La déception domine après la découverte de la création française, à Nancy, puis Dijon, de Görge le rêveur,
troisième opéra d’Alexander von Zemlinsky (1871-1942). On attendait
sans doute trop de cette coproduction, tant la musique de Zemlinsky
reste injustement méconnue en France, et ce malgré des efforts constants
depuis plusieurs années, dans le domaine lyrique surtout. Outre les
deux chefs-d’œuvre vénéneux adaptés d’Oscar Wilde, Le Nain (voir notamment à Lille en 2017) et Une tragédie florentine (voir notamment à Lyon en 2012), on pourra citer la récente production lyonnaise du Cercle de craie. Le compositeur autrichien semble aussi retrouver une certaine aura dans les salles de concert avec sa fantaisie symphonique La Petite Sirène (voir notamment ici), au souffle postromantique lumineux proche de Rimski-Korsakov et Rachmaninov.
Composé trois ans plus tard, en 1906, l’opéra Görge le rêveur, en
grande partie autobiographique, montre un visage autrement plus sombre
du compositeur: le récit initiatique révèle un être profondément
dépressif, incapable de se résoudre aux faux-semblants d’un mariage
arrangé, attiré par les sirènes du monde et la beauté féminine – en un
miroir criant de ressemblance avec l’histoire personnelle du
compositeur, notamment son amour déçu pour Alma Mahler. Loin de se
saisir de ces sujets passionnants, le livret de Leo Feld souffre d’un
symbolisme trop simpliste, tournant en rond rapidement: pour éviter de
résoudre les hésitations entre rêve et réalité, le désir de mort est-il
préférable ? Si le livret aurait ainsi gagné à être resserré, la musique
de Zemlinsky déçoit aussi quelque peu, tant elle reste encore ancrée
dans un postromantisme prévisible, là où les ouvrages ultérieurs sauront
dépasser ces prudences, dans les pas de Schreker. Quelques passages,
toutefois, montrent le compositeur à son meilleur, telle la scène finale
de l’acte I ou les rêveries doucereuses au II.
Il faut dire que la direction effacée et extérieure de Marta Gardolinska
(née en 1988) n’aide pas à faire ressortir les humeurs changeantes au
I, se bornant à lisser les angles, sans relief. Le geste legato convient
mieux à l’apaisement qui suit, mais reste peu adapté à ce répertoire.
On aimerait une direction autrement plus imaginative, avec davantage de
prise de risques, pour affronter toutes les beautés du génial
orchestrateur qu’est Zemlinsky, et ce d’autant plus que l’adaptation
pour orchestre de chambre, due à Jan-Benjamin Homolka, réduit – de fait –
les effets de masse. Fort heureusement, le plateau vocal donne
davantage de satisfactions avec la classe vocale de Helena Juntunen
(Gertraud, la Princesse), trop rare en France malgré ses prestations
alsaciennes remarquées (dans Le Son lointain et Salomé).
Sa présence scénique comme son aisance vocale sur toute la tessiture
sont un régal de chaque instant, à l’instar du superlatif Kaspar de
Wieland Satter, impressionnant de couleurs et de puissance maitrisée.
Dommage que Daniel Brenna (Görge) ne se hisse par à leur niveau, souvent
gêné par les brusques changements de registre et les accélérations au
I, qui mettent à mal l’expression de son timbre. Peu à peu, il impose
toutefois un mélange de puissance et de sensibilité dans son
incarnation, faisant croire aux errances troubles de son personnage.
Tous les autres rôles se montrent à la hauteur, particulièrement la
musicalité subtile d’Allen Boxer (Hans), à qu’il ne manque qu’une
projection plus affirmée pour convaincre totalement.
On est moins séduit en revanche par la mise en scène illustrative et peu imaginative de Laurent Delvert (découvert ici même voilà deux ans),
qui revisite un décor unique pendant toute la représentation avec
quelques éclairages en demi-teinte, savamment distillés en seconde
partie. Si certains détails saillants, telle la scène de vendetta
villageoise avec la sorcière, montrent un goût évident pour la
stylisation plastique, c’est hélas trop peu pour animer un ouvrage
lyrique sur la durée. Outre une direction d’acteur par trop discrète, on
regrettera de nombreuses maladresses, comme de faire chanter le
rôle-titre dos à la scène, assis ou allongé pendant pratiquement tout le
I, ou encore d’infliger une bruyante et sous-utilisée rivière en milieu
de scène. De même, on est peu convaincu par les scènes oniriques dans
les blés au I, qui tombent à plat à force de pudeur et de retenue. On ne
peut que vivement conseiller à ce jeune metteur en scène de s’affirmer
avec davantage d’audace à l’avenir afin de dépasser la seule
illustration visuelle convenable et consensuelle.
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