mercredi 25 novembre 2020

« Concertino et Concerto pour violoncelle » de Mieczyslaw Weinberg - Raphael Wallfisch - Disque CPO

 

On aurait tort de minorer l’importance des origines juives de Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) pour cerner sa personnalité et les influences prépondérantes dans sa musique. S’il dut fuir le régime nazi par deux fois, en 1939 lors de l’invasion de Varsovie, puis en 1941 à Minsk, Weinberg mit un point d’honneur à inclure des thèmes populaires juifs dans ses premières compositions orchestrales, les mêlant à son style post-romantique puissamment évocateur. Bien avant que son amitié et son admiration réciproque pour Chostakovitch ne lui permettent d’être libéré de son incarcération par le KGB en 1953 pour «nationalisme bourgeois juif», la doctrine Jdanov et son antisémitisme rampant lui reprochent, en tant que tenant du «formalisme», de ne pas suffisamment glorifier le Socialisme triomphant.

On peut aisément comprendre ce reproche à l’écoute du sombre et méditatif Concertino pour violoncelle, composé en 1948, mais seulement créé en 2017 lors du festival international Weinberg, organisé au Théâtre Bolchoï à Moscou. Il s’agit manifestement de la version initiale du Concerto pour violoncelle, qui n’aurait pas été écrit en 1948 comme on le pensait jusqu’à présent, mais en 1956, un an avant sa création par le dédicataire Mstislav Rostropovitch. Son indéniable «efficacité» explique sa plus grande fréquentation dans les répertoires des salles de concert de nos jours, comme à Strasbourg en 2017 ou à Paris en 2018 lors d’une tournée européenne de Sol Gabetta. 
 
On pourra toutefois préférer le bref et chambriste Concertino, là où le Concerto lorgne davantage vers un langage cinématographique opulent, en lien avec les succès contemporains rencontrés par Weinberg, notamment le film Quand passent les cigognes (1957). Quoi qu’il en soit, on ne pourra que se réjouir de la stimulante confrontation de ces ouvrages, ce que n’avait pas osé le premier enregistrement mondial du Concertino en 2018, chez l’éditeur Northern Flowers.
 
En complément de programme, l’inspirée Fantaisie pour violoncelle (1954) déroule sa mélodie lancinante avec beaucoup de grâce, même si le langage reste peu aventureux en comparaison de Chostakovitch – son dédicataire. Raphael Wallfisch joue la carte de la musicalité et du lyrisme, autour d’une superbe maîtrise technique de son instrument, le tout bien épaulé par les belles couleurs de l’Orchestre symphonique de Kristiansand. On regrettera toutefois que le geste serein de Lukasz Borowicz n’apporte davantage de surprises à ces ouvrages agréables mais un rien trop prévisibles. Doté d’une notice aussi détaillée qu’instructive, ce disque bénéficie d’un confort sonore optimal, à même d’en faire une version de première approche tout à fait recommandable.

lundi 23 novembre 2020

« Concertos pour piano » d'Ernő Dohnányi - Ariane Matiakh - Disque Capriccio

Après son récent enregistrement du ballet pantomime Le Voile de Pierrette (1910) d’Ernő Dohnányi (1877-1960), Ariane Matiakh se consacre aux deux Concertos pour piano du compositeur hongrois, déjà enregistrés avec brio par Howard Shelley et Mathias Bamert pour Chandos en 2002 et 2004. La Française n’a pas à rougir de la comparaison et propose une autre version superlative de ces deux ouvrages au souffle post-romantique, certes peu aventureux, mais qui montrent le compositeur à son meilleur, sans doute inspiré par son instrument de prédilection. Pianiste virtuose, chef d’orchestre et professeur de renom, Dohnányi forma toute une génération d’artistes aussi renommés que Géza Anda, Annie Fischer, Georg Solti ou Győrgy Cziffra. Malgré sa longue carrière, Dohnányi laisse un catalogue de compositions plutôt modeste, d’où ressort sa musique de chambre influencée par Brahms.

C’est logiquement le maître de Hambourg auquel on pense d’emblée à l’écoute du superbe Premier Concerto (1898), mais également à Liszt: le lyrisme de Dohnányi souffle sur cette partition aérienne, sans temps mort. Les deux premiers mouvements sont les plus réussis, avec une inspiration mélodique du plus bel effet. Autour de piquants contrechants aux vents dans le délicat mouvement lent, le langage montre peu d’évolution en 1947, lorsque Dohnányi achève son Second Concerto. Seules les parties pianistiques épurées rappellent le style de Rachmaninov, tandis que le finale est autre grande réussite, porté par un sentiment d’urgence digne du grand maître russe là aussi.

Tout admirateur du romantisme finissant aurait grand tort de faire l’impasse sur la découverte de ces deux petits bijoux, parfaitement ciselés par l’art des contrastes toujours savamment dosés d’Ariane Matiakh. On est aussi grandement séduit par le toucher félin de Sofja Gülbadamova, qui s’est déjà illustrée dans un double disque des meilleures pages pour piano de Dohnányi (Capriccio, 2018), donnant ainsi une stimulante alternative au piano plus viril de Shelley dans ce même répertoire.

samedi 21 novembre 2020

« Der Schleier der Pierrette » d'Ernő Dohnányi - Ariane Matiakh - Disque Capriccio

D’origine hongroise, mais plus connu sous sa dénomination germanisée Ernst von Dohnányi, Ernő Dohnányi (1877-1960) fut d’abord influencé en début de carrière par la clarté lumineuse de Brahms, ce dont témoigne cet enregistrement du ballet pantomime Le Voile de Pierrette (1910), une première mondiale dans sa version intégrale. Outre les références à la rigueur classique du Brahms des Variations sur un thème de Haydn, on pourra déceler plusieurs éléments en hommage à la valse viennoise, autour d’un langage post-romantique qui évoque aussi parfois Rachmaninov, sans le souffle dramatique. 
 
Inégal et peu aventureux, le ballet reste toutefois toujours élégant et bien instrumenté, ce qui a pu convaincre le compositeur d’en tirer une suite (notamment enregistrée par Matthias Bamert pour Chandos, en 1999), avec la Valse nuptiale comme «tube» incontestablement efficace. On pourra préférer le geste enflammé de Bamert, là où Ariane Matiakh fouille davantage les détails de la partition avec une belle sensibilité, sans oublier des contrastes bienvenus entre douceur des passages lents et vivacité accrue des parties verticales, le tout avec une assise notable dans les graves. 
 
L’ouvrage gagnerait sans doute à être découvert sur scène afin de bien saisir tout l’humour narquois de la pantomime, écrite par rien moins qu’Arthur Schnitzler, alors au fait de sa renommée en Autriche. L’ouvrage est pourtant assez mal reçu à la création, ce qui n’empêche pas quelques reprises contemporaines dans les pays germaniques. Le disque est à réserver aux plus curieux, amateur du geste subtil d’Ariane Matiakh, qui poursuit ainsi avec Capriccio son exploration des raretés du répertoire, après ses premiers disques consacrés à Johanna Doderer, Zara Levina ou Harald Genzmer.

mercredi 4 novembre 2020

Oeuvres de William Dawson et Ulysses Kay - Arthur Fagen - Disque Naxos

Spécialiste de la musique américaine du XXe siècle pour l’éditeur Naxos, Arthur Fagen (né en 1951) s’intéresse cette fois aux méconnus compositeurs noirs américains William Dawson (1899-1990) et Ulysses Kay (1917-1995). 
 
Si la Negro Folk Symphony (1934) de Dawson a l’honneur d’une création à Philadelphie par rien moins que Leopold Stokowski, et ce dès 1934, l’ouvrage ne parvient pas à s’imposer par la suite, le compositeur semblant abandonner la grande forme pour privilégier les ouvrages pour chœur a capella ou avec piano. Lors de la révision de la symphonie en 1952 (version ici enregistrée), l’ajout de rythmes africains confirme le goût du compositeur pour une coloration en lien avec l’intérêt manifesté pour la recherche de ses origines, à l’instar de sa passion pour les negro spirituals. 
 
La symphonie reste toutefois arrimée à un langage postromantique peu aventureux, heureusement portée par un souffle mélodique au charme immédiat – notamment dans son deuxième mouvement, le plus réussi. La version proposée par Fagen joue la carte d’un équilibre entre les pupitres, en une respiration harmonieuse, là où Stokowski (1963, réédité par Deutsche Grammophon en 2007) s'appuyait davantage sur les contrastes et les couleurs, avec la mise en valeur des interventions aux bois. On préfère grandement la version plus nerveuse, d’une admirable vivacité, proposée par Neeme Järvi avec l’Orchestre symphonique de Detroit (1992, rééditée par Chandos en 2001), qui rendit un bel hommage au compositeur, peu de temps après son décès. 
 
Le disque est complété par deux ouvrages symphoniques d’Ulysses Kay, un compositeur autrement plus prolifique que son aîné, notamment dans le domaine lyrique, avec cinq opéras. Ses Fantasy Variations (1963) montrent un tempérament plus aventureux dans l’exploration des dissonances à la frontière de la tonalité, à la manière de son professeur et modèle Paul Hindemith. L’ouvrage joue des oppositions massives entre cordes et cuivres, en un style spectaculaire mais jamais lourd, d’une belle facture d’ensemble. Le mouvement symphonique Umbrian Scene (1963), dont le titre évoque la période d’études romaine de Kay, surprend par un ton plus apaisé en comparaison, aux subtiles et mystérieuses variations d’atmosphère. 
 
Arthur Fagen se montre moins inspiré que dans la pièce précédente, du fait de tempi étirés et d’une lecture linéaire, mais le disque constitue globalement un bon second choix, surtout pour son programme passionnant, à même de convaincre les plus curieux. 

mardi 27 octobre 2020

Oeuvres de Chostakovitch - Trio Wanderer - Disque Harmonia Mundi

On ne présente plus le Trio Wanderer, formé en 1987, qui poursuit depuis plusieurs années son exploration du répertoire de la musique de chambre avec son fidèle éditeur Harmonia Mundi. Après deux trios gravés en 2004, il revient à Chostakovitch en s’intéressant à l’un de ses plus parfaits chefs-d’œuvre, le Quintette avec piano (1940), proche de la contemporaine Sixième Symphonie par sa perfection formelle et sa fluidité. On retrouve ici le style apaisé, clair et serein du Trio (ici augmenté des forces de Catherine Montier et Christophe Gaugué), qui convient idéalement à cet ouvrage. On est aux antipodes de cette excellente version russe, plus nerveuse, récemment éditée par Melodiya: deux approches passionnantes dans leur confrontation.


Le disque est peut-être plus encore à chérir pour ses méconnues Romances sur des poèmes d’Alexandre Blok (1967), autre chef-d’œuvre composé alors que la santé de Chostakovitch se dégrade irrémédiablement. Ce cycle de mélodies a pour originalité de varier la combinaison de l’accompagnement instrumental pour chacune des romances. Il en résulte une subtile variation de coloris, unifiés à chaque fois par les interventions dramatiques de la mezzo-soprano. On ne pourra que se féliciter d’avoir fait appel à l’incarnation tour à tour vibrante et délicate d’Ekaterina Semenchuk (née en 1976), dont les moyens techniques superlatifs, entre rondeur de l’émission et beauté des graves, font merveille. Un très grand disque.

mardi 20 octobre 2020

« Görge le rêveur » d'Alexander von Zemlinsky - Opéra de Dijon - 18/10/2020

La déception domine après la découverte de la création française, à Nancy, puis Dijon, de Görge le rêveur, troisième opéra d’Alexander von Zemlinsky (1871-1942). On attendait sans doute trop de cette coproduction, tant la musique de Zemlinsky reste injustement méconnue en France, et ce malgré des efforts constants depuis plusieurs années, dans le domaine lyrique surtout. Outre les deux chefs-d’œuvre vénéneux adaptés d’Oscar Wilde, Le Nain (voir notamment à Lille en 2017) et Une tragédie florentine (voir notamment à Lyon en 2012), on pourra citer la récente production lyonnaise du Cercle de craie. Le compositeur autrichien semble aussi retrouver une certaine aura dans les salles de concert avec sa fantaisie symphonique La Petite Sirène (voir notamment ici), au souffle postromantique lumineux proche de Rimski-Korsakov et Rachmaninov.
 
Composé trois ans plus tard, en 1906, l’opéra Görge le rêveur, en grande partie autobiographique, montre un visage autrement plus sombre du compositeur: le récit initiatique révèle un être profondément dépressif, incapable de se résoudre aux faux-semblants d’un mariage arrangé, attiré par les sirènes du monde et la beauté féminine – en un miroir criant de ressemblance avec l’histoire personnelle du compositeur, notamment son amour déçu pour Alma Mahler. Loin de se saisir de ces sujets passionnants, le livret de Leo Feld souffre d’un symbolisme trop simpliste, tournant en rond rapidement: pour éviter de résoudre les hésitations entre rêve et réalité, le désir de mort est-il préférable ? Si le livret aurait ainsi gagné à être resserré, la musique de Zemlinsky déçoit aussi quelque peu, tant elle reste encore ancrée dans un postromantisme prévisible, là où les ouvrages ultérieurs sauront dépasser ces prudences, dans les pas de Schreker. Quelques passages, toutefois, montrent le compositeur à son meilleur, telle la scène finale de l’acte I ou les rêveries doucereuses au II. 
Il faut dire que la direction effacée et extérieure de Marta Gardolinska (née en 1988) n’aide pas à faire ressortir les humeurs changeantes au I, se bornant à lisser les angles, sans relief. Le geste legato convient mieux à l’apaisement qui suit, mais reste peu adapté à ce répertoire. On aimerait une direction autrement plus imaginative, avec davantage de prise de risques, pour affronter toutes les beautés du génial orchestrateur qu’est Zemlinsky, et ce d’autant plus que l’adaptation pour orchestre de chambre, due à Jan-Benjamin Homolka, réduit – de fait – les effets de masse. Fort heureusement, le plateau vocal donne davantage de satisfactions avec la classe vocale de Helena Juntunen (Gertraud, la Princesse), trop rare en France malgré ses prestations alsaciennes remarquées (dans Le Son lointain et Salomé). Sa présence scénique comme son aisance vocale sur toute la tessiture sont un régal de chaque instant, à l’instar du superlatif Kaspar de Wieland Satter, impressionnant de couleurs et de puissance maitrisée. Dommage que Daniel Brenna (Görge) ne se hisse par à leur niveau, souvent gêné par les brusques changements de registre et les accélérations au I, qui mettent à mal l’expression de son timbre. Peu à peu, il impose toutefois un mélange de puissance et de sensibilité dans son incarnation, faisant croire aux errances troubles de son personnage. Tous les autres rôles se montrent à la hauteur, particulièrement la musicalité subtile d’Allen Boxer (Hans), à qu’il ne manque qu’une projection plus affirmée pour convaincre totalement. 
 
On est moins séduit en revanche par la mise en scène illustrative et peu imaginative de Laurent Delvert (découvert ici même voilà deux ans), qui revisite un décor unique pendant toute la représentation avec quelques éclairages en demi-teinte, savamment distillés en seconde partie. Si certains détails saillants, telle la scène de vendetta villageoise avec la sorcière, montrent un goût évident pour la stylisation plastique, c’est hélas trop peu pour animer un ouvrage lyrique sur la durée. Outre une direction d’acteur par trop discrète, on regrettera de nombreuses maladresses, comme de faire chanter le rôle-titre dos à la scène, assis ou allongé pendant pratiquement tout le I, ou encore d’infliger une bruyante et sous-utilisée rivière en milieu de scène. De même, on est peu convaincu par les scènes oniriques dans les blés au I, qui tombent à plat à force de pudeur et de retenue. On ne peut que vivement conseiller à ce jeune metteur en scène de s’affirmer avec davantage d’audace à l’avenir afin de dépasser la seule illustration visuelle convenable et consensuelle.

lundi 19 octobre 2020

« Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 16/10/2020

Il aura donc fallu attendre huit mois pour que Strasbourg puisse présenter une nouvelle production à l’Opéra national du Rhin : peu avant le spectacle, son directeur Alain Perroux, nommé l’an passé suite au décès inattendu d’Eva Kleinitz, remercie au micro l’ensemble des intervenants, dans leurs domaines technique et artistique respectifs, avec une émotion visible. Venu en nombre, le public a été réparti dans la salle dans le respect des mesures de distanciation, avant que la discipline de sortie en fin de soirée montre combien chacun respecte les nécessaires consignes d’organisation. Musicalement, ce contexte permet d’entendre le choeur réparti dans les deux derniers balcons en hauteur, …une satisfaction paradoxale à laquelle on ne s’attendait guère : on se régale de cette spatialisation où chaque pupitre s’oppose avec force détail, faisant de cette particularité l’un des grands moments de la soirée.

On se félicite aussi d’avoir fait appel à Ariane Mathiakh (née en 1980) pour diriger la fosse, tant la Française insuffle une énergie sans pareil : à force de détails, sa direction sans vibrato, piquante et allégée (COVID oblige, les cordes ont été réduites), est un modèle d’élégance aérienne. Pour autant, l’ancienne lauréate de la première édition « Talents chefs d’orchestre Adami », en 2008, n’en oublie jamais le drame, donnant dès l’ouverture des couleurs sombres par des scansions appuyées aux contrebasses. Elle sait aussi ralentir le tempo dans des moments plus étonnants (premières mesures vénéneuses de “Mon coeur s’ouvre à ta voix” au 2e acte ou dans la Bacchanale au 3e acte, d’une grande tenue rythmique). On espère retrouver très vite cette baguette très imaginative, sur scène comme au disque.

Face à cette direction enthousiasmante, le plateau vocal se montre plus inégal. Convaincants : Jean-Sébastien Bou (son Dagon est d’une grande force théâtrale, bien épaulé par sa parfaite diction, idéalement projetée) ; de même, les seconds rôles superlatifs ne sont pas en reste : Wojtek Smilek et Patrick Bolleire – ce dernier familier du rôle (voir notamment à Metz et Massy en 2018). Les deux rôles-titres sont plus problématiques : la Dalila de Katarina Bradic, dont le manque de puissance est audible dans les ensembles. C’est certainement ce qui explique pourquoi la mezzo serbe s’épanouit principalement dans le répertoire baroque, là où ses superbes couleurs cuivrées dans les graves font merveille – pianissimos très maitrisés. Ici, l’aigu est plus tendu dans les changements de registre au I, avec un manque d’éclat constant dans les forte. Même déception pour le très inégal Massimo Giordano (Samson), à l’émission instable et serrée dans l’aigu, sans parler de son vibrato prononcé. Seule la voix en pleine puissance séduit en de rares occasions, dans un rôle il est vrai redoutable.

La mise en scène de Marie-Eve Signeyrole joue la carte d’une transposition contemporaine réussie, imaginant deux camps irréconciliables, entre conservateurs au pouvoir et mouvement anarchique des clowns – ces derniers rappelant inévitablement leurs lointains cousins les gilets jaunes. Comme à son habitude (voir notamment son Nabucco), Signeyrole s’appuie sur les dispositifs vidéo souvent filmés en direct et projetés sur plusieurs écrans, tout en expliquant son uchronie en un générique à la double fonction, didactique et satirique : la vision du monde politique, ainsi montrée, ressemble à une émission de télé-réalité, dont les spectateurs suivraient chaque épisode rocambolesque. Certains personnages n’hésitent pas à s’adresser directement à la caméra, tandis que l’utilisation d’un plateau tournant permet des allers-retours saisissants entre vies privée et publique : le ballet visuel incessant entre les différents tableaux est une grande réussite tout au long de la soirée, révélant un grand art dans les transitions. Juste aussi l’idée force de Signeyrole, de montrer Samson en handicapé physique, comme s’il revivait sans cesse le cauchemar de sa chute : le dîner de con organisé en son honneur au III donne à voir toute l’horreur de sa situation, tandis que la mise en scène se saisit astucieusement de l’accélération du récit à la fin : ici, le châtiment divin disparait au profit d’une sorte d’entartage politique à base de goudron et de plumes, en un final clownesque cohérent. Un travail global d’une belle richesse visuelle, toujours au service de l’oeuvre.

mardi 13 octobre 2020

« Cresus » de Reinhard Keiser - Johannes Pramsohler - Théâtre de l'Athénée - 10/10/2020

 

Comme chaque année, l’Atelier de recherche et de création pour l’art lyrique (ARCAL), compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, nous propose l’un de ses spectacles phares en tournée à travers toute la France. Après l’excellente production de La Petite renarde rusée en 2016-2017, l’ARCAL semble désormais se tourner vers un répertoire résolument baroque, avec Caligula de Pagliardi en 2017, puis Didon et Enée de Purcell. On retrouve précisément au Théâtre de l’Athénée l’Ensemble Diderot, qui a travaillé l’an passé sur ce dernier spectacle, encore visible pour quelques dates, à Quimper les 18 et 19 novembre prochains, puis à Reims les 18 et 19 février 2021.

En attendant, place au Crésus de Reinhard Keiser (1674-1739), plus célèbre ouvrage lyrique d’un compositeur qui a fait la plus grande partie de sa carrière à Hambourg, peu avant Telemann. Composé en 1711, puis révisé largement en 1730, tant pour les numéros que pour les tessitures, l’opéra est présenté dans cette dernière version, manifestement sans coupure (la durée du spectacle dépasse les trois heures avec un entracte compris), à laquelle ont été apportées quelques modifications pour renforcer la dramaturgie: fusion et réduction de certains rôles, notamment Solon qui chante les airs dévolus à Halimacus, sans qu’il possible de distinguer les deux personnages. En dehors de certains récitatifs un peu trop longs, la musique variée de Kaiser donne beaucoup de plaisir, même si le livret se perd trop dans les méandres amoureux. De même, on pourra s’étonner du titre de l’ouvrage, alors qu’Elmira et Atys occupent bien davantage la scène que le malheureux Crésus, absent d’une grande partie de l’action.

Quoi qu’il en soit, la qualité de l’ensemble justifie la résurrection de cet ouvrage, engagée dès les années 1990 avec les disques de René Clemencic (Nuova Era, 1999), puis René Jacobs (Harmonia Mundi, 2000). Sur scène, quelques autres raretés sont occasionnellement tirées de l’oubli, par exemple Arsinoé à Berlin en 2006 ou La Généreuse Octavia au festival d’Innsbruck en 2017.

 

On ne peut que se féliciter d’avoir fait à nouveau appel à l’excellent ensemble de musique de chambre Diderot, créé en 2009 et élargi en formation d’orchestre dès 2015. Cette spécificité est immédiatement audible, tant chaque pupitre se distingue individuellement à force de détails et de couleurs. De plus, le chef italien Johannes Pramsohler (né en 1980) prend souvent le premier violon dans les parties endiablées, afin de donner davantage de corps à l’ensemble. Globalement, l’ancien élève de Reinhard Goebel oppose le tranchant des passages rapides, très enlevés et sans vibrato, aux parties plus élégiaques, d’un grand raffinement dans l’expressivité. Cet écrin donne beaucoup de contraste et permet aux chanteurs de se distinguer sans forcer. Il est vrai que le plateau vocal réuni pour l’occasion frise la perfection, alors même que le nombre de rôles est considérable.

Ainsi de la lumineuse Elmira de Yun Jung Choi, aussi impériale techniquement dans les accélérations et les vocalises, qu’affirmée au niveau dramatique, ou encore de Marion Grange (Clerida, Trigesta) aux belles couleurs et aux phrasés aériens. On reste aussi bluffé par la prestation d’Inès Berlet (Atys), ivre d’assurance et de musicalité dans un rôle masculin qui lui va comme un gant, tandis que Ramiro Maturana (Crésus) fait montre d’une belle sûreté dans les graves. Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur, même si on pourra trouver un rien outrées les bouffonneries de Charlie Guillemin (Elcius).

Enfin, la mise en scène déjantée de Benoît Bénichou n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée, apportant beaucoup d’énergie à l’ensemble avec un univers visuel bling-bling aussi fastueux que décadent, très imaginatif dans les costumes et maquillages. Le mélange de superficialité et de cruauté des personnages est ainsi parfaitement rendu tout au long de la soirée. On mentionnera aussi le superbe travail sur les éclairages, très variés, avec de beaux clairs-obscurs qui mettent en valeur les nombreux reflets dorés des costumes et du cube central bien revisité avec son plateau tournant. Bénichou ne se contente pas de la seule folie visuelle et cherche à multiplier les interactions dans les airs, avec un équilibre juste et efficace pour relancer l’action. Un spectacle très réussi, aux outrances assumées, qui ne laissera personne indifférent.

lundi 12 octobre 2020

« Oh la belle vie ! » par le groupe vocal a capella Cinq de coeur - L'Alhambra - 09/10/2020

Déjà le huitième spectacle pour le groupe vocal a capella Cinq de Cœur, dont la formation en 1992 avait d’emblée rencontré le succès avec ce mélange de brio vocal et d’humour savamment dosé: il est vrai que le groupe a toujours su s’entourer des meilleurs, notamment à la mise en scène (Anne Roumanoff ou Pascal Légitimus pour ne citer que les plus connus), tout en évoluant dans la composition du groupe. Le dernier changement remonte à 2014 avec le remplacement de Xavier Margueritat par Fabian Ballarin en tant que basse (voir notamment leur sixième spectacle «Chasseurs de sons», repris en 2010-2011 à Paris).

La liste de dates prévues à travers toute la France démontre la renommée de la formation, installée à Paris dans le nouvel Alhambra, situé à quelques encablures du l’ancien temple de l’opérette et de la chanson française, détruit en 1967. Aujourd’hui, la salle à taille humaine, d’environ 600 places, donne tout le confort moderne attendu pour l’événement: la sonorisation des interprètes permet à chacun de ne jamais forcer, tout en brillant par la précision de chaque intervention. Au-delà des nécessités comiques attendues, c’est bien la qualité vocale globale qui impressionne – chaque soliste bénéficiant d’une solide formation lyrique, tout particulièrement les femmes (deux d’entre elles sont membres du chœur de chambre Accentus). Au gré de ces acrobaties tant lyriques que théâtrales, le groupe nous embarque dans une valse endiablée de répertoires, passant allégrement du classique revisité (on pourra s’amuser à reconnaître les emprunts à Vivaldi, Mozart, Richard Strauss et tant d’autres) à la comédie musicale (Bernstein ou Michel Legrand), sans oublier le jazz et la musique pop.


Tout l’art du metteur en scène Philippe Lelièvre repose dans les transitions souvent surprenantes entre les morceaux, avec un savant mélange de contrepieds et de fil rouge (un mot, manifestement choisi au hasard par chaque chanteur, sera ainsi scandé en différentes occasions), sans oublier une once de poésie dans les parties plus apaisées. Mais c’est peut-être plus encore la capacité à caractériser chaque personnage qui fait tout le sel de ce spectacle, en donnant une identité visuelle à chacun, autant dans les costumes que les chamailleries et mesquineries bon enfant. Les nombreux gags visuels lorgnent autant vers les références au cinéma muet que la satire du monde du spectacle: ainsi des contrechants trop présents qui nécessitent l’insolite recours à un mégaphone, ou encore des éternels remerciements d’une soliste en mal de reconnaissance... On s’attache peu à peu à ce joyeux petit monde qui n’en oublie pas de revisiter quelques chansons avec de nouvelles paroles à l’humour corrosif, en un rythme aussi décisif que désopilant.

On ne pourra que recommander de courir applaudir ces artistes à la bonne humeur communicative, tout en conseillant d’arriver tôt avant le début du spectacle – le placement dans la salle de L’Alhambra étant libre.

samedi 10 octobre 2020

« Giovanna d’Arco » de Giuseppe Verdi - Opéra de Metz - 06/10/2020


Si l’Opéra de Metz peut s’enorgueillir d’être la plus ancienne salle lyrique française encore en activité depuis sa construction en 1752, bien avant Versailles (1770) et Bordeaux (1780), il n’en oublie pas de rendre hommage à sa vénérable voisine la cathédrale Saint-Etienne, qui fête cette année ses 800 ans. C’est dans ce cadre qu’intervient la création messine de Jeanne d’Arc (1845), l’un des ouvrages les plus rarement donnés sur scène de Verdi, en raison du peu d’action offert par le livret. A l’instar de Tchaïkovski avec La Pucelle d’Orléans (1881), l’adaptation d’après Schiller modifie sensiblement le mythe, faisant hésiter Jeanne entre l’appel divin et celui plus charnel de Charles VII, avant de sacrifier l’héroïne sur le champ de bataille, en lieu et place du procès et du bûcher attendus.

Pour autant, on se laisse aller rapidement à ces nouveautés, tant l’inspiration de Verdi se montre à son meilleur dès l’Ouverture, aux accents dramatiques et admirablement nuancés. La mise en valeur de la finesse de l’ornementation de l’orchestration de Verdi doit beaucoup au travail de Roberto Rizzi Brignoli, grand spécialiste de ce répertoire (voir notamment Le Bal masqué donné à Metz en 2015): avec force détails révélés aux bois (bénéficiant en cela de la réduction du nombre des cordes pour cause de COVID), le geste félin et sautillant n’oublie jamais la narration d’ensemble, le tout sans couvrir ses chanteurs. Autre grand atout de la soirée avec le Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, manifestement très bien préparé dans la précision de ses interventions.
 

Cet écrin de qualité autour des chanteurs les aide à affronter les redoutables difficultés de la partition, notamment dans la première partie très guerrière, aux modulations périlleuses dans les changements de registre. Ainsi de Patrizia Ciofi (Jeanne), toujours aussi irradiante de présence scénique et d’intelligence au service du texte, qui se joue d’un instrument vocal parfois dur dans l’aigu, un rien trop métallique dans les accélérations, au moyen d’une technique sans faille: on pense notamment à ses pianissimi de rêve dans les parties apaisées, qui n’ont rien à envier aux plus grandes, Anna Netrebko comprise (voir sa prestation milanaise dans le même rôle en 2015-2016). De son côté, Jean-François Borras (Charles VII) n’est pas en reste dans un rôle qu’il connaît bien pour l’avoir déjà chanté à Rouen en 2008. L’élégance des phrasés du ténor français, tout autant que son beau timbre clair, donne beaucoup de présence à sa prestation, particulièrement en une fin d’ouvrage très réussie. On est moins séduit en revanche par les couleurs grises de Pierre-Yves Pruvot (Jacques), au vibrato prononcé, qui assure toutefois l’essentiel par son incontestable métier. Il est toutefois dommage que l’Opéra de Metz n’aie pas su trouver un interprète à la hauteur de Ciofi et Borras, les deux autres rôles principaux.

Enfin, la mise en scène de Paul-Emile Fourny se joue astucieusement de l’exiguïté de la scène grâce au recours important à la vidéo, en un aller-retour subtil entre figuration réaliste et abstraction (avec des lignes entremêlées qui figurent autant un labyrinthe que les fils pour en sortir), tout en ayant recours au ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole pour donner davantage de force brute à l’action scénique. On regrettera seulement des costumes peu imaginatifs et peu saillants (surtout pour Jean-François Borras), sans parler des éclairages sous-utilisés dans l’ensemble. Pas de quoi gâcher le plaisir d’un spectacle de très bonne tenue, qui fait une entrée réussie au répertoire de l’Opéra de Metz.

samedi 26 septembre 2020

« Ero et son petit monde » de Jakov Gotovac - Ivan Repusic - Disque CPO

 

Chef principal de l’Orchestre national de l’Opéra croate de 1923 à 1958, Jakov Gotovac (1895-1982) fit parallèlement une carrière de compositeur particulièrement reconnu dans son pays et au-delà : le deuxième de ses huit opéras, Ero et son petit monde (1935), reste l’un des rares ouvrages lyriques croates encore donné de nos jours. On comprend pourquoi à l’écoute des premières mesures, tant l’allégresse entraînante aux rythmes survitaminés et les couleurs orchestrales brillantes nous embarquent dans les aventures du fantasque et astucieux Ero. A force de ruses, le héros parvient à tromper tout son petit monde villageois, en écho au conte populaire dont est tiré le récit. On pourra bien entendu reprocher à Gotovac de limiter son langage musical aux dernières lueurs du romantisme, solidement arrimé à la tonalité. Il n’en reste pas moins que son goût pour l’ivresse des coloris folkloriques, autant que son imagination mélodique et son orchestration variée, n’ont rien à envier à ses probables modèles Smetana et Moniuszko, ou parfois à son contemporain Carl Orff.

Il était possible jusqu’à présent de découvrir l’ouvrage dans la version enregistrée par Gotovac lui-même en 1962 pour Croatia Records, avec la sublime contralto Marijana Radev dans le rôle de Doma. En comparaison, la présente version bénéficie d’interprètes à la hauteur, en un niveau homogène dominé par le soprano lumineux de Valentina Fijacko Kobic (Dula). L’autre grand atout de ce disque est constitué par la cohésion du Chœur de la Radio-télévision croate, bien plus en place que celui de la version Gotovac, tandis qu’Ivan Repusic se distingue par son geste vif et allégé, à l’humour narratif piquant dans les détails révélés aux bois. On se félicitera encore de la superbe prise de son, qui permet de rendre hommage à ce compositeur dans les meilleures conditions. Un album vivement recommandé!

vendredi 25 septembre 2020

Oeuvres rares de Haydn, Schubert, Françaix, Taneïev, Kodály, Krása et Enesco - Trio Goldberg - Disque Ars Produktion


Récompensé d’une médaille d’or lors de l’édition 2019 du Concours international de musique de Vienne, le Trio Goldberg est constitué de musiciens de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo qui expriment ainsi leur passion pour la musique de chambre. Au regard de leurs premiers disques, on est frappé par la curiosité affichée pour l’exploration du répertoire, que ce soit par le recours aux transcriptions dans un premier disque dédié à un arrangement des Variations Goldberg de Bach (Dux, 2018) ou à la découverte de raretés avec le deuxième, «De l’Ombre à la Lumière» (ARS Produktion, 2019), consacré aux trios de Jean Cras, Mieczyslaw Weinberg, Gideon Klein, et Ernst von Dohnányi.

Le présent disque combine les deux versants avec le recours à une transcription de la Sonate pour piano Hob.XVI:40 de Haydn (1784), tout en nous faisant découvrir plusieurs petites pièces inattendues de Jean Françaix (1912-1997), Zoltán Kodály, Hans Krása (1899-1944) ou Georges Enesco, sans parler de quelques ouvrages inachevés, dus à Sergueï Taneïev (1856-1915) et Franz Schubert.

A chaque fois, le trio donne le meilleur de ces œuvres, avec une sensibilité à fleur de peau qui évite soigneusement tout vibrato: l’élégance domine, d’une maîtrise parfaite dans les mouvements lents, là où on aimerait parfois davantage de corps dans les parties plus enlevées. Un disque à réserver aux plus curieux, désireux d’embrasser ce voyage musical sur tout le continent européen, jusqu’à Moscou, sur plus de deux siècles.

lundi 21 septembre 2020

« Ouvertures 2 » de Daniel-François-Esprit Auber - Dario Salvi - Disque Naxos

 

Lancée dans un premier volume en 2015, l’intégrale des ouvertures des ouvrages lyriques de Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871) fait son retour chez Naxos, cette fois avec un orchestre tchèque et un chef italien, et ce après un autre disque déjà paru en 2018 avec les mêmes interprètes, curieusement intitulé «Ouvertures». C’est donc en réalité le troisième disque consacré à Auber, avec de nombreuses premières mondiales, dont son tout premier essai lyrique en 1805, L’Erreur d’un moment, une comédie «mêlée en un acte de chant». On y découvre un Auber inattendu, aux atours mozartiens, déjà plus inspiré au niveau mélodique que son mentor Cherubini.

Une autre surprise du disque vient de la présence du Concerto pour violon, une œuvre de jeunesse composée vers 1805, qui obtient un vif succès à sa création. L’interprétation malheureusement trop sage de Dario Salvi (une constante de cet enregistrement), il est vrai peu aidé par les cordes un rien flottantes de la Philharmonie de chambre de Pardubice, ne rend qu’imparfaitement justice à l’ouvrage. Fort heureusement, le violon aérien de Markéta Cepická donne davantage d’élan à ce Concerto qui marie habilement lyrisme et rythmique entraînante en son premier mouvement – le plus ambitieux.

Le disque s’intéresse également à la période des années 1820, celle où Auber se lance dans une carrière de compositeur prolifique pour l’opéra: toute de raffinement épuré, l’introduction lente de l’Ouverture de son premier drame lyrique écrit en solo, Léocadie (1824), permet de mesurer tous les progrès accomplis en termes de variété dans l’architecture musicale, tandis que celle du Concert à la cour, composée la même année, lorgne vers Rossini avec ses envolées aux cordes frémissantes. On retrouve la même légèreté aux fulgurances étourdissantes dans les extraits symphoniques de Fiorella (1826), alors que les autres morceaux proposés se révèlent plus anecdotiques, notamment du fait de leur durée brève.

C’est précisément un autre reproche que l’on pourra faire à ce disque, un rien trop court (un peu plus d’une heure de musique), à l’interprétation de bonne tenue, à laquelle manque toutefois un grain de folie. Un disque à réserver aux plus curieux de l’œuvre d’Auber.

dimanche 20 septembre 2020

« La Musique entre France et Espagne. XVIe-XXe siècles » de Louis Jambou - Livre L’Harmattan Univers musical

Agrégé d’espagnol et docteur d’Etat en musicologie, Louis Jambou (né en 1936) s’illustre depuis 1968 par ses recherches principalement centrées sur les rapports musicaux entre la France et l’Espagne. Le présent ouvrage regroupe pas moins de dix-neuf articles rédigés pour des revues musicales ou des colloques de renom – Louis Jambou fut par ailleurs responsable des disciplines du département artistique de la Casa de Velázquez à Madrid. Ce parcours impressionnant se retrouve dans la qualité des articles réunis, marqués par un souci minutieux du référencement des sources données, tout autant que la volonté de les vérifier et les mettre en perspective.

La limite de l’ouvrage vient toutefois de l’hétérogénéité des articles, que Jambou tente néanmoins de hiérarchiser en une passionnante introduction, que l’on aurait aimé plus développée encore. L’ouvrage est ainsi l’occasion d’étudier les relations musicales entre les deux pays, principalement pendant la période baroque. A la manière d’un historien avisé, Jambou n’en oublie pas de rappeler la réalité de la division du pouvoir entre les couronnes d’Aragon et de Castille, avant la domination de Madrid sur le reste du pays, puis les autonomies régionales contemporaines. En des études toujours étayées d’exemples précis au service de sa démonstration, l’auteur s’attache aussi à balayer certains clichés, tels que la réalité des notions de source populaire, de nationalisme musical au XIXe siècle ou d’«espagnolade». On trouvera aussi des articles avec des analyses plus musicologiques qu’historiques, notamment pour différencier les styles français et espagnol, tandis que Jambou n’en oublie pas de s’intéresser à deux de ses instruments favoris, la guitare et l’orgue.

La fin de l’ouvrage fait place à des articles centrés autour de personnalités telles qu’Emmanuel Chabrier, Henri Collet, Manuel de Falla, Alexandre Tansman ou... Uuno Klami. Dommage que le texte souffre d’un travail éditorial pour le moins bâclé, en multipliant coquilles et erreurs de ponctuation – l’auteur se montrant souvent fâché avec les virgules. Pas de quoi renoncer à découvrir cette somme qui démontre la réalité des liens féconds et souvent méconnus entre les deux grands voisins que sont la France et l’Espagne.

lundi 7 septembre 2020

« Phèdre » de Jean-Baptiste Lemoyne - Győrgy Vashegyi - Disque Glossa

Lancée en 2014 avec Amadis de Gaule de Jean-Chrétien Bach, la collection «Opéra français» continue de s’intéresser au genre de la tragédie lyrique encore très apprécié dans les années 1790. Après Les Danaïdes de Salieri, les équipes du Palazzetto Bru Zane nous font découvrir le méconnu Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796), qui fit une partie de sa carrière en Allemagne, en tant que second maître de musique à la cour de Prusse. Proche de Gluck, sa musique fut parfois jugée un peu raide par ses contemporains, mais on ne peut lui contester une grande efficacité dramatique, comme en témoigne la version réduite de Phèdre (1786) donnée ici au Théâtre des Bouffes du Nord avec Julien Chauvin à la direction. Ce spectacle produit par le Palazzetto Bru Zane avait bénéficié de plusieurs aménagements par rapport au présent disque, réduisant l’ouvrage à l’essentiel avec la suppression des rôles secondaires: la charge émotionnelle ainsi obtenue avait pleinement justifié sa présentation sur scène.

Avec cet album, aucune coupure ne viendra fâcher le puriste, tandis que l’on retrouve l’orchestration originale dirigée, cette fois, par le geste un rien statique du chef hongrois Győrgy Vashegyi. Rescapée du plateau vocal réuni aux Bouffes du Nord, Judith van Wanroij illumine chacune de ses interventions de son timbre toujours aussi superbe de profondeur et d’intensité, porté par un engagement de tous les instants. A ses côtés, Julien Behr assure l’essentiel, et ce malgré une émission souvent trop serrée, tandis que Tassis Christoyannis met en valeur ses qualités de diction et d’articulation, faisant oublier le peu de couleurs qu’il lui reste. Parmi les seconds rôles, le toujours impeccable Jérôme Boutillier se distingue par sa musicalité, prenant le dessus sur ses partenaires féminines, Melody Louledjian et Ludivine Gombert, à l’émission instable dans le suraigu. Le chœur hongrois Purcell surprend encore par sa maîtrise quasi parfaite du français, donnant beaucoup de satisfactions tout du long.

Du fait de ses qualités théâtrales, l’ouvrage de Lemoyne mérite d’être découvert en priorité sur scène: il reste toutefois très agréable à l’écoute au disque, malgré une orchestration un peu froide et quelques redites.

dimanche 6 septembre 2020

Symphonie concertante pour violoncelle de Prokofiev et Concerto pour violoncelle de Khatchatourian - Xenia Jankovic - Disque Calliope

Dernier chef-d’œuvre de Prokofiev composé en 1952, la Symphonie concertante pour violoncelle est l’adaptation d’un concerto composé juste avant la guerre, qui n’avait pas rencontré le succès escompté. Inspiré par Mstislav Rostropovitch pour lequel il composait parallèlement un Concertino (resté malheureusement inachevé), Prokofiev donne davantage de place à l’orchestre, tout en accentuant le rôle virtuose du soliste: l’ouvrage conserve toutefois sa richesse mélodique généreuse, dont se saisit la violoncelliste serbe Xenia Jankovic (née en 1958) – admirable d’engagement, tout en faisant ressortir de superbes couleurs.

Enfant prodige qui fut l’élève de  Rostropovitch, Pierre Fournier et André Navarra, elle demeure très rare dans nos contrées, de telle sorte qu’on se réjouit de découvrir cet enregistrement réussi. Son lyrisme fait également merveille dans le Concerto pour violoncelle (1946) de Khatchatourian, proche de la manière du dernier Prokofiev. On retrouve les qualités de mélodiste du compositeur arménien, en un style spectaculaire lyrique et fluide, très agréable à l’écoute. Cet ouvrage abordable n’empêchera pas le Soviétique d’être catalogué comme «formaliste» en 1948, avant que l’écriture du ballet Spartacus (1954) ne vienne redorer son blason auprès des autorités.

On pourra préférer l’accompagnement un peu plus nerveux de Dejan Savic, là où Christian Ehwald se montre un rien plus en retrait face au superbe violoncelle de Xenia Jankovic. On se délecte par ailleurs de la prise de son à la réverbération équilibrée, qui rend justice à cet enregistrement sur le vif, tout comme à l’excellent Orchestre symphonique de la Radio-télévision serbe (RTS). Un grand disque.

jeudi 20 août 2020

Trios pour piano de Max Reger - Il Furibondo - Disque Solo Musica

Peu connue en France, la musique de Max Reger (1873-1916) ne laisse pas de fasciner, tant elle prend des visages variés en fonction de son inspiration, de l’influence brahmsienne des débuts aux effluves impressionnistes du tournant du siècle, sans oublier l’expressionnisme plus franc de la dernière période. Le coffret de sept disques édité par Berlin Classics en 2007 regroupait des enregistrements historiques permettant d’appréhender cette diversité, où l’on note quelques recherches de timbres aux frontières de l’atonalité, bien avant l’école de Vienne. Disparu très tôt à seulement 43 ans, Reger a laissé un corpus étonnamment conséquent, surtout dans le domaine symphonique et en musique de chambre. Outre le coffret consacré à l’intégrale de ses œuvres pour violoncelle et piano, le présent disque rend hommage au compositeur en présentant ces pièces parmi les plus achevées, et ce en des versions hautement recommandables.

Ainsi du passionnant Premier Trio (1904) qui laisse entrevoir dès l’introduction lente le goût du compositeur pour les atmosphères fuyantes, avant de s’embarquer en des variations d’intensité au caractère affirmé. La mélodie prend ensuite place en des échos brahmsiens, rapidement interrompue par le retour des scansions. Formé en 2011, le trio italien Il Furibondo se délecte de ces variations un rien déroutantes, en mettant en valeur les couleurs des instruments, avec force détails dans l’attention aux nuances et quelques attaques franches en contraste. Cette approche sied parfaitement aux humeurs changeantes ici à l’œuvre: du grand art interprétatif. Le Larghetto qui suit donne une idée de la hauteur d’inspiration de Reger, en maître des subtilités du pianissimo, avant que la mélodie ne retrouve ses droits dans le beau Scherzo aux accents plus lyriques (loin de l’austérité à laquelle on attache trop souvent le compositeur), puis dans l’Allegro final, également très réussi.

Autre chef-d’œuvre avec le Second Trio (1915), qui joue avec les frontières de la tonalité dans l’Allegro initial, aussi mouvant qu’évasif. La sensibilité des interprètes magnifie ensuite le superbe Andante, avec un jeu sur les timbres qui soutient un mélange délicat de tristesse mélodieuse. Sommet de l’ouvrage, le Scherzo rageur est porté par l’élan grinçant des attaques, au service d’un mouvement étonnamment tournoyant et narquois. Voilà un corpus qui modifie en profondeur l’image uniforme qu’on avait du compositeur.

lundi 17 août 2020

« Maître Péronilla » de Jacques Offenbach - Markus Poschner - Disque Glossa

 

Après la réussite du précédent album consacré à Offenbach, les équipes du Palazzetto Bru Zane nous offrent de découvrir un ouvrage plus méconnu, Maître Péronilla (1878). Présenté l’an passé en version de concert lors d’une unique représentation au Théâtre des Champs-Elysées, cet opéra bouffe ne laisse pas un grand souvenir au niveau de son livret, dû au compositeur avec l’aide de Charles-Louis-Etienne Nuitter et Paul Ferrier. L’intrigue inutilement alambiquée lorgne vers Goldoni, en un ton passéiste que ne sauvent pas des dialogues souvent convenus. Fort heureusement, Offenbach se montre plus inspiré au niveau mélodique, multipliant les airs entêtants et irrésistibles.


On a donc là un Offenbach de second rang, mais qui vaut par l’excellent plateau vocal réuni, toujours aussi attentif à la diction. Les femmes se distinguent avec le timbre opulent d’Antoinette Dennefeld (Frimouskino), l’élégance drolatique de Véronique Gens (Léona) ou la sensibilité de Chantal Santon-Jeffery (Alvarès) – et ce malgré des aigus parfois arrachés. Eric Huchet (Maître Péronilla) et Tassis Christoyannis (Ripardos) n’ont plus rien à prouver dans ce répertoire où ils trouvent toujours le ton juste dans leurs réparties comiques, tandis que le moindre second rôle démontre toute l’attention portée à cet enregistrement. Autour d’un Chœur de Radio, France très précis, le chef allemand Markus Poschner (né en 1971) tient bien son rôle, même si l’on aimerait davantage de détails dans sa direction un rien trop virile. Un très bel enregistrement, toujours aussi soigneusement édité et présenté par des notices précises, notamment celle de Gérard Condé.

mercredi 5 août 2020

«Hypnos» par la compagnie La Tempête - Simon-Pierre Bestion - Heures musicales de l'abbaye de Lessay - 31/07/2020

 

Parmi les quelques festivals sauvés des nombreuses annulations, les Heures musicales de l’abbaye de Lessay (Manche) accueillent une dizaine de concerts cet été, tout en permettant de découvrir les beautés de la nature préservée du Cotentin, entre côtes sauvages, bocages et marais. Située entre Cherbourg et Coutances, l’abbaye romane de Lessay en impose d’emblée par ses dimensions majestueuses aux lignes épurées, sans qu’il soit possible de deviner les stigmates des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, suite à une parfaite reconstruction à l’identique. Bénéficiant d’une acoustique peu réverbérée pour un édifice religieux, l’abbaye favorise naturellement la musique baroque, particulièrement la musique vocale, et ce depuis 1993, date fondatrice du festival. Malgré le contexte sanitaire, la plupart des concerts (un peu moins d’une dizaine chaque été) ont pu être maintenus pour le plus grand bonheur des spectateurs, même si la jauge a été adaptée avec seulement 270 places, généreusement espacées dans la nef.

Par son invitation au recueillement et à la concentration, cette disposition inhabituelle sied admirablement au spectacle proposé par la compagnie La Tempête, menée par son excellent fondateur Simon-Pierre Bestion (né en 1988). On retrouve les qualités de jeux sur la palette de timbres et la spatialisation, qui nous avaient tant séduit à la découverte de cet ensemble, alors tout jeune en 2015 à Périgueux. Au fur et à mesure de l’avancée du concert, l’ensemble du public lâche prise en ne cherchant plus systématiquement à voir, mais bien à se concentrer sur l’écoute, et tout particulièrement les huit voix réparties différemment selon les morceaux. Comme à Périgueux, le spectacle joue de l’alternance virtuose entre répertoire a capella ancien et contemporain, osant revisiter des chants italiens liturgiques anonymes des IXe et XIe siècles. Ces pièces surprennent par leur ferveur et leur intensité, aux atours joyeux et hypnotiques marqués par l’utilisation du mélisme, rappelant certaines musiques juives traditionnelles. Les extraits religieux des XIVe et XVe siècles font l’étalage d’une modernité toujours aussi étonnante dans l’entrecroisement savant des voix, en parfait miroir avec les audaces du répertoire contemporain. Entre le magma informe et fascinant d’où émerge progressivement l’emphase d’Olivier Greif (1950-2000) et les ondulations entre piano et forte de Giacinto Scelsi (1905-1988), le répertoire a capella s’exprime dans toute sa diversité, sans oublier Arvo Pärt (né en 1935) et sa palette de notes qui parcourent subrepticement les voix, pour mieux s’éteindre discrètement ensuite.


Les huit interprètes se montrent à la hauteur malgré quelques infimes décalages au début, se chauffant peu à peu pour convaincre pleinement ensuite. On notera toutefois quelques disparités de niveau, l’un des ténors montrant peu de style dans la puissance, là où les sopranos rayonnent littéralement à chaque intervention. De même, le chef Simon-Pierre Bestion déçoit quelque peu dans ses passages solistes psalmodiés en incipit, par une voix légèrement engorgée. Fort heureusement, il se rattrape grandement par sa direction aussi détaillée que précise qui fait tout le prix de ce concert, à chaque fois au service de la narration d’ensemble. Peu de choses à dire en revanche sur les éclairages minimalistes imaginés par Marianne Pelcerf, qui se contente de répartir quelques néons verticaux en différentes parties de l’abbaye, les éclairant ou non selon les différentes pièces proposées.

mercredi 8 juillet 2020

« Symphonies 1 et 3 » de Carl Reinecke - Henry Raudales - Disque CPO


Déjà considéré de son temps comme l’incarnation de l’académisme, Carl Reinecke (1824-1910) reste aujourd’hui connu comme le professeur de nombreux compositeurs passés par la fameuse «école de Leipzig» – Bruch, Grieg et Janácek notamment. Pour autant, sa longue carrière dans l’enseignement ne l’empêcha pas de composer abondamment pour le piano (quatre concertos), en ancien virtuose de l’instrument, tout autant que pour l’orchestre.

Sa dette à Mendelssohn et Schumann est patente, avec quelques rares passages au souffle brahmsien. La longue gestation de la Première Symphonie (1858-1870), remaniée plusieurs fois, ne doit pas en minorer l’intérêt, tant l’inspiration mélodique se montre supérieure aux symphonies ultérieures. L’Ouverture de l’opéra Le Roi Manfred (1866), ici agrémentée d’autres extraits charmants mais dispensables (Romance et Prélude du cinquième acte), reste également l’une de ses plus belles réussites, tout particulièrement dans la fluidité des idées, bien mise en valeur par le savoir-faire de l’orchestration. On pourra aussi se laisser séduire par la pompeuse mais efficace Marche triomphale de 1871.

Souvent considéré comme trop sage (voir notamment l’opéra chambriste Les Cygnes sauvages de 1881), Reinecke fait valoir une ambition autrement plus notable dans sa Troisième et dernière symphonie (1895), osant davantage dans l’entrecroisement des mélodies et l’ivresse sonore des cuivres. La version gravée par Howard Shelley pour Chandos en 2011, avec une meilleure prise de son et des tempi plus enlevés, se montre toutefois bien préférable au geste d’Henry Raudales, d’une bonne tenue d’ensemble, mais auquel il manque un rien de souffle. Un disque toutefois recommandable pour les œuvres «de jeunesse».

mercredi 24 juin 2020

« Symphonies 1 et 2 » de Eivind Groven - Peter Szilvay - Disque Naxos


Parmi la pléiade de compositeurs méconnus, le Norvégien Eivind Groven (1901-1977) séduit d’emblée par son imagination mélodique qui semble couler de source, nous emportant dans le flot mouvant de son inspiration sibélienne, rappelant aussi les ballets contemporains de Copland par son sens de la clarté et de l’épure néoclassiques. Il faudra ainsi découvrir en priorité la superbe Première Symphonie «Vers les montagnes» (1937, révisée en 1950), où Groven fait valoir ses talents de coloriste en un ton vivant et joyeux, rappelant qu’il fut l’un des collecteurs de mélodies populaires les plus investis en son pays.

Issu d’une famille de musiciens, Groven pratiqua le violon Hardanger pendant toute son enfance avec ses parents, lors des fêtes populaires, avant de prendre des leçons de composition sur le tard, au Conservatoire d’Oslo en 1925. Ses origines «campagnardes», autant que son profil en grande partie autodidacte, font de lui l’un des musiciens norvégiens les plus doués de sa génération.

Plus sombre, la Seconde Symphonie «L’Heure de minuit» (1943) semble toutefois moins aboutie que l’essai précédent, même si on retrouve les effets de transparence et de grâce admirablement mis en valeur par la direction allégée et piquante de Peter Szilvay, à la tête de l’Orchestre symphonique de Kristiansand (cinquième ville de Norvège, sur la côte sud). On préfère grandement ce geste subtil aux effets de masse un peu lourds privilégiés par les deux versions concurrentes existantes (Simax, 1993, et Chandos, 2007). La seule déception de ce très beau disque vient de sa durée relativement modeste, qui aurait pu être opportunément augmentée de la suite Fjelltonar (1938): celle-ci comporte en effet les passages folkloriques retirés de la Première Symphonie à l’occasion de la révision de 1951.

samedi 13 juin 2020

« La Première Nuit de Walpurgis » de Mendelssohn - Frieder Bernius - Disque Carus

La fidélité de Frieder Bernius (né en 1947) pour l’exploration du répertoire de Felix Mendelssohn n’a pas d’égal de nos jours: depuis 1976 et son tout premier disque consacré à des psaumes et motets, le chef allemand n’a eu de cesse de revenir à son compositeur fétiche, explorant aussi bien les grands oratorios que son conséquent et méconnu legs choral, sans oublier la musique de scène (voir notamment Œdipe à Colonne, enregistré pour Carus en 2011 et dont on retrouve quelques extraits dans le présent disque). Cette somme de près de vingt disques a été réunie en trois coffrets différents, tous publiés chezCarus (l’éditeur principal de Bernius), constituant autant de références modernes pour les amateurs de Mendelssohn.

L’enregistrement de La Première Nuit de Walpurgis (1843) vient compléter cette somme avec les qualités habituelles de Bernius: élégance, transparence et finesse du rebond rythmique. Sous sa baguette, la cantate profane gagne en fluidité et en cohérence par l’unification stylistique de ses différentes parties. La fraîcheur piquante bienvenue, qui fait ressortir les vents, est ainsi un régal de chaque instant. On a là une nouvelle version de référence de cet ouvrage dont le souffle romantique a durablement influencé plusieurs contemporains – Berlioz et Schumann notamment. Le sujet traité, qui n’a ainsi rien à voir avec la scène du sabbat de Faust, n’est pas pour rien dans cet intérêt: adapté d’une ballade de Goethe, la cantate célèbre les anciens cultes païens germaniques, balayés par l’avènement du christianisme, avec un sens dramatique mémorable dans certaines scènes (superbe chœur des druides).

Le seul regret concernant ce disque est relatif à sa durée, trop courte avec à peine 50 minutes de musique, dont quelques 15 minutes d’extraits d’Œdipe à Colonne. On avait déjà pu dans le passé faire le même reproche à Frieder Bernius, décidément coutumier de la réutilisation d’enregistrements anciens pour compléter les nouveaux.

lundi 8 juin 2020

Oeuvres de chambre de Chostakovitch, Afanassiev et Glière - Octuor à cordes Oberton - Disque ARS Produktion


Voilà une bien belle idée que de s’intéresser au répertoire de l’octuor, souvent investi par la réunion de deux ensembles de quatuor, et non pas un ensemble dédié comme ici avec les Oberton. Formé en 2015 à Graz par de jeunes musiciens âgés de 23 à 27 ans, cet ensemble surprend dès son premier disque par le choix d’un programme ambitieux. Les Deux pièces (1925) de Chostakovitch mettent ainsi en avant toute la force de caractère et l’esprit caustique de l’apprenti compositeur alors étudiant au Conservatoire, un an seulement avant la création de sa Première Symphonie. Là où la version plus ancienne (1964) des quatuors Borodine et Prokofiev jouait davantage la carte des individualités exacerbées, celle des Oberton affiche une belle homogénéité, et ce malgré quelques flottements par endroit, notamment au niveau des violoncelles. Les mouvements enflammés se montrent ainsi les plus aboutis du disque.

On retrouve une concentration au service de la narration dans le Double Quatuor (1872) de Nicolas Afanassiev (1821-1898), dont le dernier mouvement apparaît le plus réussi au niveau mélodique. Considéré comme l’un des pères de la musique de chambre en Russie, ce violoniste virtuose, tout à la fois pianiste et chef d’orchestre, reste peu connu en dehors de son pays. Avec un style proche du classicisme lumineux de Mendelssohn, Afanassiev a bénéficié de ses tournées dans toute la Russie, insérant plusieurs musiques populaires dans ses ouvrages, dont le Quatuor «Volga» (1860). En cela, il ne doit pas être confondu avec son contemporain Alexander Afanassiev (1826-1871), auteur de contes folkloriques qui ont inspiré Rimski-Korsakov, Prokofiev ou Stravinski.

Avec l’Octuor (1900) de Reinhold Glière (1874-1956), on a le retour à un ouvrage de jeunesse qui reste classique de facture, bien loin de la spectaculaire Troisième Symphonie (1912). Le langage lyrique, à la clarté toute brahmsienne, est bien rendu par les Oberton, toujours meilleurs dans le tranchant et les verticalités (superbe finale, sommet du disque), contrairement aux passages apaisés, où l’effort technique est plus audible. C’est en ce dernier domaine que la jeune formation a encore à travailler pour nous convaincre pleinement.

lundi 18 mai 2020

« Sinfonia technica » d'Eugene Zádor - Disque Naxos

 
Voilà déjà le sixième volume de l’intégrale symphonique du prolifique Eugene Zádor (1894-1977), un des nombreux compositeurs ayant dû fuir le nazisme pour travailler aux Etats-Unis dans l’industrie du cinéma. Peu connu, le Hongrois fut le collaborateur principal de son compatriote Miklós Rózsa, pour lequel il orchestra anonymement de nombreux succès, dont la musique de Ben-Hur en 1959. Aux côtés de ses activités alimentaires, l’ancien professeur de composition aux conservatoires de Vienne et Budapest n’en oublia jamais sa passion pour la «musique sérieuse», composant abondamment en un style fidèle au post-romantisme et à son modèle Richard Strauss. L’éclat et le lyrisme débordant de la Tarantella-Scherzo (1942) ouvrent ainsi le disque avec bonne humeur, laissant d’emblée percevoir l’aisance d’écriture du compositeur.

Avant son départ aux Etats-Unis en 1939, Zádor remporta plusieurs succès d’estime, tels que la création parisienne de l’élégante Sinfonia technica (1932) par l’Orchestre Lamoureux. Contrairement à son titre et à son programme aux évocations industrielles proches des expérimentations contemporaines de Prokofiev, le début de la symphonie laisse entrevoir le goût de Zádor pour le chatoiement des cordes, à la manière de son ancien maître Reger, mais surtout de Schreker, dont on perçoit l’influence dans la variation des atmosphères – avec une grande maîtrise de l’ensemble de la palette des couleurs de l’orchestre. La transparence impressionniste mouvante et changeante superpose les différents motifs avec élégance, trouvant ensuite deux derniers mouvements plus verticaux qui justifient enfin le titre de la symphonie. Cet ouvrage superbe, inspiré au niveau mélodique, peut motiver à lui seul l’achat de ce disque.

Eugene Zádor sut aussi donner un visage plus sombre avec le bref In Memoriam (1962), probablement écrit pour rendre hommage à sa mère récemment décédée. Le langage lyrique et expressif lorgne vers le Copland tonal des ballets Billy the Kid et Rodeo. On préfère toutefois la dernière période du compositeur, qui s’intéresse à une musique plus concertante, avec des instruments surprenants tels que l’accordéon, le cymbalum ou dans une moindre mesure le trombone. Le Concerto pour trombone de 1966 rappelle parfois la manière de Richard Strauss dans ses propres concertos, tandis que la Musique pour clarinette et cordes (1970) évoque Bartók dans l’intériorité subtile et délicate. Fondé en 1945 par la Société nationale des chemins de fer hongrois, le solide Orchestre symphonique de la MAV de Budapest rend justice à cette musique agréable, toujours fidèle à ses principes post-romantiques. Le chef polonais Mariusz Smolij gagnerait parfois à enflammer davantage son geste, mais assure toutefois l’essentiel par son attention à la narration d’ensemble. Une belle découverte.

samedi 11 avril 2020

« Sérénades 1 et 2 - Dreams - L'Oiseau d'or » de George Antheil - Disque CPO


La musique de George Antheil (1900-1959) reste aujourd’hui connue pour sa période parisienne avant-gardiste, où l’Américain s’intéressa autant à l’apport du jazz (voir notamment la brève A Jazz Symphony, donnée à Paris en 2014) qu’aux audaces bruitistes du futurisme (voir notamment son célèbre Ballet mécanique, encore présenté à Paris en 2007). Ces audaces intervinrent dans le contexte des retentissements initiés par la création de Pacific 231 d’Honegger ou de la Deuxième Symphonie de Prokofiev, au début des années 1920.

Parmi ces petites pièces expérimentales, la «chinoiserie» L’Oiseau d’or (1921) est un clin d’œil facétieux qui évoque son admiration pour Stravinski. Elève d’Ernst Bloch, puis de Nadia Boulanger, Antheil fut aussi très influencé par le groupe des six et le néoclassicisme, ce qui se ressent à l’écoute du ballet Rêves (1935). La musique fantasque, aux sonorités foraines, montre une inspiration variée et colorée, propre à cette période où le compositeur commence à assagir son style, dès son retour aux Etats-Unis en 1933.

Tout en travaillant pour Hollywood à partir de 1936, tel Korngold et tant d’autres, Antheil n’en oublie pas la musique dite «sérieuse» : sa Sixième et dernière symphonie reçoit ainsi l’honneur d’une création par rien moins que Pierre Monteux à San Francisco en 1948. Aux côtés des symphonies numérotées composées dès 1922, deux sérénades sont créées en 1948, puis 1949. A l’instar des deux dernières symphonies contemporaines, l’élégante Première Sérénade rappelle le style de Chostakovitch, en moins sombre. Seul l’Andante montre un visage sérieux, avec d’étonnants solos aux cordes, dont la contrebasse. Moins inspirée, la Seconde Sérénade, assez marmoréenne, se fait plus timide dans son élan.

Si les symphonies précitées, ainsi que la Troisième dite «Américaine» (1939, révisée en 1946), apparaissent davantage prioritaire en comparaison, ce disque vaut surtout pour la direction narrative de Fawzi Haimor, directeur musical de la Philharmonie de Reutlingen – une ville de plus de 100000 habitants située au sud de Stuttgart et qui n’a pas à rougir de la qualité de son ensemble musical.

lundi 6 avril 2020

« The Cloud Messenger » de Gustav Holst - Disque Delphian


On a beau ne jamais se lasser d’entendre et réentendre la version originale des Planètes de Gustav Holst (1874-1934), parfois augmentée d’une nouvelle planète ou revisitée façon jazz, force est de constater que ce chef-d’œuvre réduit par trop son compositeur à un unique opus, du moins dans notre pays. Avant le triomphe des Planètes (1916), Holst se passionna pour les textes de l’Inde antique, s’improvisant traducteur de sanskrit. Outre l’opéra Sāvitri (donné en 1998 à New York pour fêter le quatre-vingt-dixième anniversaire de la création), la cantate Le Nuage messager est le principal ouvrage d’importance de cette période, pourtant délaissé par l’auteur, puis sa fille Imogen, suite à l’échec de la création en 1912.

La cantate sera retrouvée dans les années 1980, permettant le premier enregistrement discographique par Richard Hickox (Chandos, 1990), avant son décès prématuré en 2008 lors des sessions d’enregistrement de la Symphonie chorale (1925) de... Holst. Grand spécialiste de la musique anglaise, Hickox fait le choix d’une lecture analytique et probe, un rien trop lente par endroits. On préfère grandement la présente version, qui bénéficie de l’orchestration allégée pour ensemble de chambre, évitant tout effet de masse. On gagne ainsi en mystère et en couleurs chatoyantes, se perdant avec délice dans le flot hypnotique et entêtant du geste aérien de Joseph Fort – à la tête d’un superlatif ensemble et d’un chœur non moins lumineux, qu’on ne présente plus.

Si l’inspiration puise dans l’apaisement rayonnant de Parsifal, ainsi que dans le lyrisme oriental façon Rimski-Korsakov (proche en cela de Roussel ou Schmitt), Holst n’en oublie pas quelques innovations dans les entrecroisements verticaux des voix, qui annoncent autant les audaces stravinskiennes que son propre chef-d’œuvre choral L’Hymne de Jésus (1917). On perçoit aussi déjà quelques détails d’orchestration typiques du compositeur, tel que l’usage fréquent de l’ostinato ou le recours au célesta en touches délicates, qui annoncent les passages impressionnistes des Planètes.

Bénéficiant d’une superbe prise de son, ce grand disque est à ne pas manquer pour tout amoureux de la musique symphonique et chorale anglaise du début du XXe siècle.

mardi 31 mars 2020

« Tarare » d’Antonio Salieri - Christophe Rousset - Disque Aparté


Si l’intérêt de Christophe Rousset pour la musique de Salieri remonte à 2005, avec la production de La grotta di Trofonio (1785) donnée à Lausanne et gravée au disque par Ambroisie, c’est surtout le projet d’enregistrer les trois ouvrages lyriques créés à Paris sous l’influence de Marie-Antoinette qui permet de donner un éclairage passionnant sur le legs de ce compositeur encore en grande partie méconnu. Le soutien de Gluck fut déterminant pour asseoir le tout premier succès parisien de Salieri avec Les Danaïdes (1784), avant qu’une autre tragédie lyrique ne déçoive les attentes par son sujet aride, Les Horaces (1786). Place cette fois à l’opéra en cinq actes Tarare (1787), déjà présenté en concert à Versailles puis Paris, qui fut l’un des plus ambitieux composés par Salieri et logiquement l’un des plus donnés de son temps, grâce à la traduction italienne en quatre actes réalisée par Lorenzo Da Ponte, sous le titre d’Axur, re d'Ormus (1788).

On comprend d’emblée cet enthousiasme, tant l’ouvrage brille de mille feux autour d’une variété d’atmosphères portée par une palette de couleurs en fines touches, autant qu’un rebond rythmique constant. Dès l’Ouverture dramatique, on pense bien entendu à l’influence de Gluck, tout autant que la déclamation éloquente de l’opéra français: le librettiste Beaumarchais fut en effet très attaché à défendre la primauté du texte, grâce à une attention à la prononciation. La présente version s’efforce, avec son plateau vocal de luxe pratiquement entièrement francophone, à réussir cette gageure, tout en étant aidée par la direction vive et légère de Rousset, très engagé tout du long. Le chef français parvient à donner une opportune continuité entre les courts récitatifs (où chaque détail de l’orchestration est mis en valeur) et les airs et ensembles, donnant beaucoup de vitalité à l’ensemble.

La grande force de ce disque est aussi de réunir les meilleurs chanteurs actuels dans ce répertoire, tous parfaitement investis dans le projet. Ainsi de la lumineuse Judith van Wanroij ou de l’incandescente Karine Deshayes, sans parler du timbre toujours aussi séduisant de Cyrille Dubois ou de l’art de la déclamation de Jean-Sébastien Bou. La distribution sait aussi soigner les seconds rôles avec les interprétations de caractère d’Enguerrand de Hys (irrésistible de drôlerie dans les accents donnés au populaire Calpigi) ou le superlatif Jérôme Boutillier, dont on ne cesse de vanter les mérites prestation après prestation. Outre une édition luxueuse, bénéficiant du livret complet et d’une large iconographie, on se félicitera de l’excellente prise de son qui rend justice à ce petit bijou. On se réjouit d’avance de retrouver Christophe Rousset au Festival de Beaune le 11 juillet prochain, afin de découvrir les charmes d’un nouvel ouvrage d’importance, l’Armida du même Salieri – tout premier succès obtenu à la cour d’Autriche en 1771, peu de temps avant la mort de son protecteur Florian Leopold Gassmann (1729-1774).