jeudi 28 avril 2022

« Partenope » de Georg Friedrich Haendel - Le Jardin des Voix - Angers Nantes Opéra - Théâtre Graslin à Nantes - 27/04/2022

Créée voilà déjà vingt ans, l’Académie du Jardin des Voix fait désormais partie du paysage lyrique, tant elle atteint son but : donner à ses jeunes membres, triés sur le volet, une expérience de tout premier plan avec l’un des meilleurs ensembles baroques actuels, en une vaste tournée mondiale dont beaucoup n’oserait rêver. On reste également sans voix devant le flair de William Christie et Paul Agnew (co-directeurs qui se partagent l’agenda des concerts), qui peuvent s’enorgueillir d’avoir recruté tant de noms désormais familiers : Marc Mauillon, Judith Van Wanroij, Sonya Yoncheva, Emmanuelle de Negri, Reinoud Van Mechelen ou Lea Desandre, entre autres.

A Nantes, le public ne s’y est pas trompé, venant en nombre au Théâtre Graslin pour fêter la nouvelle promotion, précédée d’une réputation flatteuse : on n’en attendait pas moins pour mettre en valeur l’un des bijoux méconnus de Haendel, Partenope (1730). Cet ouvrage passionnant par sa variété d’inspiration et de climats offre une dernière partie plus réussie encore, notamment pour Arsace et son air de bravoure d’une redoutable virtuosité, mais aussi son air d’imploration des plus bouleversants. Seul le livret gâche quelque peu la fête, avec son exploration redondante des jeux de l’amour et du hasard, dont se saisit avec une malice non dénuée d’élégance la mise en espace de Sophie Daneman. La soprano britannique, partenaire de longue date de William Christie, joue la carte d’un décor minimaliste et astucieux, composé de dalles de couleurs réparties au‑devant de l’orchestre et sur les côtés en hauteur, donnant ainsi un peu de volume à l’ensemble. Grimés en tenue de soirée contemporaine, les chanteurs semblent tout droit sortis d’un rallye dansant versaillais, tout en s’amusant des quelques éléments de décors (notamment d’immenses dés en mousse) au gré de l’action, en forme de jeu d’échecs.

Hugh Cutting

Le principal attrait de la soirée revient toutefois au plateau vocal d’un excellent niveau global, dominé par l’impressionnant Arsace d’Hugh Cutting. On aura rarement entendu une telle maturité chez un jeune chanteur, qui a sans doute présidé à l’attribution du prix Kathleen Ferrier l’an passé : c’est la première fois qu’un contre‑ténor obtient cette récompense. On comprend pourquoi, tant le chanteur anglais maîtrise son instrument avec un sens du velouté et de l’articulation, toujours au service d’une interprétation lumineuse du texte. A ses côtés, Ana Vieira Leite (Partenope) n’est pas en reste dans la prestance attendue, autour d’une belle aisance sur toute la tessiture (hormis le suraigu en puissance qui manque parfois de substance). Doté d’une projection moindre, Alberto Miguélez Rouco (Armindo) fait valoir une musicalité raffinée, qui sculpte les mots sans ostentation. Il est moins à l’aise dans les passages virtuoses, où les accélérations mettent à mal sa technique, notamment dans la nécessaire prononciation.

En comparaison, Helen Charlston (Rosmira, Eurimene) parait plus solide au niveau dramatique, autant par ses intonations saisissantes de vérité dans la fureur que touchantes au moment de l’apaisement. Son timbre grave chaleureux, bien articulé, donne aussi beaucoup de plaisir, à l’instar du solide et engagé Ormonte de Matthieu Walendzik. On mentionnera enfin le tout aussi investi Jacob Lawrence (Emilio), qui porte un chant expressif au service de la théâtralité, malheureusement un rien en force dans l’émission, ici ou là.

mercredi 27 avril 2022

« La Caravane du Caire » d'André Gretry - Marshall Pynkoski - Opéra de Tours - 26/04/2022

Après nous avoir régalé de la fougue jubilatoire du Richard Cœur de Lion (1784), présenté à l’Opéra de Versailles en 2019 (puis en CD/DVD), le metteur en scène Marshall Pynkoski s’attaque à un autre des plus grands succès de Grétry, La Caravane du Caire (1783). D’abord présentée à Tours, cette coproduction fera ensuite étape à Versailles l’an prochain avec un plateau vocal en grande partie renouvelé, sous la baguette d’Hervé Niquet. En attendant, on découvre un ouvrage au livret assez rudimentaire, qui nous plonge dans les intrigues du harem du Pacha du Caire : cette turquerie à l’intrigue proche de la commedia dell’arte embrasse les délices d’un Orient fantasmé – autant visuellement que musicalement. Il est probable que le compositeur liégeois ait voulu accompagner les succès obtenus dans cette veine notamment par Haydn, avec son dramma giocoso La Rencontre imprévue (1775), et surtout Mozart, avec son singspiel L’Enlèvement au sérail (1782).

On note que l’opéra‑ballet de Grétry, contrairement aux ouvrages similaires de Rameau, ignore les entrées séparées avec des intrigues indépendantes afin de privilégier une histoire suivie, qui intègre parfaitement les ballets à l’action. On peut regretter toutefois le peu de couleurs orientales attachées à la partition, à l’exception notable de l’exquise « Danse égyptienne » au II, lors de la procession des esclaves. Grétry préfère moquer la querelle musicale des gluckistes et piccinistes, lors d’une joute haute en couleur entre esclaves française, italienne et allemande : la Française a pour elle l’élégance, toute de transparence un rien naïve, là où l’Italienne n’en finit pas d’asséner ses roucoulades virtuoses spectaculaires. L’Allemande parait plus robuste et prosaïque en comparaison, avec son air terne et répétitif. C’est là un des moments les plus truculents de l’ouvrage, à juste titre fêté par le public.


La fête est malheureusement quelque peu atténuée par un plateau vocal pour le moins inégal, d’où ressort le jeu comique toujours aussi irrésistible d’Enguerrand de Hys (Tamorin), très applaudi. On aime aussi la prestance radieuse de Jean‑Gabriel Saint Martin (Florestan, Husca), à l’articulation aisée et parfaitement projetée, tandis que Chloé Jacob (Almaïde) impressionne dans son air de fureur au III par sa justesse dramatique et sa technique solide. Si Tatiana Probst (une esclave italienne) assure l’essentiel dans son air tout aussi périlleux, on est moins convaincu par Blaise Rantoanina (Saint‑Phar), parfois à la limite de ses moyens dans l’aigu rétréci, et surtout Olivier Laquerre (le Pacha), bien faible au niveau vocal (timbre engorgé et émission étroite). Si le chœur semble souvent trop sonore, c’est sans doute en raison des indications franches et vigoureuses de Stéphanie‑Marie Degand (cofondatrice du Concert d’Astrée avec Emmanuelle Haïm en 2000), qui impose des tempi très vifs. On aimerait davantage de couleurs et de nuances pour retrouver l’équilibre de l’enregistrement de référence de Guy Van Waas (Ricercar, 2013), suite au concert donné à Versailles la même année.

Moins réussie que le Richard Cœur de Lion présenté à Versailles, la nouvelle production de Marshall Pynkoski pèche au niveau de la direction d’acteur, trop premier degré et peu fouillée au niveau comique (sans parler de quelques lourdeurs répétitives, telles que les œillades efféminées de l’eunuque Tamorin). Fort heureusement, le brio des passages dansés, tout comme les saynètes ajoutées en arrière‑scène (au I surtout), font de ce spectacle une réussite visuelle, au classicisme assumé. On note enfin l’utilisation pertinente de la rampe devant l’orchestre, qui donne davantage de relief en servant de défilé devant le public, ou la très poétique scène du naufrage de Florestan au III.

lundi 25 avril 2022

« Jenůfa » de Leos Janácek - Nicolas Joel - Opéra de Toulouse - 24/04/2022

Créée en 2004 pour la première toulousaine de Jenůfa (1904) de Leos Janácek, cette production de Nicolas Joel est la première à retrouver le chemin des planches depuis le décès de l’ancien directeur de l’Opéra de Toulouse (1990-2009), survenu en 2020.

On comprend rapidement pourquoi, tant son travail prend peu à peu aux tripes par sa force d’évocation brute : le décor imposant d’Ezio Frigerio sait se renouveler finement pendant les trois actes, insistant tout d’abord sur l’immuabilité du temps qui passe, incarné par la régularité du cliquetis de la roue du moulin, avant qu’une immense pierre n’écrase symboliquement les protagonistes, en lien avec propres mots de Jenůfa et Laca au II. Mais on retient peut-être plus encore les lignes (la table de mariage ou la passerelle métallique) qui déchirent symboliquement le décor au III pour décrire les rares échappatoires offertes aux personnages, tel le chemin de pénitence de la Sacristine – image forte et inoubliable pour conclure le spectacle. L’autre grand atout de cette production est incontestablement la direction d’acteur soutenue de Nicolas Joel, qui oppose d’emblée deux camps, entre la légèreté des hommes et la gravité des femmes – donnant aussi une entrée saisissante à la Sacristine, toute de raideur étudiée dans sa démarche et éloignée (autant par son passé douloureux que sa volonté de protéger sa fille adoptive) des festivités et beuveries.

Marie‑Adeline Henry et Catherine Hunold

On ne saurait bien entendu oublier l’interprète d’exception qui illumine le spectacle de sa force d’incarnation, à chacune de ses apparitions : Catherine Hunold a trouvé ici un rôle à la mesure de ses qualités dramatiques superlatives, impressionnant autant par ses regards hallucinés que ses cris déchirants. On espère la retrouver très vite dans ce rôle qui semble avoir été écrit pour elle, donnant ce sentiment d’évidence qu’on a pu ressentir pour d’autres, telle Sylvie Brunet‑Grupposo, interprète idéale de Madame de Croissy dans Dialogues des Carmélites de Poulenc (notamment à Massy en 2012). Marie‑Adeline Henry n’est pas en reste pour faire vivre les douleurs intériorisées de Jenůfa avec ses graves cuivrés, superbement projetés et engagés. On aime aussi la truculence savoureuse de la grand‑mère de Cécile Galois, malgré quelques changements de registre un peu brusque. Mario Rojas campe un solide Steva, tandis que Marius Brenciu (Laca) manque quelque peu de puissance face aux femmes ou pour soutenir les tutti orchestraux. Tous les seconds rôles sont brillamment distribués, aux côtés d’un chœur impeccable de cohésion.

On notera enfin la direction dynamique du chef autrichien Florian Krumpöck (né en 1978) : l’ancien élève de Daniel Barenboim fait vivre les couleurs de l’orchestration de son geste souple et aérien, même si l’on note certains décalages par endroits (notamment avec le xylophone, placé dans une loge de côté au I).

dimanche 24 avril 2022

Concert de l'Orchestre national du Capitole de Toulouse - Frank Beermann - Halle aux grains à Toulouse - 23/04/2022

Heureux Toulousains ! Avec la Halle aux grains, les habitants de la « ville rose » disposent de l’une des salles de concert parmi les meilleures de France pour son acoustique, très précise et détaillée, mais aussi par la proximité avec les artistes, très appréciable. L’assistance nombreuse démontre combien le public a retrouvé ses habitudes sociales, laissant derrière lui les incertitudes de la pandémie pour fêter Mozart et Bruckner. Suite à l’absence inattendue de la brochure (pour cause de « problème technique »), une part non négligeable de l’assistance se tourne vers les ouvreurs pour connaître l’affiche du jour, démontrant ainsi la confiance des habitués dans la qualité de la programmation.

Ils n’ont pas tort, tant le choix du sous‑estimé chef allemand Frank Beermann (né en 1965) s’impose comme une évidence, après ses brillants succès lyriques in loco, de Parsifal en 2020 à Elektra en 2021. Le programme 100 % autrichien lui permet de mettre en avant, sans ostentation aucune, les différentes facettes de son talent, de la grâce mozartienne aux rivages torturés des états d’âme brucknériens. La constance sans faille dans la volonté d’allégement de la masse orchestrale constitue un atout de choix pour donner à David Fray (né en 1981) un écrin de raffinement en parfaite harmonie avec son toucher aérien et minimaliste. La mise en retrait volontaire du pianiste français donne l’impression d’entendre davantage une symphonie concertante qu’un concerto proprement dit, mais on s’habitue peu à peu à cette conception qui évoque les sonorités plus discrètes offertes par le pianoforte, parfois choisi pour cet ouvrage. On préfère toutefois les cadences ou le mouvement lent, où le pianiste peut davantage laisser libre cours à ses phrasés en apesanteur, frôlant toutefois la nonchalance, le tout sans pathos. En bis, Bach permet de constater combien l’interprète est plus à l’aise en solo, imposant sans peine un ton toujours très personnel.

Apres l’entracte, la Septième Symphonie (1883) de Bruckner est interprétée dans la version Nowak (1954), reconnaissable au coup de cymbales donné dans l’Adagio. Frank Beermann surprend d’emblée par son étonnante douceur de phrasé, apportant un soin particulier aux transitions : les tempi assez lents sont habités d’un sens narratif millimétré, porté par les couleurs d’un orchestre très en verve. La respiration harmonieuse fait ressortir chaque détail, avec un luxe de nuances et de silences habités. Aucune déflagration ne viendra réveiller le mélomane distrait : Beerman refuse tout spectaculaire, mais aussi tout pathos, pour privilégier le recueillement et la concentration, sans jamais tomber dans le sinistre pour autant. Cet art tout en retenue donne une hauteur de vue passionnante tout du long, même si les amateurs d’un Bruckner à l’émotion à fleur de peau pourront être déçus par cette conception plus intellectuelle.

samedi 23 avril 2022

Concert de l'Orchestre national Bordeaux Aquitaine - Roberto Forés Veses - Auditorium de Bordeaux - 22/04/2022

Faut-il désormais s’excuser, ou à tout le moins contextualiser, l’exécution de la musique russe ? C’est ce que semble démontrer la courte intervention orale préalable à ce concert, qui vise davantage Chostakovitch que Borodine. Pour autant, on ne peut minorer les visées nationalistes des « Danses polovtsiennes » (1879), qui cherchent à impressionner un souverain captif par un grandiose rassemblement populaire digne d’un régime totalitaire (même si la dernière production parisienne de l’ouvrage, imaginée par Barry Kosky, en modifie sensiblement le sens). La Deuxième Symphonie (1927) de Chostakovitch célèbre, quant à elle, l’avènement d’un nouveau régime politique, en l’occurrence le premier d’expression marxiste au monde. Quoi qu’il en soit, autant ce préliminaire que le programme très détaillé, permettent de bien saisir les enjeux et le contexte précis de composition de ces deux œuvres.

La soirée débute avec le tout premier chef-d’œuvre symphonique de Dvorák, sa Sixième Symphonie (1881), qui nous embarque dans un élan brahmsien tout de grâce et de légèreté primesautière, proche de la Deuxième Symphonie du maître de Hambourg, composée quatre ans plus tôt. On ne se félicitera jamais assez de l’excellente acoustique de l’Auditorium de Bordeaux, qui permet de se délecter de la direction analytique et étagée de Roberto Forés Veses (né en 1970) : les moindres détails de la partition sont ainsi mis en valeur, du moins dans les passages lents, souvent ralentis et presque évanescents. Les parties plus enlevées montrent une facette plus raide et massive du chef espagnol, avec des tempi parfois dantesques. La symphonie gagne ainsi en modernité ce qu’elle perd en grandeur tragique, le chef délaissant ostensiblement le pathos et l’expression narrative globale. Après le délicieux Scherzo, sommet de la partition, où le pupitre de cors est plusieurs fois mis en avant, le finale trouve un ton plus franc, même si les scansions verticales très appuyées surprennent, autour d’un lyrisme toujours très bridé. La dernière partie du mouvement est toutefois enthousiasmante, tant l’accélération du tempo grise par sa virtuosité sans faille : le toujours impeccable Orchestre national Bordeaux Aquitaine adopte ce parti pris comme un seul homme, recueillant les acclamations méritées du public après le dernier accord.

Apres l’entracte vient le tour de la brève et méconnue Deuxième Symphonie de Chostakovitch, un ouvrage de commande plus proche de la cantate proprement dite que du poème symphonique (que le Russe hésita à préférer). On découvre un ouvrage composite emblématique de la période d’expérimentation constructiviste du compositeur, à la manière des audaces vertigineuses du Prokofiev de la Deuxième Symphonie (1925). Outre les dissonances et instruments inédits (une sirène d’usine) à la manière de Varèse, la symphonie surprend en de mains endroits par ses brusques virages, comme si Chostakovitch avait voulu faire l’étalage de l’étendue de son imagination et de ses possibilités. On retrouve ainsi plusieurs sonorités typiques de sa manière ultérieure, tel que l’usage entêtant de la caisse claire ou des interventions piquantes du piccolo. Roberto Forés Veses semble plus à l’aise ici, avec un début superbe d’étagement des nuances aux cordes graves, avant que l’orchestre ne s’enflamme de tempi cinglants et volontiers péremptoires. L’excellent Chœur de l’Opéra national de Bordeaux montre une attention soutenue à la prononciation et à la précision, même s’il peine quelque peu en fin d’ouvrage à soutenir les attaques franches et engagées du chef, contrairement à l’orchestre. Si l’on peut regretter l’absence de surtitres (de même que la reproduction du texte chanté dans le programme), il faut saluer l’audace d’une telle programmation, rarissime en dehors des intégrales symphoniques dédiées à Chostakovitch, notamment celle de Valery Gergiev salle Pleyel en 2013 et 2014.


Le concert se termine dans l’ivresse des « Danses polovtsiennes » de Borodine, où Roberto Forés Veses poursuit son geste endiablé, négligeant toutefois l’esprit de la musique de ballet au profit d’une virtuosité un rien facile et là encore très rapide. Dommage.

vendredi 1 avril 2022

« Cendrillon » de Jules Massenet - Mariame Clément - Opéra Bastille à Paris - 29/03/2022

Depuis plusieurs années, la Cendrillon (1899) de Jules Massenet s’est imposée comme l’un des ouvrages les plus représentés de son auteur, aux côtés de Manon (1884) et Werther (1892). Il a été ainsi possible d’entendre ce chef d’oeuvre tardif à Marseille en 2009, à l’Opéra-Comique en 2011, à Nantes en 2018 et surtout à New York en début d’année (pour une reprise du spectacle de Laurent Pelly déjà monté à Santa Fe en 2006).

L’entrée au répertoire de l’ouvrage à l’Opéra de Paris permet de se délecter des harmonies raffinées de Massenet, qui étonne par une orchestration subtile et souvent allégée en maints endroits, avec des combinaisons de sonorités souvent audacieuses (flûte, harpe et alto, par exemple), toujours au service de la caractérisation des événements. L’ancien élève d’Ambroise Thomas fait aussi valoir ses habituelles qualités d’écriture pour la voix, toujours insérée naturellement dans l’action dramatique, même si les parties nocturnes et rêveuses apparaissent plus réussies. La principale faiblesse revient au livret, qui minore les aspects comiques, plus présents chez Rossini, pour privilégier un romantisme parfois naïf, et ce malgré l’adresse finale au public en forme de pirouette.

La nouvelle production imaginée par Mariame Clément (déjà accueillie à l’Opéra de Paris en 2014, avec Hansel et Gretel d’Humperdinck) surprend d’emblée par son évocation visuelle très réussie de la Belle Epoque (immense décor industriel pour camper l’intimité de Cendrillon, puis Palais de verre lorsqu’elle affronte le monde), tout en donnant une place à la féérie du conte – notamment les encarts en papier découpé, régulièrement projetés sur le rideau de scène, avant les principaux tableaux. La direction d’acteur, autant que les décors, rappellent souvent l’esprit bon enfant de Michel Ocelot (Dilili à Paris) ou Martin Scorsese (Hugo Cabret).


Mariame Clément réussit aussi le pari de donner davantage de consistance à cette histoire bien connue par l’ajout d’idées savoureuses : ainsi de la machine aux pouvoirs magiques (prétexte à quelques gags en début d’ouvrage), sans parler de l’étonnante scène de bal où Cendrillon fait connaissance avec le Prince en catimini et sous son vrai visage. On aime aussi l’idée de vêtir les prétendantes à l’identique, comme autant de clones impersonnels, ou de nous faire croire au rêve de Cendrillon en fin d’ouvrage, lorsque la mère semble perdre la raison et que les sœurs soutiennent l’héroïne. L’image la plus saisissante est toutefois celle de la forêt de containers au III, qui semble cacher des déchets radioactifs : loin du message écologique attendu, c’est un cœur bouillonnant qui apparaît, comme prisonnier des méandres de la terre. Plus tard, on comprend cette référence lorsque le Prince s’écrie « On ne m’a pas rendu mon cœur », avant que sa promise ne lui intime de reprendre « son cœur sanglant ».

Le plateau vocal se montre très satisfaisant au niveau dramatique, hormis la trop discrète Daniela Barcellona (Madame de la Haltière), qui peine à caractériser le ridicule de son personnage, soignant trop la partie vocale au détriment des intonations comiques. Il aurait peut-être fallu privilégier une distribution plus francophone, même si Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le prince) s’en sortent bien au niveau de la nécessaire prononciation, souvent déclamatoire. Tara Erraught emporte ainsi l’enthousiasme par son chant généreux et lumineux, parfaitement projeté. On aime plus encore sa partenaire, qui n’est pas en reste dans la rondeur d’émission et l’éclat. Mention particulière pour le Pandolfe tout de noblesse de Lionel Lhote, tandis que les deux soeurs assurent leur partie avec une virtuosité admirablement maîtrisée.

On mentionnera enfin la direction magnifique de subtilité de Carlo Rizzi, qui fait ressortir chaque détail tout en faisant valoir les couleurs d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris en grande forme. Il reste encore des places : courrez découvrir ce très beau spectacle, à savourer jusqu’au 28 avril prochain !