jeudi 23 janvier 2020

« Saul » de Georg Friedrich Haendel - Théâtre du Châtelet - 22/01/2020


Montée au festival de Glyndebourne en 2015, la production de Saül imaginée par Barrie Kosky a fait depuis le tour du monde, d’Adelaïde à Houston, en passant cette fois par Paris – à chaque fois avec un succès public et critique amplement mérité. On ne peut que souhaiter à ce spectacle de poursuivre plus avant son itinérance, à l’instar de l’emblématique Flûte enchantée présentée un peu partout et qui fait office de carte de visite pour le metteur en scène australien. Grâces soient aussi rendues au Théâtre du Châtelet pour avoir eu la bonne idée de faire découvrir ce spectacle au public parisien, venu en nombre pour la première mardi soir.

Il est vrai que cette grande maison n’a pas ménagé ses moyens pour réunir des interprètes à la hauteur de l’événement – au premier rang desquels le chœur constitué spécialement pour l’occasion, vivement applaudi en fin de représentation pour sa cohésion et son engagement. Compte tenu de son rôle très important dans l’ouvrage, c’est là l’un des atouts décisifs de la soirée, permettant de découvrir cet oratorio dans les meilleures conditions. On se réjouit aussi de constater combien l’inspiration de Haendel est ici à son meilleur, autant par la variété des sentiments à l’œuvre que l’efficacité dramatique apportée par des récitatifs et des airs assez brefs (en comparaison des opéras du même Haendel). Mais c’est peut-être plus encore la richesse du livret de Charles Jennens qui explique l’intérêt de grands metteurs en scène pour cet ouvrage: la folie de Saül y rencontre l’ascension inexorable de son successeur David, sur fond de rivalités féminines et d’ambiguïtés avec son «ami» Jonathan.

Pour autant, Barrie Kosky surprend en replaçant d’emblée les destins individuels dans leur contexte guerrier: c’est bien la victoire contre Goliath et les Philistins qui permet à David de s’élever au-delà de sa condition, avant la défaite finale de Saül contre les Israéliens. L’immense tête coupée du géant, qui se dévoile peu à peu dans la pénombre, constitue la première image forte du spectacle, en guise de métaphore de la barbarie humaine. Entre les deux conflits, Kosky donne à réfléchir sur la capacité humaine à reproduire à l’infini son addiction à la violence et aux instincts mortifères: en faisant évoluer les protagonistes sur un tapis de cendres évocateur des lendemains de la guerre, Kosky met en relief l’insouciance et la frivolité de la foule des vainqueurs, ivres de leur succès et oublieux de la nécessité de préparer une paix durable. La transposition dans la haute société de Cour au temps de Haendel se montre on ne peut plus pertinente, tant Kosky nous donne à voir une élite décadente, crédule et stupide, autour d’une direction d’acteur vibrante et inventive qui rappelle souvent les outrances baroques imaginées par Federico Fellini pour son film Satyricon (1969).

La scénographie splendide moque les instincts carnassiers primaires des survivants, fiers de leur gibier étalé comme des trophées, tandis que les six danseurs mènent l’insouciance générale en multipliant les cabrioles dans un esprit populaire et premier degré, digne du XVIIIe siècle. Après l’entracte, la folie de Saül légitime le recours à un décor plus sombre, subtilement varié par Kosky: autant l’apparition surréaliste du chef d’orchestre à l’orgue que la scène de la sorcière marquent durablement les esprits. Très applaudi en fin de représentation, le metteur en scène australien n’oublie pas de se tourner vers le plateau vocal réuni, autre grand triomphateur de la soirée. Même si certains interprètes montrent quelques limites dans la projection vocale, peinant à passer la rampe, l’attention portée à la diction et à l’interprétation théâtrale donne un intérêt saisissant au spectacle. C’est sans doute ce qui explique pourquoi Christopher Purves a choisi de maintenir sa présence sur scène afin d’incarner Saül de toute sa majesté inquiète et hallucinée – accompagné d’Igor Mostovoi qui chante le même rôle depuis la fosse, avec beaucoup de mordant. A ses côtés, Christopher Ainslie interprète un David de grande classe, particulièrement émouvant dans ses airs délicats, tandis que David Shaw (Jonathan) n’est pas en reste dans la plénitude des phrasés, malgré un début un peu hésitant. Rien de tel pour Karina Gauvin (Merab) qui impose immédiatement son tempérament et ses accents toujours aussi pertinents de vérité dramatique, et ce malgré une tessiture grave que l’on aurait aimé plus fournie encore. Anna Devin semble se jouer aisément de toutes les difficultés vocales de son rôle de Michal, autour d’une ligne de chant harmonieuse et fluide, véritable délice pendant toute la soirée. Enfin, Stuart Jackson donne beaucoup de satisfactions, autant au niveau de la solidité vocale que dans la malice de son interprétation.

L’ensemble est mené de main de fer par un Laurence Cummings vif et tranchant, à la tête d’un orchestre des Talens lyriques affermi dans les graves. On pourra juste noter quelques raideurs dans l’Ouverture, bien vite rattrapées par des qualités audibles dans l’accompagnement, entre attention aux chanteurs et rigueur dans la rythmique.

lundi 20 janvier 2020

Concert de l'Orchestre symphonique de Chicago - Riccardo Muti - Philharmonie de Paris - 17/01/2020


Alors qu’il nous a déjà gratifié du privilège de la lecture de ses mémoires, le grand chef napolitain Riccardo Muti (78 ans) n’en finit pas d’assurer une présence régulière à Paris d’année en année, le plus souvent avec l’Orchestre national de France en tant que chef invité, ou plus logiquement avec “son” Orchestre symphonique de Chicago, dont il est le directeur musical depuis 2010. C’est précisément avec la prestigieuse formation américaine qu’on le retrouve à la Philharmonie pour l’un des concerts les plus attendus de la saison – pour preuve la salle remplie à craquer ce vendredi soir. Riccardo Muti entonne les premières mesures de l’ouverture du Vaisseau fantôme (1843) de manière tonitruante, imprimant une tension palpable, entre attaques sèches aux cuivres et architecture globale bien dessinée. Les parties plus apaisées laissent entrevoir un ralentissement de tempo – une constante pendant toute la soirée – au service d’une lecture plus analytique qui fouille la partition sans jamais sacrifier au rythme. On se régale des infimes nuances que le maestro révèle avec délice, en un art des crescendos et des transitions qui laisse sans voix, évitant le triomphalisme parfois audible dans cette partition qui donne la part belle aux fanfares de cuivres. Les cuivres, au son clair impressionnant d’aisance, font honneur à la réputation de l’orchestre, qui n’est plus à faire en ce domaine.

Changement d’atmosphère audible dès le début de la superbe Symphonie “Mathis le Peintre” (1934), avec des trombones quasi en sourdine et un premier crescendo très lent qui refuse tout spectaculaire, au service d’une parfaite mise en place et d’un contrôle éminemment corseté de l’orchestre. Le refus de l’élan narratif sera une constante pendant les trois mouvements, Muti cherchant davantage à faire ressortir quelques détails inattendus dans les contre-champs, en allégeant grandement la texture d’ensemble. Ce geste sans concession fuit émotion et lyrisme pour privilégier la musique pure, sans aucun rubato. La discipline impressionnante de la formation, tout comme la somme qualitative des individualités ici réunies, donnent à ce parti-pris intellectuel une tenue particulièrement éloquente. Le dernier mouvement “La Tentation de Saint-Antoine”, plus vertical, fonctionne mieux dans cette optique, tant Muti fait valoir sa science des enchainements entre les différents matériaux assemblés par Hindemith, en un ton péremptoire bien vu. Muti fait là encore entendre quelques détails surprenants, de la mise en valeur de couleurs morbides jusqu’aux silences brucknériens, sans parler des crissements aux cordes aiguës qui annoncent Britten. Ceux qui voudront réentendre cette oeuvre au disque devront découvrir la version de Wolfang Sawallisch avec l’Orchestre de Philadelphie (Emi, 1995) – d’une perfection classique intemporelle, aux tempi tout aussi étirés que Muti, mais plus généreuse dans l’épanchement mélodique.

Après l’entracte, Riccardo Muti retrouve un ton plus direct avec la plus célèbre symphonie de Dvořák, tout en cherchant à faire ressortir quelques détails là encore, notamment d’infimes nuances dans les phrasés des cordes. Le Largo surprend davantage par son dépouillement et son côté extérieur, assez froid, qui bénéficie pourtant du superbe solo de cor anglais de Scott Hostetler, vivement applaudi en fin de soirée. Le tutti imprimé par les vents est particulièrement prononcé en contraste, tandis que l’on retrouve à nouveau des sonorités morbides aux cordes. Muti impressionne en fin de mouvement en marquant les silences, comme une nouvelle démonstration de l’absolu maitrise sur sa formation. Quelques bruissements de voix suivent avant que ne débute le Scherzo – le public semblant ainsi indiquer sa surprise face à cette interprétation volontairement peu orthodoxe. C’est précisément le Scherzo qui montre Muti à son meilleur, accélérant le tempo et faisant briller les vents, tandis que le finale voit la bride enfin se desserrer, mais toujours au service d’une leçon de direction d’orchestre dans la lisibilité, rappelant parfois l’art du regretté Lorin Maazel (1930-2014). Après avoir recueilli les applaudissements enthousiastes d’un chaleureux public parisien, le chef se tourne vers la salle pour annoncer, en un italien bien délié et compréhensible, un bis dédié à l’Intermezzo de Fedora de Giordano, qu’il justifie en ces termes : “puisque Paris aime l’opéra”. Un dernier moment de grâce où Muti laisse entrevoir tout son amour pour le répertoire italien, qu’il a constamment défendu pendant toute sa carrière, y compris par la résurrection de raretés dues à Jommelli, Salieri et tant d’autres.

samedi 18 janvier 2020

« Le Code noir » de Louis Clapisson - Centre des Bords de Marne au Perreux-sur-Marne - 16/01/2020


Complètement oublié depuis la fin du XIXe siècle, Louis Clapisson (1808-1866) a pourtant représenté pour plusieurs générations la figure de l’académisme encensé par ses pairs, lui valant son fait de gloire le plus connu lorsqu’il bat Berlioz pour succéder à Halévy à l’Académie des Beaux-Arts en 1854. Plus étonnant, on rappellera que l’achat de sa collection d’instruments de musique par l’Etat est à l’origine de la création du tout premier Musée instrumental national, ancêtre de l’actuelle collection basée à la Philharmonie. Même si on peut lui reprocher un manque d’originalité, la musique bien troussée de Clapisson mérite pourtant d’être revisitée, tant sa grâce et sa fluidité rappellent ses prédécesseurs Adam et Auber. On ne peut donc que féliciter Jérôme Correas de faire revivre sa musique à l’occasion d’une tournée à travers toute la France, commencée l’an passé à Quimper, et qui devrait se poursuivre jusqu’en 2021 avec plusieurs dates non encore annoncées. Le sujet de l’ouvrage, qui situe l’action au XVIIIe siècle, donne aussi tout son intérêt à cette recréation.

Six ans avant l’abolition officielle de l’esclavage dans les colonies françaises, Louis Clapisson et son librettiste Eugène Scribe surprennent en plaçant le sujet sur le devant de la scène avec l’opéra-comique Le Code noir (1842). Clapisson obtient alors un succès modeste, loin du triomphe de 1856 avec La Fanchonnette, et ce malgré un incontestable savoir-faire dans l’orchestration (savoureux détails piquants aux vents, à la manière de Meyerbeer) ou dans la variété des scènes exotiques – de l’orage à la vente aux enchères des esclaves, sans parler de la figure de Zamba, câpresse de caractère qui aurait pu donner son nom à l’ouvrage tant son rôle est marquant, tour à tour séductrice et cartomancienne, plus fragile ensuite lorsque ses secrets se dévoilent. Malgré son titre accrocheur, le livret ne cherche pas à défendre un point de vue politique, préférant se concentrer sur un marivaudage bien ficelé, même si l’on pourra sourire à la conclusion hâtive des différentes sous-intrigues. Afin de pallier ces défauts et contextualiser davantage le propos, Jérôme Correas a la bonne idée d’ajouter en préambule la lecture d’extraits du code noir, et le spectacle se conclut par un texte court et fort d’Aimé Césaire, à propos de la révolte qui gronde dans les colonies.

Avec peu de moyens, notamment pour ce qui est de la scénographie unique pendant tout le spectacle, Jean-Pierre Baro reste au plus des intentions du livret, notamment en figurant bien l’opposition entre colons et esclaves dans les costumes. On aime aussi la mise en valeur des éléments à l’extérieur de la maison, de la fine pluie à l’orage (toutes deux en forme de métaphore de la tension sous-jacente), tandis que l’ajout de la musique moderne en arrière-scène, lorsqu’une fête est donnée au II, apporte un peu de fantaisie. C’est principalement sur une direction d’acteur soutenue que Jean-Pierre Baro trouve une vérité dramatique prenante – pour preuve la parfaite concentration du public (scolaires compris) pendant les deux heures de représentation sans entracte.


 
Jérôme Correas se montre particulièrement affuté dans la fosse, donnant une belle énergie à ses troupes, tandis que l’effectif allégé aux cordes fait ressortir les saillies savoureuses aux vents, tels les appels de cors et de basson qui évoquent le rapport dominé-dominant inhérent à la chasse à courre. Le directeur et fondateur des Paladins, depuis 2001, a su réunir un plateau vocal d’une belle homogénéité, tout à fait à la hauteur de l’événement. Autour des impeccables Nicolas Rigas (Feuquière) et Jean-Loup Pagésy (Palème), aux phrasés confondants de naturel, le jeune ténor Martial Pauliat (né en 1992) se distingue dans son rôle de Donatien, entre parfaite maîtrise technique et éclat, le tout avec un bel aplomb. Seules les parties parlées apparaissent un rien en retrait.

A ses côtés, Marie-Claude Bottius (Zamba) est plus inégale vocalement, du fait d’une émission étroite mise en difficulté dans les accélérations, où le timbre perd en substance. C’est d’autant plus dommage qu’elle laisse entrevoir de superbes couleurs dans les parties plus apaisées, sans parler de ses intentions dramatiques. Insolente d’aisance, Isabelle Savigny (Gabrielle) en fait parfois trop au niveau théâtral, tandis que la petite voix charmante et touchante de Luanda Siqueira (Zoé) fait mouche à chaque intervention. Enfin, Jean-Baptiste Dumora impose une belle vaillance dans la projection, et ce malgré un chant un peu raide qui n’évite pas quelques décalages avec la fosse.

mardi 14 janvier 2020

« Rusalka » d'Antonín Dvořák - Alan Lucien Øyen - Opéra des Flandres à Gand - 11/01/2020


Nouveau directeur artistique de l’Opéra flamand / Opera Ballet Vlaanderen, depuis le début de la saison 2019-2020, Jan Vandenhouwe s’est fait connaître en France comme dramaturge, notamment à l’occasion de son travail avec Anne Teresa de Keersmaeker pour le Cosi fan tutte présenté à l’Opéra de Paris. Avec cette nouvelle production de Rusalka (1901), c’est à nouveau à un chorégraphe qu’est confiée la mission de renouveler notre approche de l’un des plus parfaits chefs d’œuvre du répertoire lyrique : en faisant appel au norvégien Alan Lucien Øyen, artiste en résidence au Ballet national à Oslo, Vandenhouwe ne réussit malheureusement pas son pari, tant l’imaginaire visuel minimaliste ici à l’oeuvre, réduit considérablement les possibilités dramatiques offertes par le livret.

Øyen choisit en effet de circonscrire l’action dans un décor unique pendant toute la représentation, qui évoque une sorte de monumental double paravent en bois, proche d’une élégante sculpture contemporaine. Les interstices laissent entrevoir des jeux d’éclairage intéressants, dont les couleurs dévoilent alternativement les univers humains et marins, sans toutefois apporter de réelle valeur ajoutée à la compréhension des enjeux. On constate très vite qu’Øyen manque d’idées et se contente d’une illustration décorative, mettant au premier plan les danseurs qui doublent les chanteurs (trop statiques), à la manière du travail réalisé par Pina Bausch dans Orphée et Eurydice à l’Opéra de Paris. Là où Bausch nous avait émerveillé en restant au plus près des intentions musicales et dramaturgiques de l’ouvrage, Øyen s’enlise dans des mouvements trop répétitifs, aux ondulations nerveuses et désarticulées, au centre de gravité très bas. Si l’animalité qui en découle peut convenir à l’évocation du merveilleux (ondine et sorcière réunis), on est beaucoup moins convaincu en revanche sur le travail peu différencié réalisé avec le Prince et ses courtisans.

Le plateau vocal réuni permet de retrouver la Rusalka de Pumeza Matshikiza, entendue récemment à Strasbourg. On avoue ne pas comprendre l’enthousiasme du public pour cette chanteuse très inégale, au timbre rocailleux, à l’émission souvent trop étroite, hormis lorsque la voix est bien posée en pleine puissance. Peu à son aise dans les accélérations, la Sud-Africaine ne convainc pas non plus au niveau interprétatif, à l’instar du pâle Prince de Kyungho Kim qui semble réciter son texte. Si le ténor coréen séduit par ses phrasés souples, naturels, bien placés dans l’aigu, il manque de graves pour convaincre totalement au niveau vocal. On perçoit le même défaut de tessiture chez Goderdzi Janelidze qui donne toutefois à son Ondin des intentions plus franches, à la voix généreuse dans l’éclat. Maria Riccarda Wesseling incarne quant à elle une Jezibaba à la technique propre et sans faille, un rien timide dans les possibilités dramatiques de son rôle, tandis que Karen Vermeiren donne à sa Princesse étrangère la solidité vocale requise. La satisfaction vient davantage des seconds rôles, à l’instar du truculent Daniel Arnaldos (Le garde forestier), à l’expression haute en couleur admirable de justesse, ou des parfaites et homogènes trois nymphes.
Giedrė Šlekytė
Mais c’est peut-être plus encore la direction constamment passionnante de la Lituanienne Giedrė Šlekytė (née en 1989) qui surprend tout du long par son à-propos dans la conduite du discours narratif : on aura rarement entendu une telle attention aux nuances, une construction des crescendos aussi criante de naturel, le tout en des tempi vifs, à l’exception notable des pianissimi langoureux. L’étagement des pupitres, comme l’allègement des textures, est un régal de subtilité, même si on aurait aimé davantage de noirceur dans les parties dévolues à l’Ondin ou à la sorcière. Cette baguette talentueuse devrait très vite s’imposer comme l’une des interprètes les plus recherchées de sa génération. A suivre.

lundi 6 janvier 2020

« Oeuvres de Farrenc, Beach et Clarke » - Trio Neave - Disque Chandos


Le regain d’intérêt porté à la musique de Louise Farrenc (1804-1875) dès le début des années 2000 a très vite permis à d’autres compositrices plus méconnues encore, de partager l’affiche avec l’une des plus grandes pianistes de son temps. Ainsi d’Amy Beach (1867-1944), honorée avec Farrenc en 2004, que l’on découvre dans ce disque avec sa dernière partition majeure, le Trio (1938): la variété d’atmosphère ici à l’œuvre nous rappelle combien cet enfant prodige impressionna ces contemporains en devenant la première américaine à composer une symphonie. Celle-ci reçut l’honneur d’une création par l’Orchestre symphonique de Boston en 1896, l’imposant du même coup au sein de l’école de Boston, avec ses contemporains Paine et MacDowell, notamment. On retrouve dans ce Trio, tour à tour évocateur et tourmenté, la sensibilité de Beach souvent incarnée au violon, tandis que le piano montre davantage de caractère en un rôle plus vertical.

Ce disque vaut également pour le lyrisme entêtant du Trio (1921) de Rebecca Clarke (1886-1979), d’une grâce ravélienne parfaitement rendu par le Trio Neave, qui ne cherche jamais à mettre en avant les traits individuels, restant toujours au service de l’élan narratif global. Le Trio (1843) de Farrenc montre davantage de classicisme, mais surprend par son ampleur (34 minutes) et son élaboration admirablement maîtrisée, qui donne une impression de fluidité très plaisante tout du long. Le piano domine les débats, tandis que les interprètes donnent une belle vivacité à l’ensemble, surtout dans l’entraînant dernier mouvement, sommet de l’ouvrage. Un très beau disque.

dimanche 5 janvier 2020

« Ravel à Gaveau » - Disque La Música


On ne saura trop recommander ce très beau disque qui réunit opportunément plusieurs ouvrages de Ravel créés à Gaveau, mais dont seul le Trio avec piano (1915) a été enregistré dans la prestigieuse salle parisienne. On trouve là l’une des plus belles versions de ce trio bien connu, en raison de l’élan narratif global bien rendu par la symbiose des interprètes. Cela n’exclut pas quelques traits individuels, de la fougue toujours maîtrisée de Svetlin Roussev à la grâce lumineuse de Denis Pascal, tandis que le fils de ce dernier, Aurélien, assure bien sa partie au violoncelle. Deux optiques s’affrontent entre le piano naturel et posé de Denis Pascal dans les Valses nobles et sentimentales (1911), à l’opposé d’un David Lively à la recherche d’infimes subtilités dans chaque phrasé du Tombeau de Couperin (1919), sans jamais tomber dans le maniérisme pour autant – le tout en des tempi aériens et stimulants. Les deux optiques sont un régal, tant ces deux œuvres trouvent des éclairages complémentaires sous ces doigts expérimentés. Le disque se conclut admirablement avec Tzigane (1924), interprété, une fois n’est pas coutume, en sa version originale pour luthéal. On mentionnera enfin la qualité éditoriale offerte à ce disque, de la riche iconographie aux présentations de Michel Fleury et Manuel Cornejo, indispensables à la nécessaire mise en perspective des œuvres entre elles ou avec la salle Gaveau.