Attaché à l’Opéra des Flandres depuis le début des années 1990, le
metteur en scène Guy Joosten vient d’annoncer que la présente production
de Cardillac serait sa dernière proposée dans la grande institution
belge. Gageons cependant qu’il sera encore possible de revoir certaines
de ses productions emblématiques à
l’occasion de reprises bienvenues. En attendant, le metteur en scène
flamand s’attaque à Cardillac (1926), tout premier opéra d’envergure de
Hindemith après ses premiers essais en un acte, notamment Sancta Susanna
en 1922 (entendu notamment à Lyon en 2012).
Après la mise en scène élégante de Cardillac donnée à l’Opéra de Paris en 2005 et reprise en 2008, où André Engel donnait
au héros des allures de gentleman cambrioleur, Guy Joostens
s’intéresse à la figure de l’artiste dans sa folie créatrice : on
découvre ainsi un Cardillac qui joue une sorte de Monsieur Loyal envers
et contre tous, manifestement grisé par la reconnaissance enfin acquise
auprès du peuple unanime en début d’ouvrage. La transposition dans les
années 1920 est une réussite visuelle constante, avec une utilisation
discrète mais pertinente de la vidéo dans les images de la foule en noir
et blanc (on pense immédiatement aux grands cinéastes de l’époque tel
que Fritz Lang), le tout en une scénographie épurée qui met en avant de
splendides éclairage aux tons mordorés, sans oublier l’ajout d’éléments
grotesques dans l’esprit de George Grosz : cette dernière idée est
particulièrement décisive pour figurer un Cardillac psychologiquement
atteint, mais toujours flamboyant dans son irrationalité apparente. Les
quelques accessoires révélés viennent toujours finement soutenir le
propos, tels ces coussins dorés en forme de boyaux qui suggèrent à la
fois les méfaits de l’assassin passé et à venir, tout autant qu’un écho à
la folie matérialiste du Gripsou qui sommeille en lui.
Face à cette belle réussite, quel dommage que la direction terne et sans esprit de Dmitri Jurowski ne
vienne gâcher la fête pendant toute la soirée : pourtant spécialiste de
ce répertoire, le chef allemand se contente de battre la mesure en des
tempi allants qui refusent respirations et variations, au profit d’une
lecture qui privilégie résolument la musique pure. C’est d’autant plus
regrettable que l’Orchestre de l’Opéra des Flandres se
montre à la hauteur, mais ne peut rien face à cette battue indifférente à
toute progression dramatique, dont seuls les passages apaisés
permettent aux chanteurs de se distinguer quelque peu.
Ainsi du formidable Cardillac de Simon Neal,
très investi dans l’exigeant parlé-chanté (sprechgesang), et ce au
moyen d’une émission puissante mais toujours précise. A ses côtés, Betsy Horne (La fille de Cardillac) n’est pas en reste, même si on lui préfère plus encore la vibrante Theresa Kronthaler
(La Dame), par ailleurs excellente actrice. Si on aurait aimé un Sam
Furness davantage affirmé dans son rôle de Cavalier, aux aigus parfois
serrés, Ferdinand von Bothmer (L’Officier) convainc davantage avec son timbre clair. Enfin, Donald Thomson
(Le Marchand d’or) se distingue dans son court rôle par ses
phrasés souples et parfaitement projetés, tout autant qu’un superlatif
choeur de l’Opéra des Flandres, une fois encore admirable de cohésion
dans chacune de ses interventions.
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