le groupe des Six pour la légèreté pétillante et colorée de l’orchestration. A l’instar de nombre de ses pièces symphoniques (voir notamment Maslenitsa donné au Festival de Besançon en 2014), c’est bien en ce dernier domaine que le Français n’en finit pas de séduire, autant par la variété de ses emprunts que par l’éclat et la générosité du style.

Le langage on ne peut plus abordable pour le novice se retrouve aussi dans l’écriture des chœurs, dont les échos fantomatiques font souvent penser à Ravel. Mais c’est peut-être plus encore dans le livret malicieux d’Olivier Bleys (né en 1970), couronné par le prix de l’Académie française à deux reprises et par le grand prix du roman de la Société des gens de lettres pour Le Maître de café (Albin Michel, 2013), que réside la réussite de la soirée: les péripéties farfelues de deux policiers, occupés à résoudre les décès inexpliqués de curistes, se mêlent ainsi aux amours de l’héroïne Célia pour un fantôme. Autour de cette trame d’opéra-comique mâtinée de fantastique bon enfant (une inspiration constante chez Connesson, déjà auteur du ballet Lucifer en 2011, paru chez Deutsche Grammophon), le livret n’en oublie pas d’aborder des sujets plus contemporains en filigrane, tels que le harcèlement sexuel subi par Célia ou ses vaines recherches sur des sites de rencontre. Les scènes s’enchaînent en un rythme alerte, où les dialogues très brefs font vite place à la musique omniprésente – le tout magnifié par la mise en scène nerveuse de Florent Siaud et la scénographie splendide de Philippe Miesch, très astucieuse tant dans la gestion de l’espace que de la vidéo.


L’autre grand atout de la soirée est sans conteste le vent de jeunesse insufflé par l’orchestre des Frivolités parisiennes, un ensemble dont on se réjouit toujours autant des qualités techniques comme humaines: l’observation des visages épanouis révèle un plaisir constant de jouer ensemble, qui contraste avec les mines souvent blasées de leurs homologues plus aguerris. Venus de la fosse, d’inattendus vivats sont adressés au plateau vocal en fin de représentation – un autre signe de cette vivifiante harmonie de groupe. L’énergie insufflée par l’excellent Arie van Beek, actuel directeur musical de l’Orchestre de Picardie, fait swinguer ses troupes, sans jamais couvrir les chanteurs. On est séduit aussi par le chœur de chambre Les Eléments, basé à Toulouse, qui donne à entendre des individualités de caractère dans les interventions solistes.

Enfin, le plateau vocal réuni se montre de fort belle tenue, d’où ressortent l’investissement et la vocalité radieuse de Sandrine Buendia ou les phrasés expressifs de Romain Dayez, dans un rôle très différent de sa prestation comique des P’tites Michu (voir notamment à Nantes en 2018). Fabien Hyon s’impose quant à lui par ses qualités théâtrales et son abattage vocal, malgré quelques difficultés dans les passages tendus, tandis qu’Anna Destraël (Miranda Joule) donne à entendre un timbre superbe, en une interprétation très juste. A ses côtés, Geoffroy Buffière compose un truculent Prosper Lampon, au cheveu sur la langue on ne peut plus délicieux. De quoi réserver une salve d’applaudissements mérités à ce spectacle très réussi.

jeudi 6 février 2020

« Giselle » d'Adolphe Adam - Opéra Garnier à Paris - 04/02/2020


Remonté pour le cent cinquantième anniversaire de sa création en 1991, le ballet Giselle d’Adolphe Adam (1803-1856) n’a cessé d’être repris depuis lors au Palais Garnier, à chaque fois à guichets fermés. On comprend l’enthousiasme du public pour ce spectacle qui nous replonge aux sources de la création, autour des décors d’origine refaits à neuf et de la chorégraphie remaniée conformément au travail de Marius Petipa (1887). Si les ouvrages d’Adam sont aujourd’hui méconnus du grand public, en dehors de ce ballet, quelques-uns restent toutefois épisodiquement repris, à l’instar du Postillon de Lonjumeau (1836), donné à l’Opéra-Comique l’an passé.

Quintessence du ballet romantique, Giselle n’en finit pas de séduire par ses mélodies irrésistibles, sa fine rythmique entêtante et ses couleurs piquantes. On pourra toujours reprocher à l’ancien élève de Boieldieu (dont on retrouvera le chef-d’œuvre, La Dame blanche, dès la fin février à l’Opéra-Comique) de rester dans le cadre d’une musique peu novatrice: toujours est-il que son inspiration fine et élégante célèbre autant l’insouciance et la joie de vivre au I, par l’éclat et la variété des danses populaires, que le climat fantastique et poétique au II, où les danseuses en nombre nous régalent de leurs envolées géométriques. Autant les costumes qui nous replongent au temps de Robin des Bois, que les superbes éclairages aux couleurs automnales et mordorées au I, évidemment plus sombres au II, ravissent par leur à-propos et leur classicisme intemporel.

Si le corps de ballet en son entier confirme encore une fois son excellence, on est aussi très agréablement surpris par l’Orchestre Pasdeloup, qui sans s’élever au niveau de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, montre une cohésion affirmée dans les cordes, ainsi que de belles individualités (au hautbois et aux cors notamment). Il faut dire que la formation est conduite par l’un des plus grands spécialistes de ce répertoire en la personne de Koen Kessels (né en 1961), directeur musical des ballets royaux à Londres et Birmingham – excusez du peu! Le chef flamand opte pour des tempi modérés au service de la conduite narrative, évitant tout pompiérisme pour offrir quelques moments de fine poésie. Les retrouvailles entre Giselle et Albrecht au II constituent sans doute l’un des moments les plus émouvants du spectacle, où Kessels semble suspendre le temps en étirant plus encore sa battue.

La soirée avait pourtant débuté sous des hospices houleux à l’annonce de la lecture d’un message des personnels grévistes de l’Opéra national de Paris, rapidement accueilli par des huées, elles-mêmes contredites par une salve d’applaudissements en retour. Se croyant sans doute à l’un des caucus démocrates de l’Iowa, un spectateur se lève pour haranguer la foule, sans succès: le chahut reprend de plus belle, évoquant les grands scandales de jadis – tout particulièrement la création de Déserts de Varèse au Théâtre des Champs-Elysées en 1954 (telle que permet d’en juger l’enregistrement public édité chez Tahra en 2006 sous le titre «Hermann Scherchen: de Purcell à Varèse»: un document à connaître absolument). Les esprits s’apaisent heureusement assez vite, permettant un lever de rideau évidemment plus consensuel avec Giselle.

mardi 4 février 2020

« Parsifal » de Richard Wagner - Aurélien Bory - Opéra de Toulouse - 02/02/2020


Il faut se précipiter à Toulouse pour la nouvelle production de Parsifal, dont le plateau vocal de premier plan justifie à lui-seul de réserver sa place au Capitole. On se demande comment le directeur artistique, Christophe Ghristi, est parvenu à réunir des chanteurs d’une telle trempe, à juste titre vivement applaudis par le chaleureux public toulousain tout au long de la soirée. A l’applaudimètre, Sophie Koch l’emporte par son chant vibrant et investi, nous rappelant son récent succès dans l’une des plus belles productions d’Ariane et Barbe-Bleue qu’il nous ait été donné de voir ici-même. Si l’émission de la mezzo française convainc par sa souplesse et sa facilité dans la puissance d’incarnation, on sera toutefois plus réservé au niveau des parties déclamatoires de son rôle, où le vibrato est plus audible. C’est là une différence stylistique avec ses partenaires masculins, tous très investis également. Ainsi du toujours aussi admirable Nikolai Schukoff, dont la justesse d’intention et l’investissement dramatique n’ont d’égal que l’éclat vocal: les années semblent n’avoir guère de prise sur les moyens de cet artiste – et ce malgré d’infimes détails, tel un aigu un peu serré dans les accélérations.

On ne présente plus également la figure de Matthias Goerne, dont la prestation déchirante constitue l’autre temps fort de la soirée: ses phrasés inouïs de précision et de profondeur dans le détail de chaque syllabe sont un régal de chaque instant, où la concentration est palpable dans le public. On ne saurait non plus oublier le souverain Peter Rose, au timbre de voix quasi intact malgré les années, d’une probité artistique sans faille et toujours sûr de ses moyens. Le solide Pierre-Yves Pruvot assure bien sa partie, avec toutefois un léger manque de graves et quelques passages en force, tandis que les seconds rôles ne montrent pas de faiblesse. On préférera grandement la prestation des chœurs masculins, très touchants dans l’attention au texte, là où leurs homologues féminines laissent entendre quelques imperfections dans les aigus difficiles de la scène du jardin des filles-fleurs.

Sophie Koch et Nikolai Schukoff
L’autre grand triomphateur de la soirée est sans conteste l’Orchestre national du Capitole, qui prouve, une fois encore, sa position dominante parmi les formations hexagonales, voire au-delà: invité pour l’occasion, le chef allemand Frank Beermann a semblé on ne peut plus agréablement surpris par la chaleur de cet accueil. La baguette de l’ancien directeur musical de l’Opéra de Chemnitz, entre 2007 et 2016 (voir notamment Le Nain donné en 2016), épouse d’emblée la proposition théâtrale austère d’Aurélien Bory, en refusant toute la lumière attendue pendant le Prélude au tempo marmoréen: cette conception surprenante mais cohérente, entre allégement des textures et refus du vibrato, offre ensuite un écrin de douceur aux chanteurs, ainsi mis en valeur par l’orchestre volontairement en retrait. La direction sait toutefois s’enflammer dans les passages où le récit fait place à l’action, montrant combien Beermann n’en oublie pas le nécessaire théâtre.

On n’en dira malheureusement pas autant de la proposition visuelle d’Aurélien Bory, ratage pratiquement complet tout au long de la soirée. En plongeant les spectateurs dans la pénombre, le plasticien français s’enferme dans la performance artistique, jouant avec les néons, les bouts de corps fantomatiques projetés sur un mur, ou encore quarante-neuf ampoules en forme d’évocation cosmique du Graal. Tous ces effets visuels laissent le plus souvent les chanteurs à eux-mêmes, quand ils ne sont pas placés en des positions ridicules – enferrés dans une forêt stylisée au I ou déplacés maladroitement sur de petits cubes par quelques figurants. L’économie de moyens à l’œuvre pendant les quatre heures de spectacle n’aide guère le spectateur à accompagner le voyage initiatique et mystique de Parsifal. Dans une conception similaire, on avait grandement préféré le travail de Christophe Nel à Francfort en 2015, moins radical au niveau des éclairages notamment. En spécialiste reconnu du rapport visuel à l’espace, Aurélien Bory doit nécessairement appréhender les contraintes liées à la jauge d’une salle à l’italienne comme le Capitole (d’un peu plus de mille places), où certains spectateurs sont éloignés de 15 à 20 mètres de la scène : dans ce contexte, ce qui fonctionne dans les petits locaux d’une exposition contemporaine ne peut être transposé à l’identique dans une salle d’Opéra. Puisse le plasticien méditer là-dessus à l’avenir et nous éviter un pareil ratage.

lundi 3 février 2020

« Le Démon » d'Anton Rubinstein - Paul Daniel - Opéra de Bordeaux - 31/01/2020


Parmi les événements de la saison bordelaise figure la création du Démon (1871), plus fameux des vingt ouvrages lyriques d’Anton Rubinstein (1829-1894), encore régulièrement donné de nos jours en Russie (plus rarement ailleurs: voir la dernière production accueillie au Théâtre du Châtelet en 2003). On comprend aisément pourquoi le professeur de Tchaïkovski garde une certaine aura dans son pays natal : l’élan franc et direct de ses mélodies, tout autant que sa traduction orchestrale aux contrechants réduits, vont droit au but – le tout en des climats bien variés et une construction dramatique efficace. Pour autant, si l’amateur peut être séduit par cette éloquente simplicité, le mélomane déchante vite, faute d’audace et d’originalité dans l’orchestration ou dans l’écriture des nombreux chœurs – souvent mêlés aux solistes. L’impact puissant des parties chorales fait également son effet au début, avant de rapidement s’éventer par la prudence contrapuntique et prévisible de l’ancien pianiste virtuose – à ne pas confondre avec son frère Nikolaï ou avec le pianiste polonais Arthur Rubinstein (sans lien de parenté). Quoi qu’il en soit, en compositeur chevronné, le petit maître russe connaît suffisamment son affaire pour dispenser des airs de belle tenue, notamment dans l’exploration des tourments individuels.

Les interprètes affichent un niveau général d’excellente tenue, hormis la perfectible Evgenia Muraveva, bien en peine avec la justesse dans ses périlleuses premières interventions, au placement de voix délicat dans le suraigu. Si elle se reprend ensuite, l’émission un peu brusque de la soprano lyrique reste toutefois problématique par rapport à ses partenaires – au premier rang desquels le superlatif Démon d’Aleksei Isaev (remplaçant la défection de Nicolas Cavallier), fin connaisseur du rôle. Avec ses phrasés saisissants de vérité dramatique et son impact vocal mordant, le baryton reçoit une ovation méritée en fin de représentation. Bien belle idée, aussi, de confier le rôle de l’Ange au contre-ténor américain Ray Chenez, dont les traits androgynes et la voix cristalline font merveille en contraste. C’est d’autant plus judicieux que la mise en scène de Dmitry Bertman choisit de présenter ces deux personnages en miroir, sous des habits identiques, aux couleurs inversées en noir et blanc – comme les deux faces complémentaires du yin et du yang. A leur côté, Alexey Dolgov incarne un solide et puissant Sinodal, dont on aurait aimé toutefois un chant plus stylé, à l’instar de la noblesse des phrasés du Goudal d’Alexandros Stavrakakis, à l’émission large. On aime aussi grandement le serviteur de Luc Bertin-Hugault, aussi à l’aise techniquement qu’inspiré dans l’expression au service du texte. On mentionnera encore l’excellente nourrice de Svetlana Lifar, au timbre cuivré et gorgé de couleurs, tandis que la direction enflammée de Paul Daniel ne couvre jamais le plateau, donnant le meilleur de l’excellent Orchestre National Bordeaux Aquitaine, comme des chœurs très précis.

Dmitry Bertman joue la carte d’une scénographie unique pendant toute la représentation, bien revisitée par les éclairages et une utilisation judicieuse de la vidéo. Avec quelques effets simples mais efficaces, tel que cet immense globe au-dessus des interprètes, l’élégance et le monumentalisme des décors font souvent penser au travail de Stefano Poda, jouant à la fois sur le symbolisme des éléments ou des images du système solaire. On regrettera seulement quelques maladresses, comme l’étroitesse du plateau qui occasionne plusieurs bruits de scène (avec le chœur surtout) ou ces roulades maladroites des interprètes lorsqu’ils chantent. Des détails qui n’enlèvent rien à la beauté visuelle de cette production, par ailleurs bien accueillie par le public bordelais.

dimanche 2 février 2020

Oeuvres de Schubert et R. Strauss - Domingo Hindoyan - Orchestre National Bordeaux Aquitaine - 30/01/2020

Domingo Hindoyan
Il ne faut pas se laisser tromper aux airs de jeune premier du chef vénézuélien Domingo Hindoyan (39 ans), découvert en France voilà déjà dix ans avec l'Orchestre Pasdeloup et qui officie souvent depuis dans le domaine lyrique – le plus souvent avec son épouse Sonya Yoncheva (voir notamment à Baden-Baden ou à Montpellier). Issu du programme El Sistema, le jeune homme visiblement doué dirige tout au long de la soirée sans partition, sous le regard attentif du directeur musical Paul Daniel, dans le public. Le programme débute sous les hospices de l’originalité, avec deux œuvres de Schubert et Richard Strauss peu visitées au concert comme au disque. L’Ouverture dans le style italien (1817) constitue une parfaite mise en bouche, avec son introduction lente et majestueuse qui rappelle la manière du dernier Haydn, avant une envolée plus guillerette en seconde partie. Avec des tempi assez lents au début, pour mieux lâcher les chevaux ensuite, Hindoyan joue la carte du contraste dynamique, sans jamais se départir d’une parfaite mise en place.

Le tout aussi méconnu Duo concertant pour clarinette et basson, avec orchestre à cordes et harpe (1947) permet de reconnaître d’emblée la pâte sonore de Richard Strauss, entre raffinement du tissu orchestral et lyrisme enveloppant. Après les douceurs initiales de la clarinette, le basson se fait plus narratif en rupture, tandis que les cordes apportent un soutien de velours, toujours au service des solistes. Le sommet de la partition se situe dans le superbe passage éthéré où le basson s’apaise pour mieux répondre à la harpe délicate en arrière-plan. On notera toutefois une différence audible dans le style des deux solistes, le basson charnu et entier d’Anne-Sophie Frémy répondant à la clarinette plus poétique de Sebastien Batut. En bis, le public se régale d’une transcription d’un extrait de Casse-Noisette, aussi piquante que délicieuse.

C’est toutefois après l’entracte que le plat de résistance permet à Hindoyan de déployer toutes les facettes de son style interprétatif: si les passages lents paraissent un rien flottants, c’est bien davantage dans les parties verticales, très vives, que le Vénézuélien se montre le plus convaincant. Son geste fait fi de toute respiration pour mieux imbriquer les vagues successives qui irriguent chaque pupitre de cordes – tous très engagés à l’exception notable des premiers violons, plus en retrait. Dès lors, sans jamais sacrifier la mélodie principale, les vents ressortent admirablement, en une fulgurance sans temps mort. Il en ressort un indéniable panache, qui culmine dans un dernier mouvement particulièrement réussi du fait de l’attention louable à la pulsation rythmique. Un rien robuste par endroits, cette interprétation physique sied parfaitement à l’excitation attendue du concert. Le public ne s’y trompe pas en réservant un accueil chaleureux à l’ensemble des interprètes, chef compris.

samedi 1 février 2020

« Le Barbier de Séville » de Gioachino Rossini - Opéra de Tours - 29/01/2020


Déjà présentée au Théâtre des Champs-Elysées en 2017, puis au Grand-Théâtre de Bordeaux l’an passé, à chaque fois avec des interprètes différents, la production du Barbier imaginée par Laurent Pelly fait halte à l’Opéra de Tours en ce début d’année. Disons-le tout net: à l’instar des comptes rendus précités, on attendait mieux de la part d’un metteur en scène habituellement imaginatif, notamment dans sa direction d’acteur. Pelly restreint en effet le champ d’action des interprètes en des décors et costumes classieux, desquels ressort bien peu de théâtre, surtout dans la première partie très statique. Après l’entracte, quelques idées surgissent enfin, notamment des ensembles volontairement déstructurés dans l’espace et une gestion farfelue du chœur masculin : trop peu hélas, pour nous faire oublier combien le même Pelly a pu autrement nous convaincre par ailleurs (voir notamment son brillant Roi Carotte d’Offenbach, repris à Lyon il y a un mois).

On attendait également beaucoup de l’excellent plateau vocal réuni à Tours: le plaisir est globalement au rendez-vous, malgré plusieurs réserves. Ainsi du pourtant très aguerri Patrick Kabongo (régulièrement invité du festival Rossini de Bad Wildbad, comme l’été dernier, et déjà apprécié à Tours dans L’Italienne à Alger en 2019), qui rate son air d’entrée, il est vrai ardu, du fait d’une tenue instable du suraigu qui n’évite pas quelques aigreurs ou faussetés. Le ténor français se rattrape grandement ensuite par ses habituelles qualités de diction et de souplesse dans le reste de la tessiture. Il compose toutefois un couple vocal mal assorti avec Guillaume Andrieux, au chant tout en force bien éloigné de la grâce belcantiste, et ce malgré une intention louable d’incarner la filouterie de son rôle. Son premier air d’entrée se montre là aussi loin des attentes, aussi bien par ses constants décalages avec la fosse, qu’en raison du souffle audible dans sa technique. Anna Bonitatibus souffle le chaud et le froid, épatante de facilité dans l’émission charnue et gorgée de couleurs, le tout bien projeté. Mais quel peu d’appétence pour le jeu théâtral: l’espièglerie de Rosine ne transparaît guère dans son interprétation sans relief.

Il faut dès lors se tourner vers les seconds rôles pour trouver des prestations plus stimulantes, à l’instar de la composition truculente de Patrick Govi, impeccable de style comme de technique, autour de graves admirablement phrasés. Guilhem Worms s’impose quant à lui comme un très solide Basilio, à la projection épanouie et harmonieuse, dotée d’une belle résonance. Belle idée également de confier le petit rôle de Berta à Aurélia Legay, qui se distingue par son timbre cuivré et son tempérament comique, même si on pourra lui reprocher de forcer par trop les décibels dans les ensembles. Rien de tel dans la fosse, où Benjamin Pionnier joue la carte de la lisibilité et de l’exploration analytique, en une clarté toute française qui fuit malheureusement trop le théâtre: à trop vouloir alanguir les tempi, le chef français en oublie par trop l’électricité et la malice. Curieusement, son attention à la mise en place n’évite pas quelques regrettables décalages, notamment avec un pupitre de percussions négligeant dans la précision rythmique, en plusieurs occasions.