On aurait tort de minorer l’importance des origines juives de Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) pour cerner sa personnalité et les influences prépondérantes dans sa musique. S’il dut fuir le régime nazi par deux fois, en 1939 lors de l’invasion de Varsovie, puis en 1941 à Minsk, Weinberg mit un point d’honneur à inclure des thèmes populaires juifs dans ses premières compositions orchestrales, les mêlant à son style post-romantique puissamment évocateur. Bien avant que son amitié et son admiration réciproque pour Chostakovitch ne lui permettent d’être libéré de son incarcération par le KGB en 1953 pour «nationalisme bourgeois juif», la doctrine Jdanov et son antisémitisme rampant lui reprochent, en tant que tenant du «formalisme», de ne pas suffisamment glorifier le Socialisme triomphant.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
mercredi 25 novembre 2020
« Concertino et Concerto pour violoncelle » de Mieczyslaw Weinberg - Raphael Wallfisch - Disque CPO
lundi 23 novembre 2020
« Concertos pour piano » d'Ernő Dohnányi - Ariane Matiakh - Disque Capriccio
Après son récent enregistrement du ballet pantomime Le Voile de Pierrette (1910) d’Ernő Dohnányi (1877-1960), Ariane Matiakh se consacre aux deux Concertos pour piano du compositeur hongrois, déjà enregistrés avec brio par Howard Shelley et Mathias Bamert pour Chandos en 2002 et 2004. La Française n’a pas à rougir de la comparaison et propose une autre version superlative de ces deux ouvrages au souffle post-romantique, certes peu aventureux, mais qui montrent le compositeur à son meilleur, sans doute inspiré par son instrument de prédilection. Pianiste virtuose, chef d’orchestre et professeur de renom, Dohnányi forma toute une génération d’artistes aussi renommés que Géza Anda, Annie Fischer, Georg Solti ou Győrgy Cziffra. Malgré sa longue carrière, Dohnányi laisse un catalogue de compositions plutôt modeste, d’où ressort sa musique de chambre influencée par Brahms.
C’est logiquement le maître de Hambourg auquel on pense d’emblée à l’écoute du superbe Premier Concerto (1898), mais également à Liszt: le lyrisme de Dohnányi souffle sur cette partition aérienne, sans temps mort. Les deux premiers mouvements sont les plus réussis, avec une inspiration mélodique du plus bel effet. Autour de piquants contrechants aux vents dans le délicat mouvement lent, le langage montre peu d’évolution en 1947, lorsque Dohnányi achève son Second Concerto. Seules les parties pianistiques épurées rappellent le style de Rachmaninov, tandis que le finale est autre grande réussite, porté par un sentiment d’urgence digne du grand maître russe là aussi.
Tout admirateur du romantisme finissant aurait grand tort de faire
l’impasse sur la découverte de ces deux petits bijoux, parfaitement
ciselés par l’art des contrastes toujours savamment dosés d’Ariane
Matiakh. On est aussi grandement séduit par le toucher félin de Sofja
Gülbadamova, qui s’est déjà illustrée dans un double disque des
meilleures pages pour piano de Dohnányi (Capriccio, 2018), donnant ainsi une stimulante alternative au piano plus viril de Shelley dans ce même répertoire.
samedi 21 novembre 2020
« Der Schleier der Pierrette » d'Ernő Dohnányi - Ariane Matiakh - Disque Capriccio
mercredi 4 novembre 2020
Oeuvres de William Dawson et Ulysses Kay - Arthur Fagen - Disque Naxos
mardi 27 octobre 2020
Oeuvres de Chostakovitch - Trio Wanderer - Disque Harmonia Mundi
On ne présente plus le Trio Wanderer, formé en 1987, qui poursuit depuis plusieurs années son exploration du répertoire de la musique de chambre avec son fidèle éditeur Harmonia Mundi. Après deux trios gravés en 2004, il revient à Chostakovitch en s’intéressant à l’un de ses plus parfaits chefs-d’œuvre, le Quintette avec piano (1940), proche de la contemporaine Sixième Symphonie par sa perfection formelle et sa fluidité. On retrouve ici le style apaisé, clair et serein du Trio (ici augmenté des forces de Catherine Montier et Christophe Gaugué), qui convient idéalement à cet ouvrage. On est aux antipodes de cette excellente version russe, plus nerveuse, récemment éditée par Melodiya: deux approches passionnantes dans leur confrontation.
Le disque est peut-être plus encore à chérir pour ses méconnues Romances sur des poèmes d’Alexandre Blok
(1967), autre chef-d’œuvre composé alors que la santé de Chostakovitch
se dégrade irrémédiablement. Ce cycle de mélodies a pour originalité de
varier la combinaison de l’accompagnement instrumental pour chacune des
romances. Il en résulte une subtile variation de coloris, unifiés à
chaque fois par les interventions dramatiques de la mezzo-soprano. On ne
pourra que se féliciter d’avoir fait appel à l’incarnation tour à tour
vibrante et délicate d’Ekaterina Semenchuk (née en 1976), dont les
moyens techniques superlatifs, entre rondeur de l’émission et beauté des
graves, font merveille. Un très grand disque.
mardi 20 octobre 2020
« Görge le rêveur » d'Alexander von Zemlinsky - Opéra de Dijon - 18/10/2020
lundi 19 octobre 2020
« Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 16/10/2020
Il aura donc fallu attendre huit mois pour que Strasbourg puisse présenter une nouvelle production à l’Opéra national du Rhin : peu avant le spectacle, son directeur Alain Perroux, nommé l’an passé suite au décès inattendu d’Eva Kleinitz, remercie au micro l’ensemble des intervenants, dans leurs domaines technique et artistique respectifs, avec une émotion visible. Venu en nombre, le public a été réparti dans la salle dans le respect des mesures de distanciation, avant que la discipline de sortie en fin de soirée montre combien chacun respecte les nécessaires consignes d’organisation. Musicalement, ce contexte permet d’entendre le choeur réparti dans les deux derniers balcons en hauteur, …une satisfaction paradoxale à laquelle on ne s’attendait guère : on se régale de cette spatialisation où chaque pupitre s’oppose avec force détail, faisant de cette particularité l’un des grands moments de la soirée.
On se félicite aussi d’avoir fait appel à Ariane Mathiakh (née en 1980) pour diriger la fosse, tant la Française insuffle une énergie sans pareil : à force de détails, sa direction sans vibrato, piquante et allégée (COVID oblige, les cordes ont été réduites), est un modèle d’élégance aérienne. Pour autant, l’ancienne lauréate de la première édition « Talents chefs d’orchestre Adami », en 2008, n’en oublie jamais le drame, donnant dès l’ouverture des couleurs sombres par des scansions appuyées aux contrebasses. Elle sait aussi ralentir le tempo dans des moments plus étonnants (premières mesures vénéneuses de “Mon coeur s’ouvre à ta voix” au 2e acte ou dans la Bacchanale au 3e acte, d’une grande tenue rythmique). On espère retrouver très vite cette baguette très imaginative, sur scène comme au disque.
Face à cette direction enthousiasmante, le plateau vocal se montre plus inégal. Convaincants : Jean-Sébastien Bou (son Dagon est d’une grande force théâtrale, bien épaulé par sa parfaite diction, idéalement projetée) ; de même, les seconds rôles superlatifs ne sont pas en reste : Wojtek Smilek et Patrick Bolleire – ce dernier familier du rôle (voir notamment à Metz et Massy en 2018). Les deux rôles-titres sont plus problématiques : la Dalila de Katarina Bradic, dont le manque de puissance est audible dans les ensembles. C’est certainement ce qui explique pourquoi la mezzo serbe s’épanouit principalement dans le répertoire baroque, là où ses superbes couleurs cuivrées dans les graves font merveille – pianissimos très maitrisés. Ici, l’aigu est plus tendu dans les changements de registre au I, avec un manque d’éclat constant dans les forte. Même déception pour le très inégal Massimo Giordano (Samson), à l’émission instable et serrée dans l’aigu, sans parler de son vibrato prononcé. Seule la voix en pleine puissance séduit en de rares occasions, dans un rôle il est vrai redoutable.
La mise en scène de Marie-Eve Signeyrole joue la carte d’une transposition contemporaine réussie, imaginant deux camps irréconciliables, entre conservateurs au pouvoir et mouvement anarchique des clowns – ces derniers rappelant inévitablement leurs lointains cousins les gilets jaunes. Comme à son habitude (voir notamment son Nabucco), Signeyrole s’appuie sur les dispositifs vidéo souvent filmés en direct et projetés sur plusieurs écrans, tout en expliquant son uchronie en un générique à la double fonction, didactique et satirique : la vision du monde politique, ainsi montrée, ressemble à une émission de télé-réalité, dont les spectateurs suivraient chaque épisode rocambolesque. Certains personnages n’hésitent pas à s’adresser directement à la caméra, tandis que l’utilisation d’un plateau tournant permet des allers-retours saisissants entre vies privée et publique : le ballet visuel incessant entre les différents tableaux est une grande réussite tout au long de la soirée, révélant un grand art dans les transitions. Juste aussi l’idée force de Signeyrole, de montrer Samson en handicapé physique, comme s’il revivait sans cesse le cauchemar de sa chute : le dîner de con organisé en son honneur au III donne à voir toute l’horreur de sa situation, tandis que la mise en scène se saisit astucieusement de l’accélération du récit à la fin : ici, le châtiment divin disparait au profit d’une sorte d’entartage politique à base de goudron et de plumes, en un final clownesque cohérent. Un travail global d’une belle richesse visuelle, toujours au service de l’oeuvre.
mardi 13 octobre 2020
« Cresus » de Reinhard Keiser - Johannes Pramsohler - Théâtre de l'Athénée - 10/10/2020
Comme chaque année, l’Atelier de recherche et de création pour l’art
lyrique (ARCAL), compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, nous
propose l’un de ses spectacles phares en tournée à travers toute la
France. Après l’excellente production de La Petite renarde rusée en 2016-2017, l’ARCAL semble désormais se tourner vers un répertoire résolument baroque, avec Caligula de Pagliardi en 2017, puis Didon et Enée
de Purcell. On retrouve précisément au Théâtre de l’Athénée l’Ensemble
Diderot, qui a travaillé l’an passé sur ce dernier spectacle, encore
visible pour quelques dates, à Quimper les 18 et 19 novembre prochains,
puis à Reims les 18 et 19 février 2021.
En attendant, place au Crésus de Reinhard Keiser (1674-1739),
plus célèbre ouvrage lyrique d’un compositeur qui a fait la plus grande
partie de sa carrière à Hambourg, peu avant Telemann. Composé en 1711,
puis révisé largement en 1730, tant pour les numéros que pour les
tessitures, l’opéra est présenté dans cette dernière version,
manifestement sans coupure (la durée du spectacle dépasse les trois
heures avec un entracte compris), à laquelle ont été apportées quelques
modifications pour renforcer la dramaturgie: fusion et réduction de
certains rôles, notamment Solon qui chante les airs dévolus à Halimacus,
sans qu’il possible de distinguer les deux personnages. En dehors de
certains récitatifs un peu trop longs, la musique variée de Kaiser donne
beaucoup de plaisir, même si le livret se perd trop dans les méandres
amoureux. De même, on pourra s’étonner du titre de l’ouvrage, alors
qu’Elmira et Atys occupent bien davantage la scène que le malheureux
Crésus, absent d’une grande partie de l’action.
Quoi qu’il en soit, la qualité de l’ensemble justifie la résurrection de
cet ouvrage, engagée dès les années 1990 avec les disques de René
Clemencic (Nuova Era, 1999), puis René Jacobs (Harmonia Mundi, 2000). Sur scène, quelques autres raretés sont occasionnellement tirées de l’oubli, par exemple Arsinoé à Berlin en 2006 ou La Généreuse Octavia au festival d’Innsbruck en 2017.
On ne peut que se féliciter d’avoir fait à nouveau appel à l’excellent
ensemble de musique de chambre Diderot, créé en 2009 et élargi en
formation d’orchestre dès 2015. Cette spécificité est immédiatement
audible, tant chaque pupitre se distingue individuellement à force de
détails et de couleurs. De plus, le chef italien Johannes Pramsohler (né
en 1980) prend souvent le premier violon dans les parties endiablées,
afin de donner davantage de corps à l’ensemble. Globalement, l’ancien
élève de Reinhard Goebel oppose le tranchant des passages rapides, très
enlevés et sans vibrato, aux parties plus élégiaques, d’un grand
raffinement dans l’expressivité. Cet écrin donne beaucoup de contraste
et permet aux chanteurs de se distinguer sans forcer. Il est vrai que le
plateau vocal réuni pour l’occasion frise la perfection, alors même que
le nombre de rôles est considérable.
Ainsi de la lumineuse Elmira de Yun Jung Choi, aussi impériale
techniquement dans les accélérations et les vocalises, qu’affirmée au
niveau dramatique, ou encore de Marion Grange (Clerida, Trigesta) aux
belles couleurs et aux phrasés aériens. On reste aussi bluffé par la
prestation d’Inès Berlet (Atys), ivre d’assurance et de musicalité dans
un rôle masculin qui lui va comme un gant, tandis que Ramiro Maturana
(Crésus) fait montre d’une belle sûreté dans les graves. Tous les
seconds rôles se montrent à la hauteur, même si on pourra trouver un
rien outrées les bouffonneries de Charlie Guillemin (Elcius).
Enfin, la mise en scène déjantée de Benoît Bénichou n’est pas pour rien
dans la réussite de la soirée, apportant beaucoup d’énergie à l’ensemble
avec un univers visuel bling-bling aussi fastueux que décadent,
très imaginatif dans les costumes et maquillages. Le mélange de
superficialité et de cruauté des personnages est ainsi parfaitement
rendu tout au long de la soirée. On mentionnera aussi le superbe travail
sur les éclairages, très variés, avec de beaux clairs-obscurs qui
mettent en valeur les nombreux reflets dorés des costumes et du cube
central bien revisité avec son plateau tournant. Bénichou ne se contente
pas de la seule folie visuelle et cherche à multiplier les interactions
dans les airs, avec un équilibre juste et efficace pour relancer
l’action. Un spectacle très réussi, aux outrances assumées, qui ne
laissera personne indifférent.
lundi 12 octobre 2020
« Oh la belle vie ! » par le groupe vocal a capella Cinq de coeur - L'Alhambra - 09/10/2020
Déjà le huitième spectacle pour le groupe vocal a capella Cinq de
Cœur, dont la formation en 1992 avait d’emblée rencontré le succès avec
ce mélange de brio vocal et d’humour savamment dosé: il est vrai que le
groupe a toujours su s’entourer des meilleurs, notamment à la mise en
scène (Anne Roumanoff ou Pascal Légitimus pour ne citer que les plus
connus), tout en évoluant dans la composition du groupe. Le dernier
changement remonte à 2014 avec le remplacement de Xavier Margueritat par
Fabian Ballarin en tant que basse (voir notamment leur sixième
spectacle «Chasseurs de sons», repris en 2010-2011 à Paris).
La liste de dates prévues à travers toute la France démontre la renommée
de la formation, installée à Paris dans le nouvel Alhambra, situé à
quelques encablures du l’ancien temple de l’opérette et de la chanson
française, détruit en 1967. Aujourd’hui, la salle à taille humaine,
d’environ 600 places, donne tout le confort moderne attendu pour
l’événement: la sonorisation des interprètes permet à chacun de ne
jamais forcer, tout en brillant par la précision de chaque intervention.
Au-delà des nécessités comiques attendues, c’est bien la qualité vocale
globale qui impressionne – chaque soliste bénéficiant d’une solide
formation lyrique, tout particulièrement les femmes (deux d’entre elles
sont membres du chœur de chambre Accentus). Au gré de ces acrobaties
tant lyriques que théâtrales, le groupe nous embarque dans une valse
endiablée de répertoires, passant allégrement du classique revisité (on
pourra s’amuser à reconnaître les emprunts à Vivaldi, Mozart, Richard
Strauss et tant d’autres) à la comédie musicale (Bernstein ou Michel
Legrand), sans oublier le jazz et la musique pop.
On ne pourra que recommander de courir applaudir ces artistes à la bonne humeur communicative, tout en conseillant d’arriver tôt avant le début du spectacle – le placement dans la salle de L’Alhambra étant libre.
samedi 10 octobre 2020
« Giovanna d’Arco » de Giuseppe Verdi - Opéra de Metz - 06/10/2020
Pour autant, on se laisse aller rapidement à ces nouveautés, tant l’inspiration de Verdi se montre à son meilleur dès l’Ouverture, aux accents dramatiques et admirablement nuancés. La mise en valeur de la finesse de l’ornementation de l’orchestration de Verdi doit beaucoup au travail de Roberto Rizzi Brignoli, grand spécialiste de ce répertoire (voir notamment Le Bal masqué donné à Metz en 2015): avec force détails révélés aux bois (bénéficiant en cela de la réduction du nombre des cordes pour cause de COVID), le geste félin et sautillant n’oublie jamais la narration d’ensemble, le tout sans couvrir ses chanteurs. Autre grand atout de la soirée avec le Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, manifestement très bien préparé dans la précision de ses interventions.
Cet écrin de qualité autour des chanteurs les aide à affronter les redoutables difficultés de la partition, notamment dans la première partie très guerrière, aux modulations périlleuses dans les changements de registre. Ainsi de Patrizia Ciofi (Jeanne), toujours aussi irradiante de présence scénique et d’intelligence au service du texte, qui se joue d’un instrument vocal parfois dur dans l’aigu, un rien trop métallique dans les accélérations, au moyen d’une technique sans faille: on pense notamment à ses pianissimi de rêve dans les parties apaisées, qui n’ont rien à envier aux plus grandes, Anna Netrebko comprise (voir sa prestation milanaise dans le même rôle en 2015-2016). De son côté, Jean-François Borras (Charles VII) n’est pas en reste dans un rôle qu’il connaît bien pour l’avoir déjà chanté à Rouen en 2008. L’élégance des phrasés du ténor français, tout autant que son beau timbre clair, donne beaucoup de présence à sa prestation, particulièrement en une fin d’ouvrage très réussie. On est moins séduit en revanche par les couleurs grises de Pierre-Yves Pruvot (Jacques), au vibrato prononcé, qui assure toutefois l’essentiel par son incontestable métier. Il est toutefois dommage que l’Opéra de Metz n’aie pas su trouver un interprète à la hauteur de Ciofi et Borras, les deux autres rôles principaux.
Enfin, la mise en scène de Paul-Emile Fourny se joue astucieusement de l’exiguïté de la scène grâce au recours important à la vidéo, en un aller-retour subtil entre figuration réaliste et abstraction (avec des lignes entremêlées qui figurent autant un labyrinthe que les fils pour en sortir), tout en ayant recours au ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole pour donner davantage de force brute à l’action scénique. On regrettera seulement des costumes peu imaginatifs et peu saillants (surtout pour Jean-François Borras), sans parler des éclairages sous-utilisés dans l’ensemble. Pas de quoi gâcher le plaisir d’un spectacle de très bonne tenue, qui fait une entrée réussie au répertoire de l’Opéra de Metz.
samedi 26 septembre 2020
« Ero et son petit monde » de Jakov Gotovac - Ivan Repusic - Disque CPO
Chef principal de l’Orchestre national de l’Opéra croate de 1923 à 1958,
Jakov Gotovac (1895-1982) fit parallèlement une carrière de compositeur
particulièrement reconnu dans son pays et au-delà : le deuxième de ses
huit opéras, Ero et son petit monde (1935), reste l’un des rares
ouvrages lyriques croates encore donné de nos jours. On comprend
pourquoi à l’écoute des premières mesures, tant l’allégresse entraînante
aux rythmes survitaminés et les couleurs orchestrales brillantes nous
embarquent dans les aventures du fantasque et astucieux Ero. A force de
ruses, le héros parvient à tromper tout son petit monde villageois, en
écho au conte populaire dont est tiré le récit. On pourra bien entendu
reprocher à Gotovac de limiter son langage musical aux dernières lueurs
du romantisme, solidement arrimé à la tonalité. Il n’en reste pas moins
que son goût pour l’ivresse des coloris folkloriques, autant que son
imagination mélodique et son orchestration variée, n’ont rien à envier à
ses probables modèles Smetana et Moniuszko, ou parfois à son
contemporain Carl Orff.
Il était possible jusqu’à présent de découvrir l’ouvrage dans la version enregistrée par Gotovac lui-même en 1962 pour Croatia Records,
avec la sublime contralto Marijana Radev dans le rôle de Doma. En
comparaison, la présente version bénéficie d’interprètes à la hauteur,
en un niveau homogène dominé par le soprano lumineux de Valentina
Fijacko Kobic (Dula). L’autre grand atout de ce disque est constitué par
la cohésion du Chœur de la Radio-télévision croate, bien plus en place
que celui de la version Gotovac, tandis qu’Ivan Repusic se distingue par
son geste vif et allégé, à l’humour narratif piquant dans les détails
révélés aux bois. On se félicitera encore de la superbe prise de son,
qui permet de rendre hommage à ce compositeur dans les meilleures
conditions. Un album vivement recommandé!
vendredi 25 septembre 2020
Oeuvres rares de Haydn, Schubert, Françaix, Taneïev, Kodály, Krása et Enesco - Trio Goldberg - Disque Ars Produktion
Le présent disque combine les deux versants avec le recours à une transcription de la Sonate pour piano Hob.XVI:40 de Haydn (1784), tout en nous faisant découvrir plusieurs petites pièces inattendues de Jean Françaix (1912-1997), Zoltán Kodály, Hans Krása (1899-1944) ou Georges Enesco, sans parler de quelques ouvrages inachevés, dus à Sergueï Taneïev (1856-1915) et Franz Schubert.
A chaque fois, le trio donne le meilleur de ces œuvres, avec une sensibilité à fleur de peau qui évite soigneusement tout vibrato: l’élégance domine, d’une maîtrise parfaite dans les mouvements lents, là où on aimerait parfois davantage de corps dans les parties plus enlevées. Un disque à réserver aux plus curieux, désireux d’embrasser ce voyage musical sur tout le continent européen, jusqu’à Moscou, sur plus de deux siècles.
lundi 21 septembre 2020
« Ouvertures 2 » de Daniel-François-Esprit Auber - Dario Salvi - Disque Naxos
Lancée dans un premier volume en 2015, l’intégrale des ouvertures des ouvrages lyriques de Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871) fait son retour chez Naxos,
cette fois avec un orchestre tchèque et un chef italien, et ce après un
autre disque déjà paru en 2018 avec les mêmes interprètes, curieusement
intitulé «Ouvertures». C’est donc en réalité le troisième disque
consacré à Auber, avec de nombreuses premières mondiales, dont son tout
premier essai lyrique en 1805, L’Erreur d’un moment, une comédie
«mêlée en un acte de chant». On y découvre un Auber inattendu, aux
atours mozartiens, déjà plus inspiré au niveau mélodique que son mentor
Cherubini.
Une autre surprise du disque vient de la présence du Concerto pour violon,
une œuvre de jeunesse composée vers 1805, qui obtient un vif succès à
sa création. L’interprétation malheureusement trop sage de Dario Salvi
(une constante de cet enregistrement), il est vrai peu aidé par les
cordes un rien flottantes de la Philharmonie de chambre de Pardubice, ne
rend qu’imparfaitement justice à l’ouvrage. Fort heureusement, le
violon aérien de Markéta Cepická donne davantage d’élan à ce Concerto
qui marie habilement lyrisme et rythmique entraînante en son premier
mouvement – le plus ambitieux.
Le disque s’intéresse également à la période des années 1820, celle où
Auber se lance dans une carrière de compositeur prolifique pour l’opéra:
toute de raffinement épuré, l’introduction lente de l’Ouverture de son
premier drame lyrique écrit en solo, Léocadie (1824), permet de mesurer tous les progrès accomplis en termes de variété dans l’architecture musicale, tandis que celle du Concert à la cour,
composée la même année, lorgne vers Rossini avec ses envolées aux
cordes frémissantes. On retrouve la même légèreté aux fulgurances
étourdissantes dans les extraits symphoniques de Fiorella (1826), alors que les autres morceaux proposés se révèlent plus anecdotiques, notamment du fait de leur durée brève.
C’est précisément un autre reproche que l’on pourra faire à ce disque,
un rien trop court (un peu plus d’une heure de musique), à
l’interprétation de bonne tenue, à laquelle manque toutefois un grain de
folie. Un disque à réserver aux plus curieux de l’œuvre d’Auber.
dimanche 20 septembre 2020
« La Musique entre France et Espagne. XVIe-XXe siècles » de Louis Jambou - Livre L’Harmattan Univers musical
La limite de l’ouvrage vient toutefois de l’hétérogénéité des articles, que Jambou tente néanmoins de hiérarchiser en une passionnante introduction, que l’on aurait aimé plus développée encore. L’ouvrage est ainsi l’occasion d’étudier les relations musicales entre les deux pays, principalement pendant la période baroque. A la manière d’un historien avisé, Jambou n’en oublie pas de rappeler la réalité de la division du pouvoir entre les couronnes d’Aragon et de Castille, avant la domination de Madrid sur le reste du pays, puis les autonomies régionales contemporaines. En des études toujours étayées d’exemples précis au service de sa démonstration, l’auteur s’attache aussi à balayer certains clichés, tels que la réalité des notions de source populaire, de nationalisme musical au XIXe siècle ou d’«espagnolade». On trouvera aussi des articles avec des analyses plus musicologiques qu’historiques, notamment pour différencier les styles français et espagnol, tandis que Jambou n’en oublie pas de s’intéresser à deux de ses instruments favoris, la guitare et l’orgue.
La fin de l’ouvrage fait place à des articles centrés autour de personnalités telles qu’Emmanuel Chabrier, Henri Collet, Manuel de Falla, Alexandre Tansman ou... Uuno Klami. Dommage que le texte souffre d’un travail éditorial pour le moins bâclé, en multipliant coquilles et erreurs de ponctuation – l’auteur se montrant souvent fâché avec les virgules. Pas de quoi renoncer à découvrir cette somme qui démontre la réalité des liens féconds et souvent méconnus entre les deux grands voisins que sont la France et l’Espagne.
lundi 7 septembre 2020
« Phèdre » de Jean-Baptiste Lemoyne - Győrgy Vashegyi - Disque Glossa
Lancée en 2014 avec Amadis de Gaule de Jean-Chrétien Bach,
la collection «Opéra français» continue de s’intéresser au genre de la
tragédie lyrique encore très apprécié dans les années 1790. Après Les Danaïdes de Salieri,
les équipes du Palazzetto Bru Zane nous font découvrir le méconnu
Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796), qui fit une partie de sa carrière en
Allemagne, en tant que second maître de musique à la cour de Prusse.
Proche de Gluck, sa musique fut parfois jugée un peu raide par ses
contemporains, mais on ne peut lui contester une grande efficacité
dramatique, comme en témoigne la version réduite de Phèdre (1786) donnée ici
au Théâtre des Bouffes du Nord avec Julien Chauvin à la direction. Ce
spectacle produit par le Palazzetto Bru Zane avait bénéficié de
plusieurs aménagements par rapport au présent disque, réduisant
l’ouvrage à l’essentiel avec la suppression des rôles secondaires: la
charge émotionnelle ainsi obtenue avait pleinement justifié sa
présentation sur scène.
Avec cet album, aucune coupure ne viendra fâcher le puriste, tandis que
l’on retrouve l’orchestration originale dirigée, cette fois, par le
geste un rien statique du chef hongrois Győrgy Vashegyi. Rescapée du
plateau vocal réuni aux Bouffes du Nord, Judith van Wanroij illumine
chacune de ses interventions de son timbre toujours aussi superbe de
profondeur et d’intensité, porté par un engagement de tous les instants.
A ses côtés, Julien Behr assure l’essentiel, et ce malgré une émission
souvent trop serrée, tandis que Tassis Christoyannis met en valeur ses
qualités de diction et d’articulation, faisant oublier le peu de
couleurs qu’il lui reste. Parmi les seconds rôles, le toujours
impeccable Jérôme Boutillier se distingue par sa musicalité, prenant le
dessus sur ses partenaires féminines, Melody Louledjian et Ludivine
Gombert, à l’émission instable dans le suraigu. Le chœur hongrois
Purcell surprend encore par sa maîtrise quasi parfaite du français,
donnant beaucoup de satisfactions tout du long.
Du fait de ses qualités théâtrales, l’ouvrage de Lemoyne mérite d’être
découvert en priorité sur scène: il reste toutefois très agréable à
l’écoute au disque, malgré une orchestration un peu froide et quelques
redites.
dimanche 6 septembre 2020
Symphonie concertante pour violoncelle de Prokofiev et Concerto pour violoncelle de Khatchatourian - Xenia Jankovic - Disque Calliope
Dernier chef-d’œuvre de Prokofiev composé en 1952, la Symphonie concertante pour violoncelle
est l’adaptation d’un concerto composé juste avant la guerre, qui
n’avait pas rencontré le succès escompté. Inspiré par Mstislav
Rostropovitch pour lequel il composait parallèlement un Concertino
(resté malheureusement inachevé), Prokofiev donne davantage de place à
l’orchestre, tout en accentuant le rôle virtuose du soliste: l’ouvrage
conserve toutefois sa richesse mélodique généreuse, dont se saisit la
violoncelliste serbe Xenia Jankovic (née en 1958) – admirable
d’engagement, tout en faisant ressortir de superbes couleurs.
Enfant prodige qui fut l’élève de
Rostropovitch, Pierre
Fournier et André Navarra, elle demeure très rare dans nos contrées, de telle sorte qu’on se réjouit de découvrir cet enregistrement réussi. Son lyrisme fait également merveille dans le Concerto pour violoncelle
(1946) de Khatchatourian, proche de la manière du dernier Prokofiev. On
retrouve les qualités de mélodiste du compositeur arménien, en un style
spectaculaire lyrique et fluide, très agréable à l’écoute. Cet ouvrage
abordable n’empêchera pas le Soviétique d’être catalogué comme
«formaliste» en 1948, avant que l’écriture du ballet Spartacus (1954) ne vienne redorer son blason auprès des autorités.
On pourra préférer l’accompagnement un peu plus nerveux de Dejan Savic,
là où Christian Ehwald se montre un rien plus en retrait face au superbe
violoncelle de Xenia Jankovic. On se délecte par ailleurs de la prise
de son à la réverbération équilibrée, qui rend justice à cet
enregistrement sur le vif, tout comme à l’excellent Orchestre
symphonique de la Radio-télévision serbe (RTS). Un grand disque.
jeudi 20 août 2020
Trios pour piano de Max Reger - Il Furibondo - Disque Solo Musica
Peu connue en France, la musique de Max Reger (1873-1916) ne laisse pas
de fasciner, tant elle prend des visages variés en fonction de son
inspiration, de l’influence brahmsienne des débuts aux effluves
impressionnistes du tournant du siècle, sans oublier l’expressionnisme
plus franc de la dernière période. Le coffret de sept disques édité par Berlin Classics en 2007 regroupait des enregistrements historiques permettant d’appréhender
cette diversité, où l’on note quelques recherches de timbres aux
frontières de l’atonalité, bien avant l’école de Vienne. Disparu très
tôt à seulement 43 ans, Reger a laissé un corpus étonnamment conséquent,
surtout dans le domaine symphonique et en musique de chambre. Outre le
coffret consacré à l’intégrale de ses œuvres pour violoncelle et piano,
le présent disque rend hommage au compositeur en présentant ces pièces
parmi les plus achevées, et ce en des versions hautement recommandables.
Ainsi du passionnant Premier Trio (1904) qui laisse entrevoir dès
l’introduction lente le goût du compositeur pour les atmosphères
fuyantes, avant de s’embarquer en des variations d’intensité au
caractère affirmé. La mélodie prend ensuite place en des échos
brahmsiens, rapidement interrompue par le retour des scansions. Formé en
2011, le trio italien Il Furibondo se délecte de ces variations un rien
déroutantes, en mettant en valeur les couleurs des instruments, avec
force détails dans l’attention aux nuances et quelques attaques franches
en contraste. Cette approche sied parfaitement aux humeurs changeantes
ici à l’œuvre: du grand art interprétatif. Le Larghetto qui suit
donne une idée de la hauteur d’inspiration de Reger, en maître des
subtilités du pianissimo, avant que la mélodie ne retrouve ses droits
dans le beau Scherzo aux accents plus lyriques (loin de l’austérité à laquelle on attache trop souvent le compositeur), puis dans l’Allegro final, également très réussi.
Autre chef-d’œuvre avec le Second Trio (1915), qui joue avec les frontières de la tonalité dans l’Allegro initial, aussi mouvant qu’évasif. La sensibilité des interprètes magnifie ensuite le superbe Andante, avec un jeu sur les timbres qui soutient un mélange délicat de tristesse mélodieuse. Sommet de l’ouvrage, le Scherzo
rageur est porté par l’élan grinçant des attaques, au service d’un
mouvement étonnamment tournoyant et narquois. Voilà un corpus qui
modifie en profondeur l’image uniforme qu’on avait du compositeur.
lundi 17 août 2020
« Maître Péronilla » de Jacques Offenbach - Markus Poschner - Disque Glossa
Après la réussite du précédent album consacré à Offenbach, les équipes du Palazzetto Bru Zane nous offrent de découvrir un ouvrage plus méconnu, Maître Péronilla (1878). Présenté l’an passé en version de concert lors d’une unique représentation au Théâtre des Champs-Elysées, cet opéra bouffe ne laisse pas un grand souvenir au niveau de son livret, dû au compositeur avec l’aide de Charles-Louis-Etienne Nuitter et Paul Ferrier. L’intrigue inutilement alambiquée lorgne vers Goldoni, en un ton passéiste que ne sauvent pas des dialogues souvent convenus. Fort heureusement, Offenbach se montre plus inspiré au niveau mélodique, multipliant les airs entêtants et irrésistibles.
On a donc là un Offenbach de second rang, mais qui vaut par l’excellent
plateau vocal réuni, toujours aussi attentif à la diction. Les femmes se
distinguent avec le timbre opulent d’Antoinette Dennefeld
(Frimouskino), l’élégance drolatique de Véronique Gens (Léona) ou la
sensibilité de Chantal Santon-Jeffery (Alvarès) – et ce malgré des aigus
parfois arrachés. Eric Huchet (Maître Péronilla) et Tassis
Christoyannis (Ripardos) n’ont plus rien à prouver dans ce répertoire où
ils trouvent toujours le ton juste dans leurs réparties comiques,
tandis que le moindre second rôle démontre toute l’attention portée à
cet enregistrement. Autour d’un Chœur de Radio, France très précis, le
chef allemand Markus Poschner (né en 1971) tient bien son rôle, même si
l’on aimerait davantage de détails dans sa direction un rien trop
virile. Un très bel enregistrement, toujours aussi soigneusement édité
et présenté par des notices précises, notamment celle de Gérard Condé.
mercredi 5 août 2020
«Hypnos» par la compagnie La Tempête - Simon-Pierre Bestion - Heures musicales de l'abbaye de Lessay - 31/07/2020
Parmi les quelques festivals sauvés des nombreuses annulations, les Heures musicales de l’abbaye de Lessay (Manche) accueillent une dizaine de concerts cet été, tout en permettant de découvrir les beautés de la nature préservée du Cotentin, entre côtes sauvages, bocages et marais. Située entre Cherbourg et Coutances, l’abbaye romane de Lessay en impose d’emblée par ses dimensions majestueuses aux lignes épurées, sans qu’il soit possible de deviner les stigmates des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, suite à une parfaite reconstruction à l’identique. Bénéficiant d’une acoustique peu réverbérée pour un édifice religieux, l’abbaye favorise naturellement la musique baroque, particulièrement la musique vocale, et ce depuis 1993, date fondatrice du festival. Malgré le contexte sanitaire, la plupart des concerts (un peu moins d’une dizaine chaque été) ont pu être maintenus pour le plus grand bonheur des spectateurs, même si la jauge a été adaptée avec seulement 270 places, généreusement espacées dans la nef.
Par son invitation au recueillement et à la concentration, cette disposition inhabituelle sied admirablement au spectacle proposé par la compagnie La Tempête, menée par son excellent fondateur Simon-Pierre Bestion (né en 1988). On retrouve les qualités de jeux sur la palette de timbres et la spatialisation, qui nous avaient tant séduit à la découverte de cet ensemble, alors tout jeune en 2015 à Périgueux. Au fur et à mesure de l’avancée du concert, l’ensemble du public lâche prise en ne cherchant plus systématiquement à voir, mais bien à se concentrer sur l’écoute, et tout particulièrement les huit voix réparties différemment selon les morceaux. Comme à Périgueux, le spectacle joue de l’alternance virtuose entre répertoire a capella ancien et contemporain, osant revisiter des chants italiens liturgiques anonymes des IXe et XIe siècles. Ces pièces surprennent par leur ferveur et leur intensité, aux atours joyeux et hypnotiques marqués par l’utilisation du mélisme, rappelant certaines musiques juives traditionnelles. Les extraits religieux des XIVe et XVe siècles font l’étalage d’une modernité toujours aussi étonnante dans l’entrecroisement savant des voix, en parfait miroir avec les audaces du répertoire contemporain. Entre le magma informe et fascinant d’où émerge progressivement l’emphase d’Olivier Greif (1950-2000) et les ondulations entre piano et forte de Giacinto Scelsi (1905-1988), le répertoire a capella s’exprime dans toute sa diversité, sans oublier Arvo Pärt (né en 1935) et sa palette de notes qui parcourent subrepticement les voix, pour mieux s’éteindre discrètement ensuite.
Les huit interprètes se montrent à la hauteur malgré quelques infimes
décalages au début, se chauffant peu à peu pour convaincre pleinement
ensuite. On notera toutefois quelques disparités de niveau, l’un des
ténors montrant peu de style dans la puissance, là où les sopranos
rayonnent littéralement à chaque intervention. De même, le chef
Simon-Pierre Bestion déçoit quelque peu dans ses passages solistes
psalmodiés en incipit, par une voix légèrement engorgée. Fort
heureusement, il se rattrape grandement par sa direction aussi détaillée
que précise qui fait tout le prix de ce concert, à chaque fois au
service de la narration d’ensemble. Peu de choses à dire en revanche sur
les éclairages minimalistes imaginés par Marianne Pelcerf, qui se
contente de répartir quelques néons verticaux en différentes parties de
l’abbaye, les éclairant ou non selon les différentes pièces proposées.
mercredi 8 juillet 2020
« Symphonies 1 et 3 » de Carl Reinecke - Henry Raudales - Disque CPO
Sa dette à Mendelssohn et Schumann est patente, avec quelques rares passages au souffle brahmsien. La longue gestation de la Première Symphonie (1858-1870), remaniée plusieurs fois, ne doit pas en minorer l’intérêt, tant l’inspiration mélodique se montre supérieure aux symphonies ultérieures. L’Ouverture de l’opéra Le Roi Manfred (1866), ici agrémentée d’autres extraits charmants mais dispensables (Romance et Prélude du cinquième acte), reste également l’une de ses plus belles réussites, tout particulièrement dans la fluidité des idées, bien mise en valeur par le savoir-faire de l’orchestration. On pourra aussi se laisser séduire par la pompeuse mais efficace Marche triomphale de 1871.
Souvent considéré comme trop sage (voir notamment l’opéra chambriste Les Cygnes sauvages de 1881), Reinecke fait valoir une ambition autrement plus notable dans sa Troisième et dernière symphonie (1895), osant davantage dans l’entrecroisement des mélodies et l’ivresse sonore des cuivres. La version gravée par Howard Shelley pour Chandos en 2011, avec une meilleure prise de son et des tempi plus enlevés, se montre toutefois bien préférable au geste d’Henry Raudales, d’une bonne tenue d’ensemble, mais auquel il manque un rien de souffle. Un disque toutefois recommandable pour les œuvres «de jeunesse».
mercredi 24 juin 2020
« Symphonies 1 et 2 » de Eivind Groven - Peter Szilvay - Disque Naxos
Issu d’une famille de musiciens, Groven pratiqua le violon Hardanger pendant toute son enfance avec ses parents, lors des fêtes populaires, avant de prendre des leçons de composition sur le tard, au Conservatoire d’Oslo en 1925. Ses origines «campagnardes», autant que son profil en grande partie autodidacte, font de lui l’un des musiciens norvégiens les plus doués de sa génération.
samedi 13 juin 2020
« La Première Nuit de Walpurgis » de Mendelssohn - Frieder Bernius - Disque Carus
L’enregistrement de La Première Nuit de Walpurgis (1843) vient compléter cette somme avec les qualités habituelles de Bernius: élégance, transparence et finesse du rebond rythmique. Sous sa baguette, la cantate profane gagne en fluidité et en cohérence par l’unification stylistique de ses différentes parties. La fraîcheur piquante bienvenue, qui fait ressortir les vents, est ainsi un régal de chaque instant. On a là une nouvelle version de référence de cet ouvrage dont le souffle romantique a durablement influencé plusieurs contemporains – Berlioz et Schumann notamment. Le sujet traité, qui n’a ainsi rien à voir avec la scène du sabbat de Faust, n’est pas pour rien dans cet intérêt: adapté d’une ballade de Goethe, la cantate célèbre les anciens cultes païens germaniques, balayés par l’avènement du christianisme, avec un sens dramatique mémorable dans certaines scènes (superbe chœur des druides).
Le seul regret concernant ce disque est relatif à sa durée, trop courte avec à peine 50 minutes de musique, dont quelques 15 minutes d’extraits d’Œdipe à Colonne. On avait déjà pu dans le passé faire le même reproche à Frieder Bernius, décidément coutumier de la réutilisation d’enregistrements anciens pour compléter les nouveaux.
lundi 8 juin 2020
Oeuvres de chambre de Chostakovitch, Afanassiev et Glière - Octuor à cordes Oberton - Disque ARS Produktion
On retrouve une concentration au service de la narration dans le Double Quatuor (1872) de Nicolas Afanassiev (1821-1898), dont le dernier mouvement apparaît le plus réussi au niveau mélodique. Considéré comme l’un des pères de la musique de chambre en Russie, ce violoniste virtuose, tout à la fois pianiste et chef d’orchestre, reste peu connu en dehors de son pays. Avec un style proche du classicisme lumineux de Mendelssohn, Afanassiev a bénéficié de ses tournées dans toute la Russie, insérant plusieurs musiques populaires dans ses ouvrages, dont le Quatuor «Volga» (1860). En cela, il ne doit pas être confondu avec son contemporain Alexander Afanassiev (1826-1871), auteur de contes folkloriques qui ont inspiré Rimski-Korsakov, Prokofiev ou Stravinski.
Avec l’Octuor (1900) de Reinhold Glière (1874-1956), on a le retour à un ouvrage de jeunesse qui reste classique de facture, bien loin de la spectaculaire Troisième Symphonie (1912). Le langage lyrique, à la clarté toute brahmsienne, est bien rendu par les Oberton, toujours meilleurs dans le tranchant et les verticalités (superbe finale, sommet du disque), contrairement aux passages apaisés, où l’effort technique est plus audible. C’est en ce dernier domaine que la jeune formation a encore à travailler pour nous convaincre pleinement.
lundi 18 mai 2020
« Sinfonia technica » d'Eugene Zádor - Disque Naxos
Eugene Zádor sut aussi donner un visage plus sombre avec le bref In Memoriam (1962), probablement écrit pour rendre hommage à sa mère récemment décédée. Le langage lyrique et expressif lorgne vers le Copland tonal des ballets Billy the Kid et Rodeo. On préfère toutefois la dernière période du compositeur, qui s’intéresse à une musique plus concertante, avec des instruments surprenants tels que l’accordéon, le cymbalum ou dans une moindre mesure le trombone. Le Concerto pour trombone de 1966 rappelle parfois la manière de Richard Strauss dans ses propres concertos, tandis que la Musique pour clarinette et cordes (1970) évoque Bartók dans l’intériorité subtile et délicate. Fondé en 1945 par la Société nationale des chemins de fer hongrois, le solide Orchestre symphonique de la MAV de Budapest rend justice à cette musique agréable, toujours fidèle à ses principes post-romantiques. Le chef polonais Mariusz Smolij gagnerait parfois à enflammer davantage son geste, mais assure toutefois l’essentiel par son attention à la narration d’ensemble. Une belle découverte.
samedi 11 avril 2020
« Sérénades 1 et 2 - Dreams - L'Oiseau d'or » de George Antheil - Disque CPO
Parmi ces petites pièces expérimentales, la «chinoiserie» L’Oiseau d’or (1921) est un clin d’œil facétieux qui évoque son admiration pour Stravinski. Elève d’Ernst Bloch, puis de Nadia Boulanger, Antheil fut aussi très influencé par le groupe des six et le néoclassicisme, ce qui se ressent à l’écoute du ballet Rêves (1935). La musique fantasque, aux sonorités foraines, montre une inspiration variée et colorée, propre à cette période où le compositeur commence à assagir son style, dès son retour aux Etats-Unis en 1933.
Tout en travaillant pour Hollywood à partir de 1936, tel Korngold et tant d’autres, Antheil n’en oublie pas la musique dite «sérieuse» : sa Sixième et dernière symphonie reçoit ainsi l’honneur d’une création par rien moins que Pierre Monteux à San Francisco en 1948. Aux côtés des symphonies numérotées composées dès 1922, deux sérénades sont créées en 1948, puis 1949. A l’instar des deux dernières symphonies contemporaines, l’élégante Première Sérénade rappelle le style de Chostakovitch, en moins sombre. Seul l’Andante montre un visage sérieux, avec d’étonnants solos aux cordes, dont la contrebasse. Moins inspirée, la Seconde Sérénade, assez marmoréenne, se fait plus timide dans son élan.
Si les symphonies précitées, ainsi que la Troisième dite «Américaine» (1939, révisée en 1946), apparaissent davantage prioritaire en comparaison, ce disque vaut surtout pour la direction narrative de Fawzi Haimor, directeur musical de la Philharmonie de Reutlingen – une ville de plus de 100000 habitants située au sud de Stuttgart et qui n’a pas à rougir de la qualité de son ensemble musical.
lundi 6 avril 2020
« The Cloud Messenger » de Gustav Holst - Disque Delphian
La cantate sera retrouvée dans les années 1980, permettant le premier enregistrement discographique par Richard Hickox (Chandos, 1990), avant son décès prématuré en 2008 lors des sessions d’enregistrement de la Symphonie chorale (1925) de... Holst. Grand spécialiste de la musique anglaise, Hickox fait le choix d’une lecture analytique et probe, un rien trop lente par endroits. On préfère grandement la présente version, qui bénéficie de l’orchestration allégée pour ensemble de chambre, évitant tout effet de masse. On gagne ainsi en mystère et en couleurs chatoyantes, se perdant avec délice dans le flot hypnotique et entêtant du geste aérien de Joseph Fort – à la tête d’un superlatif ensemble et d’un chœur non moins lumineux, qu’on ne présente plus.
Si l’inspiration puise dans l’apaisement rayonnant de Parsifal, ainsi que dans le lyrisme oriental façon Rimski-Korsakov (proche en cela de Roussel ou Schmitt), Holst n’en oublie pas quelques innovations dans les entrecroisements verticaux des voix, qui annoncent autant les audaces stravinskiennes que son propre chef-d’œuvre choral L’Hymne de Jésus (1917). On perçoit aussi déjà quelques détails d’orchestration typiques du compositeur, tel que l’usage fréquent de l’ostinato ou le recours au célesta en touches délicates, qui annoncent les passages impressionnistes des Planètes.
Bénéficiant d’une superbe prise de son, ce grand disque est à ne pas manquer pour tout amoureux de la musique symphonique et chorale anglaise du début du XXe siècle.
mardi 31 mars 2020
« Tarare » d’Antonio Salieri - Christophe Rousset - Disque Aparté
On comprend d’emblée cet enthousiasme, tant l’ouvrage brille de mille feux autour d’une variété d’atmosphères portée par une palette de couleurs en fines touches, autant qu’un rebond rythmique constant. Dès l’Ouverture dramatique, on pense bien entendu à l’influence de Gluck, tout autant que la déclamation éloquente de l’opéra français: le librettiste Beaumarchais fut en effet très attaché à défendre la primauté du texte, grâce à une attention à la prononciation. La présente version s’efforce, avec son plateau vocal de luxe pratiquement entièrement francophone, à réussir cette gageure, tout en étant aidée par la direction vive et légère de Rousset, très engagé tout du long. Le chef français parvient à donner une opportune continuité entre les courts récitatifs (où chaque détail de l’orchestration est mis en valeur) et les airs et ensembles, donnant beaucoup de vitalité à l’ensemble.
La grande force de ce disque est aussi de réunir les meilleurs chanteurs actuels dans ce répertoire, tous parfaitement investis dans le projet. Ainsi de la lumineuse Judith van Wanroij ou de l’incandescente Karine Deshayes, sans parler du timbre toujours aussi séduisant de Cyrille Dubois ou de l’art de la déclamation de Jean-Sébastien Bou. La distribution sait aussi soigner les seconds rôles avec les interprétations de caractère d’Enguerrand de Hys (irrésistible de drôlerie dans les accents donnés au populaire Calpigi) ou le superlatif Jérôme Boutillier, dont on ne cesse de vanter les mérites prestation après prestation. Outre une édition luxueuse, bénéficiant du livret complet et d’une large iconographie, on se félicitera de l’excellente prise de son qui rend justice à ce petit bijou. On se réjouit d’avance de retrouver Christophe Rousset au Festival de Beaune le 11 juillet prochain, afin de découvrir les charmes d’un nouvel ouvrage d’importance, l’Armida du même Salieri – tout premier succès obtenu à la cour d’Autriche en 1771, peu de temps avant la mort de son protecteur Florian Leopold Gassmann (1729-1774).