En ce début d’été, on ne remerciera jamais assez l’Opéra de Francfort de réunir à la scène le rare poème lyrique La Damoiselle élue (1888) de Debussy et l’oratorio dramatique Jeanne d’Arc au bûcher
(1938) d’Honegger. Données à la suite sans entracte, ces deux œuvres
courtes (vingt minutes pour la première et un peu plus d’une heure pour
la seconde) s’enchaînent naturellement au moyen d’une scénographie
unique pendant toute la représentation, simple mais pertinente, qui
sépare les dorures du monde céleste des bas-fonds crasseux en dessous.
Quel bonheur de découvrir sur scène ce poème adapté du fondateur du
préraphaélisme Dante Gabriel Rossetti (1828-1882), où Debussy se laisse
étreindre par un lyrisme wagnérien, sans jamais tomber dans l’emphase
pour autant. La mise en scène d’Alex Ollé de La Fura dels Baus ne s’y
trompe pas, en choisissant un minimalisme fort à propos, permettant
l’expression d’un chant dénué de toute virtuosité, rappelant autant la
palette de couleurs de Paul Dukas (à qui l’œuvre est dédiée) que
l’éloquence sereine de Lorenzo Perosi (1872-1956). La Damoiselle et la
Narratrice se répondent en miroir sans jamais se croiser, chacune dans
leur solitude respective. Admirables de bout en bout, Elizabeth Reiter
et Katharina Magiera font valoir des phrasés superbes, même si l’on
pourra seulement regretter le français peu compréhensible de la première
dans le rôle de la Damoiselle.
A l’émotion à fleur de peau de Debussy succède le rythme fiévreux du supplice de Jeanne d’Arc, l’un des chefs-d’œuvre de Honegger, encore récemment mis en scène par Romeo Castellucci à Lyon. La mise en scène délirante d’Alex Ollé nous plonge dans une ambiance post-apocalyptique sombre et poisseuse qui n’est pas sans rappeler le film Mad Max. Toute l’idée est d’insister sur l’ignorance et la barbarie de la foule, omniprésente dans l’ouvrage du compositeur suisse. A l’exception des dignitaires religieux et de Jeanne d’Arc, tous les personnages en haillons se voient privés de dessous: dans le plus simple appareil, les hommes déambulent ainsi le sexe apparent pendant toute la représentation. Comme un apanage des temps modernes, tous portent en réalité une prothèse particulièrement réaliste, ce qui ne manque pas d’occasionner les commentaires nombreux de la foule à l’issue du spectacle.
Comme à l’habitude, Francfort parvient à réunir un plateau vocal d’une remarquable homogénéité, tout en confiant à deux interprètes d’exception les rôles parlés de Frère Dominique et Jeanne d’Arc – particulièrement la touchante et fragile Johanna Wokalek, au français impeccable. On mentionnera encore la direction raffinée et subtile de Marc Soustrot, très inspiré pendant toute la soirée à l’instar des chœurs – adultes et enfants – de Francfort.
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