mardi 25 novembre 2014

« Mefistofele » de Arrigo Boito - Nicola Luisotti - DVD EuroArts



On doit au flair d’Hugues Gall, alors directeur du Grand Théâtre de Genève, l’un des tout premiers succès de Robert Carsen en Europe avec la production du Mefistofele de Boito en 1989. Après plusieurs années de galère, le metteur en scène canadien allait ainsi inaugurer une éblouissante carrière internationale autour de projets ambitieux, de l’intégrale Puccini anversoise au remarquable Songe d’une nuit d’été présenté à Aix. Aux Etats-Unis, c’est par l’entremise de Samuel Ramey, emblématique titulaire du rôle de Mefistofele, que la production genevoise allait être reprise à San Francisco avant de faire le tour du pays comme une traînée de poudre. Déjà éditée en DVD avec Ramey, elle a fait l’objet l’an passé d’une nouvelle captation lors de son retour en Californie, fêtant l’événement autour d’un cast de haute tenue.

Décidément incontournable ces temps-ci, au DVD dans Le Prince Igor comme à l’Opéra national de Paris en février prochain dans ce même rôle de Méphistophélès (de Gounod cette fois-ci), Ildar Abdrazakov impose sa présence magnétique pendant tout l’opéra, porté par une aisance vocale confondante entre qualité de l’articulation, profondeur du timbre et variété des couleurs. A ses côtés, Ramón Vargas se montre plus en retrait côté interprétation, affichant mines et postures convenues avec une constance désarmante. Fort heureusement, sa prestation vocale convainc pleinement autour d’une technique très sûre, parfaitement posée. La prestation de Patricia Racette (Margherita) déçoit par son vibrato envahissant dans l’aigu ainsi qu’un surjeu particulièrement agaçant dans les scènes dramatiques ou... lors des applaudissements en fin de représentation. Sa puissance vocale pourra certes impressionner les amateurs du genre, même si ce type d’atout ne passe guère la rampe du DVD.


La direction de Nicola Luisotti, directeur musical de l’Opéra de San Francisco depuis 2009, apporte au drame majesté et ferveur, imprimant aux passages plus légers une note raffinée du plus bel effet. On aurait certes aimé, ici ou là, quelques détails plus fouillés, quelques saillies plus prononcées. Mais l’essentiel est là – épaulé par un chœur superlatif, particulièrement impressionnant dans le prologue. C’est précisément en cette première partie d’opéra que Carsen se montre le plus inspiré, dévoilant son idée maîtresse: faire de cette représentation une constante mise en abyme autour du théâtre dans le théâtre. Mefistofele surgit ainsi d’emblée de la fosse d’orchestre, tirant les ficelles d’un spectacle qui sera sien. Tandis que peu à peu émerge en fond de scène un vaste théâtre à l’italienne, les personnages du chœur apparaissent tous immobiles dans leur semblable tenue d’apparat vénitienne aux masques intimidants. Cette première collaboration avec le décorateur Michael Levine se montre très respectueuse de l’œuvre originale, imprimant aux différents tableaux contrastes et variété, tout en poursuivant habilement son idée du théâtre dans le théâtre. Et ce même si l’on pourra être quelque peu déçu par des scènes de chœur assez désordonnées, moins sobres et stylisées par rapport au «style Carsen» aujourd’hui bien connu.


Des réserves mineures cependant, compte tenu de la qualité générale de la production et d’une offre encore bien réduite en DVD pour ce Mefistofele pourtant si séducteur. Gageons que ce nouvel apport saura donner d’impétueuses envies à quelques audacieux producteurs.

mardi 11 novembre 2014

« La Cenerentola » de Gioacchino Rossini - Opéra d'Ecosse à Inverness - 06/11/2014


On ne saurait trop recommander chaleureusement la reprise de La Cenerentola coproduite entre l’Opéra du Rhin et l’Opéra écossais. Déjà donnée avec bonheur en Alsace en fin d’année dernière avec une distribution entièrement différente, cette production effectue en cet automne une vaste tournée à travers l’ancienne Caledonia – de Glasgow à Aberdeen, pour finir à Inverness et Edimbourg. Une «itinérance» que cette grande institution partage avec l’Opéra du Rhin, tout comme une volonté d’aller sans cesse à la rencontre de nouveaux publics autour d’événements entièrement gratuits, tel «Cinderella Unwrapped». Composées d’extraits en italien de l’opéra de Rossini, ces courtes représentations s’ajoutent aux opportunes conférences de présentation de l’œuvre données en chaque ville du parcours.

Si l’architecture moderne de l’Eden Court d’Inverness n’a rien d’impérissable, l’acoustique des lieux se révèle tout à fait satisfaisante, même si l’orchestre prend l’avantage sur le plateau. Fort heureusement, la direction toute en finesse de William Lacey, chef britannique découvert voilà quelques années à Paris dans l’excellente production du Roi malgré lui, surprend d’emblée par une lenteur très architecturée, offrant une sensation de transparence et d’élégance toute mozartienne. La virtuosité rossinienne semble gommée au profit d’un sens de la respiration qui offre aux bois des saillies poétiques particulièrement efficaces dans le soutien aux chanteurs. Un régal pendant toute la soirée!

Sur scène, le beau plateau homogène ici réuni est dominé sans conteste par la mezzo-soprano Victoria Yarovaya qui impose une Cendrillon au timbre chaud d’une belle ampleur, très à l’aise dans les périlleuses vocalises. A ses côtés, le Don Ramiro de Nico Darmanin affiche sa belle voix claire assise sur une technique sûre, seulement gêné par une émission un rien trop étroite. Son valet Dandini est interprété avec beaucoup d’à propos par l’impeccable Richard Burkhard, idéal de projection, à qui il manque juste un peu plus de couleurs pour pleinement convaincre. On reprochera peu ou proue la même chose à John Molloy (Alidoro), pourtant impressionnant de présence physique avec sa voix puissante bien maitrisée. Les deux sœurs de Cendrillon manquent quant à elles de projection pour faire oublier une composition trop surjouée. Rien d’indigne bien sûr, mais on préférera la prestation de Graeme Danby qui, malgré une voix bien à la peine dans les airs, compose un Don Magnifico truculent dans ses outrances scéniques.

La mise en scène de Sandrine Anglade lui offre de multiples occasions de mettre en avant son sens comique revigorant. La Française choisit en effet de revenir à la lettre d’une œuvre qui évacue toute magie pour faire la leçon à l’éternel barbon (ici le père de Cendrillon) et ses deux autres filles, ceci pour faire triompher la clémence de l’héroïne une fois sa bonté reconnue par tous. Cette volonté s’appuie sur un décor particulièrement habile qui enferme tout d’abord Cendrillon dans un univers figé, avant que la rencontre avec le Prince ne vienne ouvrir son horizon, les armoires en forme de confessionnal se déployant opportunément pour suggérer d’insolites tableaux. Superbe réussite visuelle, ces décors permettent à Eric Blosse de composer de subtils éclairages aux atmosphères évocatrices, dont les ombres mystérieuses des bois sculptés ne sont pas les moindres atouts.

On retient aussi les chorégraphies de Pascaline Verrier, toujours à propos et dans le sens de l’action. Le choix des costumes constitue une autre réussite avec ce mélange d’habits anciens et modernes, qui rappellent combien le conte de Cendrillon est intemporel autour de ses nombreuses versions à travers le monde. Volontiers surréalistes, les facéties de cette mise en scène apportent une bonne humeur un rien premier degré, mais qui colle à l’histoire pour lui redonner sa fonction première: faire rire. Et le public écossais est manifestement au rendez-vous, acclamant ce spectacle non seulement pour ses airs mais aussi à l’issue de plusieurs ensembles. Si vous êtes à Edimbourg, profitez des derniers jours pour applaudir ce spectacle vivement recommandé.

samedi 1 novembre 2014

« Mattutino de’ Morti » de Davide Perez - Giulio Prandi - Disque Deutsche Harmonia Mundi



Ces colonnes se sont déjà fait l’écho cet été, à Besançon puis à Ambronay, des concerts de Giulio Prandi (né en 1977), l’un des jeunes chefs très en vue du moment. Passionné d’un répertoire assez mésestimé, celui de la fin du XVIIIe siècle, il poursuit une très intéressante production discographique autour de la musique religieuse italienne de cette période. Après deux premiers disques remarqués, parus chez DHM/Sony, l’un consacré à Baldassare Galuppi (1706-1785) et l’autre à Niccolò Jommelli (1714-1774), il s’intéresse cette fois à une figure encore plus méconnue en la personne du compositeur napolitain Davide Perez (1711-1778). Prandi exhume une de ses œuvres les plus célèbres, éditée à Londres par la maison Bremner, après sa création en 1770 dans un monastère au sud de Lisbonne. D’abord maître de chapelle à Palerme, c’est à la cour du roi du Portugal que Perez passe l’essentiel de sa carrière, ce qui n’empêche en rien sa réputation de dépasser la péninsule ibérique.

Aujourd’hui, de trop rares enregistrements permettent enfin de réévaluer son importance, et ce malgré une quarantaine d’opéras composés, dont de très nombreux sur des livrets de Métastase. Seuls quelques extraits ont ainsi été enregistrés sur l’excellent disque L’Olimpiade sorte de pasticcio qui réunit des compositeurs ayant tous mis en musique cette œuvre, paru chez Naïve en 2012. Outre un autre disque consacré à des concertos pour flûte napolitains, paru chez Hyperion, rien en ce qui concerne Perez, ce qui rend ainsi encore plus précieuse cette gravure entièrement dédiée à la musique du compositeur. On doit à la Fondation Royaumont le soutien à ce projet, aidé par le festival de La Chaise-Dieu, qui consacra l’ouverture de son édition 2013 à Perez et son Matin des morts. Un titre un peu austère pour une œuvre qui ne l’est en rien. Son découpage en trois nocturnes, eux-mêmes divisés en trois réponses, cache une alternance de passages virtuoses pour chœur et d’airs raffinés à l’intérieur des réponses, rendant ainsi l’écoute particulièrement agréable dans sa constante variété.


Quant à l’interprétation, on avait déjà été particulièrement impressionné cet été en concert par la capacité de concentration de l’ensemble des interprètes, tous préparés avec une attention minutieuse par Giulio Prandi. Des qualités que l’on retrouve à nouveau, sans perdre pour autant l’élan propre au spectacle vivant. Sa direction vive et incisive est un régal de tous les instants, tandis que son orchestre se montre plus encore à un haut niveau, particulièrement des cuivres superlatifs. Prandi prend aussi un soin particulier à l’articulation, insistant sur la parfaite diction nécessaire à la transmission de l’émotion par la compréhension du texte chanté en latin, au-delà de la seule musique. A cet égard, le livret cite opportunément le critique musical William Thomas Beckford, fin connaisseur des textes liturgiques (à l’instar de ses contemporains), ému par la pièce de clôture au point de lui arracher quelques larmes. Mais ce sont aussi les deux solistes qui portent ce disque avec la même intensité. Salvo Vitale éclaire son timbre ample avec une belle respiration, tandis que Roberta Invernizzi se joue aisément de toutes les virtuosités qui font de cette œuvre un opéra sacré déguisé.


Assurément une nouvelle réussite de Giulio Prandi dont on attend déjà avec impatience le nouvel opus discographique. Vers quel nouvel horizon se portera son insatiable curiosité?