Si l’aura internationale de Dvorák et dans une moindre mesure de Janácek
et Martinů, fait la fierté de chaque Tchèque, la place occupée par
Smetana reste celle du cœur, tant le compositeur a porté l’étendard
d’une nation longtemps restée dans l’ombre des peuples germaniques,
aussi bien politiquement que culturellement. Ce n’est pas le moindre des
paradoxes que de rappeler que Smetana se disait lui-même moins à l’aise
pour parler le tchèque par rapport à l’allemand, cette dernière langue
étant alors celle des milieux intellectuels supérieurs, à l’instar de
tous les pays de l’empire Austro-Hongrois. Pour autant, Smetana va peu à
peu se laisser convaincre de la nécessité de composer dans la langue du
peuple, et ce dès ses premiers ouvrages, tout en privilégiant des
sujets glorifiant les légendes locales : d’abord Les Brandebourgeois en Bohême en 1866 et surtout, deux ans plus tard, Dalibor (voir notamment la récente reprise de la production de Martin Otava à Ostrava).
Donné chaque année le jour de la fête nationale (28 octobre) qui célèbre la création de la Tchécoslovaquie en 1918, Libuse
(1881) va plus loin encore dans l’exaltation des racines tchèques, en
célébrant la figure fondatrice de Prague (elle‑même surnommée la « mère
de toutes les villes »). Devenu trésor national, cet ouvrage que Smetana
considérait comme son chef‑d’œuvre a pourtant bien du mal à être donné
en dehors de son pays d’origine, du fait d’un livret trop étiré, à l’action minimaliste et aux nombreux personnages sans consistance
dramatique. Souvent qualifié d’oratorio déguisé, Libuse sait
récompenser l’auditeur attentif à ses riches beautés orchestrales, qui
lorgnent du côté de Wagner, tout en incorporant des pages déchirantes
(dévolues à Krassava) ou des coloris folkloriques savoureux (avec
Premysl, notamment).
Assister à une représentation de Libuse, qui plus est au Théâtre
national où l’ouvrage a été créé, reste un privilège rare. Il est
toutefois dommage que la production imaginée par Jan Burian, directeur
de l’Opéra de Prague depuis 2013, adopte des partis pris d’un
classicisme trop prudent au niveau visuel, notamment des costumes pâles
et peu différenciés entre les personnages. L’utilisation minimaliste de
la vidéo, laissant entrevoir des images marines en arrière‑scène (en
début et fin d’opéra, lors des incantations de Libuse), reste
uniformément illustrative, sans aucun apport dramatique. De même,
l’ajout d’un tapis roulant sur lequel arrivent les chanteurs interroge,
pour des raisons identiques, tout en renforçant le statisme par ses
poses hiératiques. Mais la plus grande maladresse revient au « ballet
des paysans », qui frise l’amateurisme par ses poses simplistes et ridicules. En bref, un spectacle globalement raté, dont seul le
tableau final trouve enfin une idée audacieuse (que nous ne
divulgacherons pas) : trop peu, malheureusement, pour sauver
l’impression d’ensemble.
La direction du pourtant expérimenté Robert Jindra souffle le chaud et le froid tout au long de la soirée, sonnant trop virile dans les tutti (notamment la tonitruante ouverture), tout en imprimant un élan narratif heureusement plus nuancé dans les passages lyriques et apaisés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire