dimanche 22 septembre 2024

« Le Domino noir » de D.F.E. Auber - Opéra Comique - 20/09/2024

Il faut se précipiter pour voir ou revoir la reprise de ce spectacle très réussi, produit conjointement en 2018 par l’Opéra royal de Wallonie à Liège et l'Opéra Comique, avant de rejoindre opportunément Lausanne l’an passé. On avait oublié à quel point la musique du Domino noir (1837) coule de source, en une ivresse symphonique faisant la part belle à la finesse des rythmes et des mélodies renouvelées, entremêlant avec brio voix et orchestre, à la manière de ses deux modèles Boieldieu et Rossini. Si Auber n’a jamais cherché à faire figure de novateur, il est parvenu à une sorte d’évidence dans le genre de l’opéra‑comique (constitué, rappelons‑le, d’une alternance de parlé et de chanté), qui explique pourquoi Le Domino noir reste aujourd’hui encore le neuvième titre le plus joué du répertoire du Théâtre national de l’Opéra Comique, avec 1 201 représentations.

Si les quarante-huit ouvrages lyriques d’Auber sont en grande partie négligés de nos jours (notamment de la part du Palazzetto Bru Zane, qui n’a pas cru bon devoir consacrer un seul volume à l’un des plus célèbres compositeurs français de son temps), on se félicite que des maisons audacieuses fassent vivre cette musique de tout son éclat, de Manon à Turin (à la fin du mois) à La Muette de Portici à Darmstadt (à partir de fin avril 2025). Pour autant, il est évidemment préférable de réunir une distribution francophone pour ce type de répertoire, dont l’articulation entre dialogues et parties chantées nécessite une mécanique de haute précision : un défi que l’Opéra Comique parvient à relever haut la main en reprenant la quasi‑totalité de la distribution de 2018.

Ainsi des deux rôles principaux, les tourtereaux Anne-Catherine Gillet (Angèle) et Cyrille Dubois (Horace), qui rivalisent de charme pour interpréter avec crédibilité cette histoire en grande partie inspirée du conte de Cendrillon. En dehors de quelques accélérations qui mettent parfois à mal la précision de sa diction, Anne‑Catherine Gillet (Angèle) montre une fois encore combien sa voix est idéale pour ce répertoire, entre beauté du timbre et articulation souple et vivace. A ses côtés, Cyrille Dubois s’impose avec les mêmes qualités, malgré un aigu moins aérien qu’à l’habitude. Si Victoire Bunel (Brigitte) et Léo Vermot-Desroches (Juliano) assurent solidement leur partie, la plus belle signature vocale de la soirée revient à Jean‑Fernand Setti, truculent et volumineux Gil Perez. Marie Lenormand (Jacinthe) compense ses déficiences vocales par un brio comique toujours irrésistible, mais reste un cran en dessous en comparaison de la prestation de Laurent Montel en impayable britannique à l’accent haut en couleur.


La plus grande satisfaction de la soirée revient surtout à la fosse, tenue par un Louis Langrée idéal dans ce répertoire à force d’allégement de la pâte sonore : sa direction chambriste est un régal tout du long, mêlant habilement finesse et brio pour conduire tout son petit monde, en faisant ressortir toute l’ironie piquante des vents de l’Orchestre de chambre de Paris, sans parler du chœur Les Eléments, très bien préparé pour l’événement. C’est là une nouvelle réussite pour ce chef français à la carrière d’envergure internationale, qui a reçu lors d’une cérémonie émouvante au foyer à l’issue de la représentation, le grade de commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.

On doit précisément à Louis Langrée l’initiative de la reprise du Domino noir, un spectacle conçu sous le mandat de son prédécesseur à la direction de l’Opéra Comique, Olivier Mantei : c’était là la toute première mise en scène lyrique du duo composé des comédiens Christian Hecq et Valérie Lesort, après leur succès plusieurs fois repris, Vingt Mille Lieues sous les mers (2015), d’après Jules Verne. Après Ercole amante de Cavalli en 2019, on retrouve le style fantaisiste et bon enfant des deux trublions, qui mêlent épure scénographique et costumes aussi élégants que farfelus, tout en enrichissant l’action (au livret parfois trop statique) de gags visuels savoureux, dont on laissera évidemment la surprise au spectateur. Une réussite à savourer d’urgence !

samedi 14 septembre 2024

Concert de l'Orchestre national de France - Cristian Măcelaru - Maison de la Radio - 12/09/2024

Julia Fischer

Pour son concert d’ouverture de saison, l’Orchestre national de France a la satisfaction de faire salle comble, avant d’entamer une tournée avec la même affiche à Dijon, puis Besançon. On ne peut que s’en réjouir, tant le programme proposé par les forces de Cristian Măcelaru bouscule les lignes, en mettant en avant la figure d’Elsa Barraine (1910‑1999) autour de l’une de ses œuvres les plus abouties, la Seconde Symphonie. Créé en 1938 par Désiré-Emile Ingelbrecht, l’ouvrage a ensuite été soutenu par des chefs tout aussi renommés, de Manuel Rosenthal à Jean Martinon, dont on peut encore trouver en ligne les gravures, en un son malheureusement précaire. De quoi patienter avant le disque annoncé l’an prochain par le National et Măcelaru, afin de rendre hommage à cette compositrice en grande partie oubliée de nos jours.

Avec la Seconde Symphonie, on découvre un bijou d’ivresse rythmique qui surprend constamment par sa capacité à mobiliser toutes les sonorités à disposition, en un sens des transitions très fluide. Si les cordes sinueuses ou quelques détails d’orchestration (de la caisse claire à la harpe inquiétante en ostinato) évoquent Chostakovitch, les ruptures de ton entre verticalités acérées et passages faussement apaisés se tournent davantage vers Roussel. L’atmosphère tragique entonnée par les cuivres au tout début du deuxième mouvement fait penser quant à elle à la manière de Kurt Weill avant son départ aux Etats‑Unis, du Lac d’Argent aux Sept péchés capitaux. Toutes ces influences n’empêchent pas Barraine de trouver un ton propre, qui, au‑delà de la maîtrise formelle, sait embrasser un souffle d’une vitalité allante, de plus en plus solaire jusqu’au paroxysme du mouvement conclusif. Cristian Măcelaru allège la pâte orchestrale pour mieux faire ressortir les subtilités d’orchestration, donnant ainsi à entendre quelques moments inoubliables, tel ce passage du dernier mouvement, tout en transparence dans les aigus confiés aux violons, flûtes et hautbois.

Le chef roumain est peut-être plus encore à son affaire pour faire ressortir les sortilèges harmoniques des Images (1913) de Debussy, en un festival de couleurs distillées comme un feu d’artifice. L’élan narratif passe au second plan, tant ce geste évite de privilégier la mélodie principale, donnant à l’ensemble un vent de modernité plus décoiffant qu’à l’habitude, notamment pour le tube Iberia. Aucune espagnolade dans cette interprétation, mais plutôt une volonté de surprendre par des phrasés aussi chaloupés que chaleureux. En bis, toute la grâce aérienne de la compositrice Cécile Chaminade s’épanouit dans le gracieux « Pas des écharpes », tiré du ballet Callirhoé (1888).

Avant l’entracte, le Concerto pour violon (1879) de Brahms a pu initialement dérouter par sa volonté de fouiller les détails, sans toutefois sacrifier au discours d’ensemble. Il faut certainement arriver à évacuer toute une tradition interprétative germanique, aux élans massifs et tragiques, pour apprécier les variations de tempo et les phrasés mouvants de Măcelaru, tous parcourus d’infimes nuances. Quel plaisir, pourtant, lorsqu’on parvient ainsi à ouvrir ses chakras ! Le Roumain a sa vision et s’y tient tout du long, en ralentissant ostensiblement la mesure dans les passages lents, qui semblent l’intéresser bien davantage (une constante tout au long de la soirée), pour mieux s’emporter dans les verticalités, plus expédiées en comparaison. Julia Fischer (née en 1983) épouse ce geste contrasté et sans pathos par une relance du discours musical toujours intense et engagée, montrant qu’elle n’a rien perdu de son tempérament avec les années. En bis, la violoniste allemande reprend un bis typique de la génération des années 2000 à laquelle elle appartient, en interprétant la Sarabande de la Deuxième Partita de Bach, avant de surprendre davantage en mettant en avant toute l’espièglerie doucereuse du Treizième Caprice de Paganini, en second bis conclusif.