Avec plus d’une trentaine de spectacles différents présentés chaque
année, la saison musicale de l’Opéra d’Ostrava impressionne par son
importance et sa diversité, faisant une place au répertoire lyrique
traditionnel, mais également à la comédie musicale et au ballet. La
salle « historique » (1907), à laquelle Antonín Dvorák a donné son nom,
est un écrin privilégié, tant la proximité avec la scène offre un
rapport idéal pour l’acoustique, par ailleurs doté d’un écran avec
surtitres en tchèque et en anglais. Un confort moderne digne de la
troisième ville du pays, qui peut aussi s’enorgueillir d’une
programmation audacieuse, avec plusieurs raretés, tels que
les courts opéras de Viktor Ullmann, l’enfant du pays (voir ici).
L’événement de la saison est incontestablement la décision de donner les
huit opéras de Smetana à la suite, en autant de soirées différentes
(du 2 au 10 mars, puis du 4 au 12 mai 2024), afin de fêter le deux-centième anniversaire de la naissance du compositeur. De quoi entendre
des ouvrages rarissimes dans nos contrées mais également en Tchéquie,
tels que Les Brandebourgeois en Bohème (1866) ou Le Mur du diable (1882). Solidement installé au répertoire local, Dalibor
(1868) constitue le tout premier chef‑d’œuvre « sérieux » de Smetana,
puisant aux racines tchèques par les références hussites prêtées au
rôle‑titre, autant qu’à sa grandeur d’âme : devenu symbole de la
résistance face à un pouvoir autoritaire faisant fi de la volonté
populaire, cet ouvrage a été créé pendant la période de domination
autrichienne, lui donnant une résonance patriotique encore forte
aujourd’hui. Toutefois, cela n’empêcha pas Smetana de superviser
lui‑même la version allemande de Dalibor (voir notre compte rendu de la production donnée à Francfort en 2019 dans la langue de Goethe), afin de donner davantage de rayonnement à son ouvrage.
A Ostrava, la production créée au printemps dernier (qui sera reprise
l’an prochain avec le cycle complet des opéras) est exécutée devant une
salle malheureusement clairsemée, mais attentive à l’éloquence du drame.
En symphoniste capable de convoquer toutes les couleurs de l’orchestre,
Smetana impressionne par son don mélodique enveloppant, de même que sa
variété d’expression, de la grandeur royale très cuivrée aux effluves
évanescents de Milada, aux bois. Dalibor s’épanouit quant à lui dans un
contexte volontiers plus lyrique, souvent accompagné par le premier
violon (proche en cela de la légende qui lui fit jouer de cet instrument
en prison), tandis que le geôlier Benes s’enferme dans les teintes
grises et ternes aux cordes, révélatrices de son horizon bouché. Autant
la grandeur des chœurs au I (splendide cohésion des forces locales
réunies) que l’esprit populaire au début du II sont parfaitement rendus,
même si la direction de Josef Kurfirt a parfois la main lourde dans les
passages vifs. Le chef tchèque reste toutefois attentif à la narration,
sans jamais couvrir le plateau.
Une timidité que l’on retrouve aussi malheureusement dans le travail efficace mais peu imaginatif de Martin Otava, qui modernise le sobre plateau par quelques éléments (dont le symbolique lion argenté de Bohème), sans pour autant parvenir à limiter le statisme de l’action. Les éclairages alternent différentes couleurs, restant dans la veine illustrative de la mise en scène. Une production sérieuse et de bonne tenue, mais qui aurait mérité davantage d’audace pour pleinement nous emporter, notamment dans l’utilisation trop restreinte du plateau tournant.
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