mardi 22 décembre 2015

« Le Nain » d'Alexander Zemlinsky - Opéra de Chemnitz - 18/12/2015


A la tête d’une copieuse discographie principalement enregistrée pour la firme CPO avec son orchestre de la Philharmonie Robert-Schumann basé à Chemnitz en Saxe, Frank Beermann s’est surtout illustré dans la redécouverte des nombreux oubliés du répertoire symphonique (d’ Ernst Rudorff à Edwin Kallstenius par exemple) ou lyrique (s’intéressant notamment à Meyerbeer, Nicolai ou Schreker). En se tournant vers Le Nain (1922), il s’aventure en un terrain à peine plus connu du grand public, ce qui est assez regrettable lorsque l’on connaît tout l’impact dramatique attaché à cet œuvre en un acte de Zemlinsky. Souvent couplé avec une autre œuvre brève, Le Nain est ici produit seul, contrairement aux deux spectacles récents de Paris et Lyon, présentés tous deux avec L’Enfant et les sortilèges de Ravel.

Quelques années après son précédent opéra, Une tragédie florentine (1917), Zemlinsky s’inspire à nouveau d’Oscar Wilde en adaptant l’une de ses nouvelles les plus cruelles, L’Anniversaire de l’Infante. L’histoire de ce nain abusé par la beauté et les ambivalences amoureuses d’une Infante résonne avec la propre laideur du compositeur, toujours désabusé par la relation ambiguë avec son ancienne élève Alma Schindler, qui avait mis fin à plusieurs années d’atermoiements et d’espérance en épousant Gustav Mahler en 1902. Walter Sutcliffe parvient à évacuer l’une des principales difficultés de la mise en scène de cette œuvre en choisissant de grimer Dan Karlström non pas en nain, mais à la manière d’Elephant Man, autour d’un crâne déformé. Affublé d’un costume blanc bariolé de motifs aux couleurs rose et mauve, le personnage principal affiche sa superbe en un élan naïf, ignorant de sa laideur.


Autour de lui, la scénographie délurée pose d’emblée tous les stigmates d’une superficialité attachée à l’Infante et à tous ceux qui l’entourent, hormis la délicate et humaine Ghita. En les faisant évoluer dans des décors démesurés en forme de cadeaux aux couleurs extravagantes et au kitsch assumé, Walter Sutcliffe revisite sans cesse les tableaux au moyen d’un plateau tournant, se concentrant sur une direction d’acteurs riche et vivante, volontiers bon enfant avec ses jeux de polochon, ses présents improbables ou ses coiffures et ses costumes hors norme. Sutcliffe sait aussi s’assagir pour mettre en valeur le superbe et long duo entre les deux personnages principaux, qui permet de se délecter du raffinement enivrant et des beautés arachnéennes de la musique de Zemlinsky.


Frank Beermann et son orchestre ne sont pas pour rien dans ce plaisir constant, aux cordes irrésistibles dans l’expression des frémissements comme dans l’impact radieux des rares passages de lyrisme, sans jamais couvrir les chanteurs. A cet écrin idéal répond un exceptionnel Dan Karlström dans le rôle pourtant périlleux du nain, imposant autant l’émission souple de son beau timbre qu’une diction admirable de clarté. L’Infante de Maraike Schröter n’est pas en reste, grâce à sa voix de velours et à sa rondeur dans la ligne de chant, tandis que les seconds rôles se montrent tout autant admirables, de la parfaite déclamation de Kouta Räsänen (Estoban) à la superlative Ghita de Franziska Krötenheerdt.


De quoi ravir un public étonnamment peu présent dans la salle moderne de Chemnitz (suite aux détériorations des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, seul l’extérieur a été reconstruit à l’identique du bâtiment érigé en 1909), pour un spectacle en tout point remarquable (hormis un chœur de femmes peu à l’aise avec la justesse) et vivement conseillé.

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