Traditionnel point d’orgue de la fin de l’été, l’avant-dernier week-end
de septembre attire chaque année de nombreux visiteurs à Besançon. Il
n’est qu’à poindre le nez dehors pour entendre les échos des rues
bondées, animant le charmant centre-ville de la capitale franc-comtoise.
Et pour cause! Outre les traditionnelles journées du patrimoine, le
festival du livre «Les Mots Doubs» s’inscrit désormais dans le paysage
culturel avec sa treizième édition, tandis que le célèbre festival de
musique classique conclut ses dix jours de marathon dévolus
principalement à l’orchestre. C’est précisément sur son concours de
direction que la manifestation musicale a bâti sa réputation, événement
bisannuel que l’on retrouvera l’an prochain à la même période.
Cette année, pour la soixante-septième édition du festival, l’Orchestre national d’Ile-de-France effectue un heureux retour en terres bisontines. Sept ans après sa première venue, la formation primée par la revue britannique Gramophone offre ainsi l’une de ses rares sorties en dehors du territoire francilien, après sa participation aux «Journées George Onslow» organisées à la fin du mois d’août à La Chaise-Dieu. A la baguette, on découvre le jeune prodige letton Ainārs Rubikis (né en 1978), déjà primé aux concours de direction Gustav Mahler en 2010, à seulement 31 ans, puis l’année suivante à Salzbourg.
Ainārs Rubikis |
Le concert commence sur les chapeaux de roue avec Maslenitsa de Guillaume Connesson, brève ouverture symphonique en guise d’apéritif. Le compositeur français, en résidence à Besançon pour la saison 2014-2015, trouve son inspiration dans le folklore russe, le titre de l’œuvre faisant référence à la traditionnelle fête des crêpes – l’équivalent de notre Mardi gras. Rien d’étonnant, dès lors, à retrouver un véritable esprit de carnaval où s’entremêlent les emprunts les plus variés, du lyrisme hollywoodien cher à Korngold à l’intense frénésie du Prokofiev constructiviste, sans oublier de savoureux accents moqueurs aux bois – lointains échos du Concerto pour orchestre de Bartók. Ainārs Rubikis s’empare de ce petit bijou rutilant avec une maestria peu commune, faisant rugir l’orchestre dans un tempo très vif, d’une éclatante virtuosité.
Place ensuite à une pièce de jeunesse assez méconnue de Richard Strauss, composée à l’âge de 22 ans et plusieurs fois révisée avant d’acquérir son nom définitif, Burlesque pour piano et orchestre. Si la double influence de Brahms et Liszt paraît d’emblée patente, Rubikis fait valoir le formidable talent d’orchestrateur du compositeur bavarois par une attention à l’éventail de couleurs déployées en contraste avec les imprévisibles et incessantes ruptures rythmiques. Les attaques sèches de l’orchestre répondent à une approche non moins virile du pianiste Wilhem Latchoumia, résolument tourné vers le XXe siècle pour éviter tout épanchement romantique. A tout juste 40 ans, le français semble vouloir dévorer son instrument pour mieux faire l’étalage de son tempérament démonstratif, arborant une facilité déconcertante – un rien péremptoire. Si les prises de risque excusent certaines approximations, on aimerait davantage de respiration, à l’instar des dialogues intimistes avec les timbales où Latchoumia laisse entrevoir une touchante délicatesse. En bis, la virtuosité reprend ses droits avec l’irrésistible galop du «Polichinelle» de la Première Suite d’A prole do bebê de Villa-Lobos.
Après l’entracte, les instrumentistes tombent la veste, écrasés par la chaleur qui règne dans le théâtre. L’atmosphère irrespirable devient plus encore étouffante avec les premières notes de la Cinquième Symphonie de Chostakovitch, qui résonnent dans un rythme à la lenteur sépulcrale. Le climat de désolation imprimé par Ainārs Rubikis fait place à une triste résignation, rappelant ainsi combien le compositeur russe se sentait menacé après la mise à l’index de sa précédente symphonie par le régime stalinien. D’une étonnante lisibilité, la direction du chef letton offre à chaque pupitre des saillies individuelles déchirantes, comme autant de cris de révolte. Si l’Allegretto poursuit dans cette veine, le ton se fait plus extraverti, un sort semblant être réservé à chaque note. Rubikis muscle habilement le propos en contraste avec les deux mouvements qui entourent ce bref scherzo. Le chef letton ralentit à nouveau lors du Largo qui suit, imprimant un climat chambriste à la limite du murmure. Tout au long de la symphonie, on dénote une propension à jouer avec le tempo, ralentissant les passages mesurés, accélérant les parties plus vives. Le dernier tutti surprend ainsi par ses attaques sèches et ses scansions marquées, auquel succède l’écho des harpes au tempo mécanique, quasi hypnotique. Le célèbre final entonne son ode aux accents faussement triomphaux dans un rythme accéléré, l’orchestre faisant preuve d’une maîtrise hors pair. Tout est en place, sans aucun décalage. Les cordes à pleine puissance répondent au martellement sauvage des timbales: la colère est bien là, loin d’une hypothétique célébration du régime en place. Une optique très sombre qui rapproche incontestablement Ainārs Rubikis de son illustre aîné, le chef allemand Kurt Sanderling.
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