mardi 19 septembre 2017

« Das Wunder der Heliane » de Korngold - Opéra des Frandres à Gent - 15/09/2017

Faut-il mettre en scène l’avant-dernier opéra méconnu de Korngold, Le Miracle d’Heliane (1927) ? A cette question, l’Opéra des Flandres répond positivement en confiant la production de cet ouvrage problématique à l’un des metteurs en scène les plus inspirés du moment, David Bösch – découvert en France à l’Opéra de Lyon avec Simon Boccanegra en 2014, puis Les Stigmatisés de Schreker l’année suivante. L’Opéra des Flandres commence également à bien connaitre son travail, avec deux productions déjà présentées à Anvers et Gand, en 2014 (Elektra) et 2016 (Idomeneo). De quoi se familiariser avec l’univers visuel de ce jeune metteur en scène allemand qui choisit ici, comme à son habitude, de dépoussiérer Le Miracle d’Heliane afin de l’ancrer dans un réalisme cru post-apocalyptique d’une violence digne de la série des films Mad Max. Créé la même année que le Jonny spielt auf de Krenek (l’un des plus grands succès de l’entre-de-guerre qui contribua à l’oubli rapide de la partition de Korngold), Le Miracle d’Heliane peine à convaincre du fait d’une inspiration musicale inégale, aux influences multiples : l’entrecroisement virtuose des timbres et mélodies saturées de couleurs, à la manière du dernier Schreker, plane sur le premier acte, alors que le II avec l’air le plus célèbre de la partition, le délicieusement sucré “Ich ging zu ihm”, s’apaise pour se rapprocher du vérisme. Les sirènes grandiloquentes d’une musique déjà cinématographique raisonnent quant à elle plus bruyamment au III, où le chœur se voit confier une place importante tout au long de l’action. On a là un compositeur toujours ivre de ses talents d’orchestrateur, qui expérimente de nouvelles sonorités et cherche un nouveau langage afin de dépasser ce statut de « Wunderkind » (enfant prodige) qui lui colle encore à la peau, à déjà trente ans.

L’autre grande critique faite à cet ouvrage concerne le livret mâtiné d’influences symbolistes – à l’instar de La Ville morte (1920), incontestable chef d’œuvre de Korngold. Le récit du parcours initiatique d’Héliane, à la découverte de son propre désir face à l’arrivée impromptue d’un « Etranger », laisse planer beaucoup d’interrogations sur les raisons de sa virginité : son mari, souverain malheureux et cruel d’un royaume en crise, est-il impuissant ou plutôt contrarié par son incapacité à accepter durablement les charmes de son ancien amant, le « Messager » ? A ces pistes sans réponses claires dans le livret, David Bösch ne s’intéresse nullement, préférant transposer l’action dans le camp retranché d’un Far West intemporel où le souverain impose la violence de son pouvoir sur des civils apeurés. Bösch s’impose surtout par sa scénographie méticuleuse aux éclairages splendides, dont le décor unique admirablement varié pendant les trois actes au moyen des différents accessoires (le lit trônant symboliquement en arrière-plan pendant la scène du procès), tout en se débarrassant de certains attendus – on pense à la geôle absente au premier acte. Dans cet esprit, Bösch enrichit le livret par des ajouts réalistes, telles les nombreuses hésitations d’Héliane dans la fameuse scène où elle se déshabille face à l’étranger : la jeune femme passe son temps à enlever puis remettre ses habits, là où le livret est plus directif dans l’effeuillement total de son intimité. Plus contestable, mais sans doute plus crédible dramatiquement, c’est le Souverain qui tue l’Etranger à la fin du II, alors que ce dernier est censé mettre noblement fin à ses jours avec la dague d’Héliane.
 
Le plateau vocal réunit à Gand se montre d’une belle homogénéité, même si l’on pourra émettre quelques réserves à l’encontre de l’Etranger incarné par un pâle Ian Storey. Outre un manque de charisme peu en phase avec le rôle, le ténor britannique souffre d’une émission étroite et d’une faible projection que compense à peine ses phrasés souples et harmonieux. On lui préfère grandement l’éloquence de Tómas Tómasson (le Souverain), très investi dramatiquement, tandis qu’Ausrine Stundyte (Heliane) déçoit dans un premier temps avec un vibrato trop prononcé dans l’aigu, avant de pleinement convaincre dans la fureur du III, où son tempérament de feu achève de composer son personnage. Natascha Petrinsky (le Messager) a pour elle de beaux graves cuivrés, tandis que Markus Suihkonen se distingue par une belle élégance dans son rôle du Portier. On mentionnera enfin un superlatif Denzil Delaere (le Juge aveugle), très à l’aise dans ses différentes interventions, à l’instar des chœurs, parfaits. Le Britannique Alexander Joel tire quant à lui le meilleur de l’Orchestre de l’Opéra des Flandres, même si ses tempi dantesques déçoivent dans le I à force de précipitation. On aurait aimé, en lieu et place des notes courtes ouvragées en pastel, davantage de respiration contrastée avec un affrontement expressionniste des pupitres, capable de mettre en valeur l’opposition des mélodies entre elles. Rien d’indigne cependant tant la musique de Korngold sait s’épanouir dans les deux actes suivants, mieux maitrisés. Gageons que les prochaines soirées sauront donner à l’orchestre le temps nécessaire pour bien apprivoiser cette musique aussi diverse que complexe. On notera enfin qu’une autre production du Miracle d’Heliane sera présentée début 2018 au Deutsche Oper de Berlin, dans la mise en scène de Christof Loy.

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