lundi 28 août 2023

Concerts de l’Orchestre national des Pays de la Loire - Festival de la Chaise-Dieu - 25/08/2023 et 26/08/2023

Parmi les concerts de la cinquante-septième édition du Festival de La Chaise‑Dieu, le premier proposé par l’Orchestre national des Pays de la Loire est certainement à recommander pour qui veut découvrir la musique classique, tant son programme enchaîne les « tubes ». En guise d’apéritif, l’Ouverture de l’opéra Rouslan et Ludmila (1842) de Glinka chauffe les troupes de l’orchestre par son énergie rythmique irrésistible de fraîcheur, faisant aussi valoir le don mélodique de son auteur. Le chef autrichien Sascha Goetzel, directeur musical de la formation depuis un an, ne se pose pas de questions et suit un tempo endiablé, tout en bondissant sur son podium d’un pupitre à l’autre. C’est une expérience à part entière que de le voir déployer une telle énergie, même si l’on redoute une certaine forme d’esbroufe.

La Suite de concert (1919) tirée du ballet L’Oiseau de feu de Stravinsky balaie ces doutes par l’exploration raffinée des détails d’orchestration, notamment le début mystérieux entonné par les graves. L’expressivité de la flûte langoureuse, aux effluves ravéliens, montre tout le goût du chef pour le mariage aérien des sonorités. Si les variations de tempo peuvent surprendre, le chef n’hésitant pas à ralentir les passages lents pour mieux accélérer les parties plus vives, ce geste apporte une vitalité toujours passionnante.

L’orchestre montre quelques faiblesses au début de la Neuvième Symphonie (1893) de Dvorák, notamment quelques imprécisions aux cors ou un manque de souplesse des premiers et seconds violons : ces quelques soucis sont rapidement balayés par le tempérament chaleureux de Sascha Goetzel, qui galvanise ses troupes par ses phrasés imaginatifs. Seuls les tutti déçoivent par leur aspect compact, tandis que le chef doit encore travailler les crescendi et descrescendi, trop extérieurs. On note aussi quelques imprécisions dans la mise en place, notamment une attaque en avance au hautbois, ou encore un décalage lors du choral introductif des cuivres, au début du mouvement lent. Mais l’Autrichien se rattrape par la hauteur de vue de son inspiration dans ce Largo, dont le climat évocateur est porté par le cor anglais, tandis que le Scherzo le montre aussi à son avantage, avec une pulsation rythmique des plus réjouissantes. Enchaîné immédiatement, en un tempo dantesque, le dernier mouvement soulève quelques murmures dans le public, qui a manifestement reconnu la mélodie entêtante. Bien qu’assez épais, les cuivres assurent l’essentiel, tandis que le chef met en valeur le beau pupitre d’altos, concluant l’ouvrage en majesté, sans ostentation.

Pour son second concert au festival de La Chaise‑Dieu, l’Orchestre national des Pays de la Loire choisit un programme faisant honneur à la musique française, plus intimiste que celui du premier (cf ci-dessus). Il débute avec la courte pièce Blue Spine (2018) de Clara Olivares (née en 1993), au climat morbide. Alors que la mélodie peine à émerger, des glissandi parcourent les cordes comme autant de bruitages inquiétants, dignes d’une musique de film d’horreur.

Avec Les Nuits d’été (1841/1856), on retrouve un des chefs‑d’œuvre les plus aériens et raffinés de Berlioz, ici interprété par Eva Zaïcik, au timbre chaleureux et velouté, toujours parfaitement posé. On aimerait certes davantage de prises de risque ici et là, en des tempi un rien plus allants, mais la mezzo française fascine par ses phrasés sereins et imperturbables, en un ton toujours très noble.


On retrouve un climat à la légèreté toute mozartienne avec la Symphonie en ut (1855) de jeunesse de Bizet : encore étudiant avec Halévy, le compositeur fait montre d’une maîtrise étourdissante de la forme comme de l’inspiration mélodique. Malgré un début un peu lourd et quelques cuivres parfois prosaïques, Sascha Goetzel apporte beaucoup de fraîcheur à son geste toujours réactif. Il donne aussi une coloration populaire au Trio du Scherzo en accentuant la partie aux altos et violoncelles, tout en ralentissant le tempo. Comme la veille et malgré les rappels, le public repart sans bis, sans doute déçu de ce manque de générosité estivale.

dimanche 27 août 2023

Concert de l'Orchestre français des jeunes - Alexandre Tharaud - Festival de la Chaise-Dieu - 25/08/2023

C’est toujours un plaisir de retrouver l’Orchestre français des jeunes et ses membres enthousiastes, dont plusieurs affichent des sourires complices tout du long du concert, le savourant comme si c’était le premier. Un événement pour nombre d’entre eux, d’autant que le premier morceau proposé, méconnu du grand public, ne leur facilite pas la tâche : avec la Suite tirée du ballet Callirhoë (1888) de Cécile Chaminade, on découvre pourtant une musique à l’orchestration gracieuse et au ton bucolique. Entonnée par des appels de la trompette solo, très en verve tout du long, la musique s’anime peu à peu, trouvant son point d’orgue avec le « Pas des écharpes » (« tube » de la partition), aux accents printaniers et orientalisants : si la conduite fluide et narrative du récit évoque Grieg, on aurait aimé davantage de mordant et de piquant dans la lecture un rien trop horizontale de Michael Schønwandt. Le chef danois semble plus à l’aise dans l’étagement des transparences féeriques du Scherzettino qui suit, au soyeux délicat. Enfin, le « Pas des cymbales » montre davantage de caractère en contraste, avec ses ruptures péremptoires, un rien trop massives par endroit.

Le Concerto en sol (1932) de Ravel apporte davantage de vélocité rythmique, en un ton assez vif, bien porté par le piano tout de lisibilité d’Alexandre Tharaud. Celui‑ci se montre encore plus à l’aise dans le mouvement lent évocateur – sommet de la partition, où sa sensibilité à fleur de peau s’exprime sans excès. Tout du long, Schønwandt impressionne par ses qualités d’accompagnateur, parvenant à faire ressortir quelques passages en ralentissant le tempo et en allégeant les textures, notamment l’échange enchanteur en sourdine au célesta et à la harpe dans le premier mouvement. La délicatesse des transitions, en contraste avec les ruptures, montre un chef toujours attentif à la respiration des phrasés. En bis, le court mouvement conclusif, aux verticalités explosives, est repris pour le grand bonheur de l’assistance.

Donnée dans la foulée, sans entracte, la Quatrième Symphonie (1878) de Tchaïkovski démarre sous les chapeaux de roue, avec son début difficile pour les cors. Aucun accroc ne vient ensuite perturber le concert, même si Schønwandt n’évite pas une certaine épaisseur dans les tutti : ce sont davantage les variations de climat, avec une attention inouïe aux transitions, qui semblent l’intéresser. Le chef danois n’hésite pas à ralentir les tempi pour embrasser des phrasés d’une grâce aérienne, admirablement suivis par ses jeunes troupes. Si le souffle épique est davantage porté par les premiers violons, au détriment des contrechants discrets, on aime la capacité de Schønwandt à imposer une vision personnelle, sans brider l’élan juvénile de ses interprètes.

En bis, l’élan irrésistible du final de l’Arlésienne (1872) de Bizet conclut ce très beau concert.

samedi 26 août 2023

Concert de l'Orchestre de l’Opéra de Lyon - Daniele Rustioni - Festival de la Chaise-Dieu - 24/08/2023

Pour sa cinquante-septième édition, le Festival de La Chaise‑Dieu accueille pour la première fois l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, à même de mettre en valeur les forces telluriques déployées par Wagner en seconde partie de concert. Avant l’entracte, la formation met un peu de temps à se chauffer dans le Second Concerto (1845) de Mendelssohn, peu aidée par un démarrage cafouilleux, entre décalage avec la soliste et sonorités trop doucereuses. On s’habitue peu à peu à la vision toute en mesure de Rustioni, qui fouille les détails de la partition en allégeant les textures. Ce tapis de velours offert à Francesca Dego, sa compagne à la ville, manque certes d’aspérités, mais permet au violon élégant de s’épanouir dans une lecture hédoniste, aux superbes sonorités. Les tenants d’un violon plus nerveux et bondissants en seront ici pour leur frais, Dego manquant manifestement d’épaisseur et de volume dans les tutti, ce qui est préjudiciable au dernier mouvement, plus virtuose.

Après l’entracte, on découvre l’étonnante « symphonie » appelée « Ring sans paroles », réalisée en 1987 par le chef d’orchestre Lorin Maazel, d’après les quatre opéras qui composent L’Anneau du Nibelung (1854‑1876) de Wagner. Sans ajouter une seule note de sa main, Maazel reprend certains passages tels quels, comme les premières notes fascinantes du Prélude de L’Or du Rhin, où la musique hypnotique et répétitive émerge peu à peu d’un magma en suspension, ou encore certains extraits bien connus des préludes, mais surprend plus encore par l’entremêlement des motifs issus des différents opéras, en un maelström sonore le plus souvent confié aux cuivres. Les rares moments d’apaisement confiés à la délicatesse des bois (évoquant les atmosphères bucoliques de la forêt) ou encore la mise en avant en solo du pupitre de violoncelles, sont rapidement balayés par le tempérament volcanique de Wagner, souvent mis en avant ici. Si l’acoustique de l’Abbatiale Saint‑Robert paraît parfois un rien trop compacte, Daniele Rustioni déjoue tous les pièges par son attention à la respiration et aux équilibres, évitant tout clinquant : son affinité avec ce répertoire prend toute sa mesure, comme nous l’avions déjà constaté récemment à Lyon, dans Tannhäuser. Jouées d’un seul tenant, à l’instar des derniers ouvrages lyriques de Wagner, les soixante‑dix minutes de ce « Ring sans paroles » ne manquent pas d’impressionner par leur emphase spectaculaire, digne du maître de Bayreuth.

vendredi 25 août 2023

Concert du Quatuor Arod - Festival de la Chaise-Dieu - 24/08/2023

  

Quel chemin parcouru par le Quatuor Arod, depuis son premier prix en 2015 au concours de musique de chambre Carl Nielsen ! Si le remplacement en cours de route de deux de ses membres n’a rien enlevé à la cohésion de l’ensemble, on reste surtout bluffé par la fraîcheur juvénile toujours à l’œuvre, comme si les années n’avaient aucune prise sur eux. Tout du long, on se régale ainsi des regards expressifs que s’échangent les différents interprètes, tout particulièrement à l’alto et au violoncelle, comme un reflet de la complicité manifeste entre chacun – également très présente dans l’excellent documentaire de Bruno Monsaingeon Ménage à quatre, diffusé récemment sur France 5 (à voir en replay jusqu’à fin octobre).

On retrouve les Arod pour un programme confrontant les quatuors de Brahms et Chostakovitch, dans l’intimité de l’auditorium Cziffra (200 places) de La Chaise‑Dieu. D’emblée, l’acoustique chaleureuse des lieux met en avant les individualités qui se dégagent du dernier quatuor de Brahms, à l’atmosphère apaisée : achevé en 1876 en même temps que sa Première Symphonie, le Troisième Quatuor laisse une place quasi concertante à l’alto dans ses deux derniers mouvements, en une légèreté sautillante et sans afféterie. Les Arod allègent les textures, tout en soignant les transitions, sans aucun vibrato appuyé : les détails révélés ne nuisent jamais au discours d’ensemble, toujours conduit par le bras solide de Jordan Victoria au premier violon.

Le concert gagne ensuite en intensité avec le Troisième Quatuor (1946) de Chostakovitch, proche des « symphonies de guerre » par son climat sombre et grinçant, ici préservé de toute emphase triomphale : les premières notes en apparence guillerettes laissent rapidement entrevoir quelques nuages, parcourant les instruments d’une ampleur toute symphonique (expliquant pourquoi le chef Rudolf Barchaï en fit une adaptation pour orchestre à cordes, à l’instar d’autres quatuors de Chostakovitch). A l’ironie de l’Allegretto initial succède la tension martelée du mouvement suivant, qui s’apaise peu à peu pour laisser place à la mélodie, le tout superbement mis en valeur par le travail d’orfèvre des Arod dans le mélange des sonorités en sourdine. Plus tragique encore, l’Allegro est porté par des scansions violentes, en une course à l’abîme où le rythme s’accélère. Le mélange de précision et de concentration des interprètes impressionne, tout autant que l’énergie déployée, laissant peu de répit à l’auditeur. La douleur poignante de l’Adagio laisse ensuite entrevoir toute la maturité des Arod dans l’expression d’un pathos sans excès, avant la conclusion apaisée en trompe‑l’œil, du fait des quelques notes sombres et énigmatiques en contraste.

Après ce « Chostakovitch glacial », dixit le violoncelliste Jérémy Garbarg, les Arod offrent en bis la poésie rêveuse et vaporeuse du mouvement lent du Quatuor (1893) de Debussy : un disque prévu à l’automne devrait nous permettre de découvrir la version chatoyante et langoureuse ici évoquée, comme un doux murmure.