mercredi 6 novembre 2019

« Ercole amante » de Francesco Cavalli - Opéra Comique - 04/11/2019


Quel chemin parcouru par Raphaël Pichon (né en 1984) depuis la création de l’ensemble Pygmalion en 2006! On connaît l’histoire: alors qu’il est encore étudiant en chant et direction au Conservatoire de Paris, le jeune homme poursuit concomitamment une carrière de contre-ténor avant d’embrasser peu à peu la seule carrière de chef, principalement dédiée au répertoire baroque. Qui pouvait alors croire qu’un chanteur débutant de 22 ans, applaudi dans l’Ercole amante monté par Gabriel Garrido en 2006 à Ambronay et Paris, obtiendrait quelques années plus tard l’un de ses plus beaux triomphes avec le même ouvrage, cette fois dans la fosse?

Si l’on doit à l’Opéra-Comique (avec les opéras de Versailles et Bordeaux, coproducteurs du spectacle) une réunion de talents aussi exceptionnelle de nos jours, du plateau vocal proche de la perfection à la proposition scénique judicieuse jusque dans ses moindres audaces farfelues, il ne faut pas se tromper sur l’apport décisif de Pichon dans ce projet: on n’aura ainsi rarement entendu le répertoire vénitien s’exprimer avec une aisance et un naturel qui semblent couler de source, en un son plein et généreux qui emporte tout du long. Quel plaisir, aussi, de s’imprégner de cette vitalité alternant entre comique et tragique, qui s’appuie sur de vifs tempi dans les passages rythmiques en contraste avec les parties apaisées, plus nuancées et sensibles – notamment les fins de phrasés ductiles. Enfin, la mise en valeur des moindres couleurs de l’orchestration trouve une expressivité bienvenue dans les nombreuses scènes de caractère, de l’irrésistible chœur des songes et du sommeil, à la tempête marine ou aux évocations de l’enfer. Dans cette cascade d’événements rocambolesques, Pichon n’en oublie pas de faire ressortir les quelques moments d’inspiration poétique et délicate, telle que l’imploration de l’épouse délaissée Déjanire au II, interprétée avec grande classe par Giuseppina Bridelli.

Giuseppina Bridelli et Krystian Adam
La mezzo-soprano italienne obtient une ovation méritée pour son chant à l’émission veloutée, toujours au service du sens. Avec ses phrasés d’un raffinement inouï et bien soutenus par des graves affirmés, Nahuel Di Pierro (Hercule) ne le lui cède que de peu dans ce concert de louanges, seulement gêné par un timbre légèrement voilé en début de soirée, qui s’éclaircit peu à peu pour donner la pleine mesure de son engagement. A ses côtés, Francesca Aspromonte (Iole) convainc une nouvelle fois par sa justesse dramatique et sa perfection technique, en spécialiste reconnue de ce répertoire (voir notamment ses prestations versaillaises dans Erismena en 2017 et Il Giasone en 2018), tandis qu’Anna Bonitatibus impose sa force de caractère en composant une vibrante Junon – à laquelle il ne manque toutefois qu’une tessiture plus élargie dans l’aigu pour éviter quelques faussetés dans les passages ardus. Tous les seconds rôles sont admirablement distribués, du chant généreux de Krystian Adam (Hyllus) à l’impact sonore de Luca Tittoto (Neptune, Eutyre). Enfin, Ray Chenez explore les subtilités comiques de son rôle de Page avec beaucoup de malice, hormis en quelques accélérations plus ardues au niveau vocal, bien épaulé par un Dominique Visse (Lychas) à l’aisance scénique toujours aussi juste, rattrapant quelque peu l’inévitable usure vocale, surtout dommageable dans les ensembles.

Le Chœur Pygmalion, aux individualités dignes des solistes réunis, offre un autre motif de satisfaction, à juste titre vivement applaudi en fin de soirée, de même que la mise en scène confiée à Valérie Lesort et Christian Hecq. C’est là le deuxième succès d’affilée pour cette équipe dont les débuts lyriques en 2018 à l’Opéra-Comique, avec Le Domino noir de Auber, leur avait valu de remporter le Grand Prix du Syndicat de la critique. On retrouve toute l’imagination délirante de ces artistes plasticiens en une multitude de surprises visuelles, à même de différencier chaque scène, tout en rendant hommage à la richesse et à la diversité de la machinerie baroque. Le soin apporté aux costumes, tout comme aux éléments de décors fantaisistes, souvent inspirés du monde animal et végétal, achèvent de convaincre de la nécessité de courir applaudir ce spectacle en tout point réussi.

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