mercredi 31 octobre 2012

« Le Son lointain » de Franz Schreker - Opéra du Rhin - 27/10/2012

Rivale de Richard Strauss en son temps, l’œuvre de Franz Schreker résonne enfin en France. Strasbourg relève le défi malgré des chanteurs d’inégale valeur.


Photo Alain Kaiser
Décidément, les maisons d’opéra françaises créent l’évènement en ce début de saison. En multipliant les créations scéniques originales, l’audace ainsi affichée permet de défricher le répertoire et d’accompagner le public vers une curiosité toujours plus grande. Après la découverte des Deux veuves de Bedřich Smetana à Angers-Nantes, place cette fois à la deuxième œuvre lyrique de Franz Schreker à l’Opéra national du Rhin *. Un compositeur particulièrement revisité avec la représentation du Chercheur de trésor (Der Schatzgräber) à l’Opéra d’Amsterdam il y a un mois, et des Stigmatisés (Die Gezeichneten) à l’Opéra de Cologne en avril‑mai 2013.
Complétement méconnu de nos jours, Schreker a pourtant été le grand rival de Richard Strauss en Allemagne lors des premières années de la république de Weimar, avant de subir l’opprobre des nazis pendant les années 1930. Destitué de ses fonctions de directeur du conservatoire de Berlin en 1932, il est classé parmi les « compositeurs dégénérés », à la fois pour ses origines juives, mais aussi pour ses livrets d’opéra qui heurtent l’idéal nazi par leurs préoccupations réalistes et psychologiques, jugées triviales.

Le Son lointain raconte ainsi l’inexorable déchéance de Grete Graumann, une jeune fille abandonnée par celui qu’elle aime, le compositeur Fritz qui part courir le monde à la recherche de l’inspiration, ce son lointain qu’il ne parvient pas à relier à Grete. Celle‑ci, en fuite pour échapper au mariage que ses parents lui destinent, trouve refuge dans un bordel vénitien où le sort va à nouveau la confronter à Fritz. Achevée en 1912 après une longue gestation, l’œuvre de Franz Schreker introduit de nombreux éléments biographiques dans un livret conçu par le compositeur lui‑même. Si le personnage de Grete fait immanquablement référence à la Greta dont Schreker est amoureux, la vie dissolue du compositeur dans le Berlin de l’entre-deux-guerres lui sert de matériau pour la description des bas‑fonds.

Une mise en scène statique

La mise en scène de l’ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg, Stéphane Braunschweig, choisit d’évacuer tout naturalisme en proposant des tableaux très stylisés qui anticipent sur le déroulé du récit par la mise en avant de symboles récurrents. La fuite de Greta se déroule ainsi dans une forêt de quilles géantes, qui suggère son incapacité à prendre en main son destin, tandis que le surprenant décor de coulisses d’opéra, présent au premier puis au troisième acte, décrit d’emblée la mise en abyme qui attend l’auditoire. Même si ce procédé, utilisé par Richard Strauss dans sa première version d’Ariane à Naxos en 1912, est parfaitement amené par Braunschweig, son approche trop intellectuelle, trop statique dans l’animation des scènes joyeuses, met à nu des chanteurs souvent à la peine.

Des aigus forcés

Présente dans la quasi-totalité de l’opéra, la Grete d’Helena Juntunen réalise une performance vocale tout à fait honorable pour un rôle aussi lourd, peinant seulement dans des aigus forcés. Comédienne convaincante, elle surclasse sans mal le beau chant placide de Will Hartmann, qui compose un Fritz bien pâle. Si l’opéra est compliqué à monter compte tenu de ses nombreux personnages (22 au total, interprétés ici par 14 chanteurs), la production relève le défi avec des seconds rôles parfaits, hormis la décevante vieille femme, interprétée par Livia Budai.

Mais c’est surtout la prestation d’un Orchestre philharmonique de Strasbourg, dirigé de main de maître par Marko Letonja, qui dévoile l’art de Schreker, capable d’embrasser tous les styles, du postromantisme au vérisme, annonçant parfois Berg. Une musique scintillante, opulente et capiteuse, qui résonne enfin dans une salle française cent ans après sa création. 


* Comme Angers-Nantes Opéra, cette institution a la particularité de partager ses représentations entre les villes voisines d’une même région, ici Strasbourg, Mulhouse et Colmar.

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