jeudi 20 août 2020

Trios pour piano de Max Reger - Il Furibondo - Disque Solo Musica

Peu connue en France, la musique de Max Reger (1873-1916) ne laisse pas de fasciner, tant elle prend des visages variés en fonction de son inspiration, de l’influence brahmsienne des débuts aux effluves impressionnistes du tournant du siècle, sans oublier l’expressionnisme plus franc de la dernière période. Le coffret de sept disques édité par Berlin Classics en 2007 regroupait des enregistrements historiques permettant d’appréhender cette diversité, où l’on note quelques recherches de timbres aux frontières de l’atonalité, bien avant l’école de Vienne. Disparu très tôt à seulement 43 ans, Reger a laissé un corpus étonnamment conséquent, surtout dans le domaine symphonique et en musique de chambre. Outre le coffret consacré à l’intégrale de ses œuvres pour violoncelle et piano, le présent disque rend hommage au compositeur en présentant ces pièces parmi les plus achevées, et ce en des versions hautement recommandables.

Ainsi du passionnant Premier Trio (1904) qui laisse entrevoir dès l’introduction lente le goût du compositeur pour les atmosphères fuyantes, avant de s’embarquer en des variations d’intensité au caractère affirmé. La mélodie prend ensuite place en des échos brahmsiens, rapidement interrompue par le retour des scansions. Formé en 2011, le trio italien Il Furibondo se délecte de ces variations un rien déroutantes, en mettant en valeur les couleurs des instruments, avec force détails dans l’attention aux nuances et quelques attaques franches en contraste. Cette approche sied parfaitement aux humeurs changeantes ici à l’œuvre: du grand art interprétatif. Le Larghetto qui suit donne une idée de la hauteur d’inspiration de Reger, en maître des subtilités du pianissimo, avant que la mélodie ne retrouve ses droits dans le beau Scherzo aux accents plus lyriques (loin de l’austérité à laquelle on attache trop souvent le compositeur), puis dans l’Allegro final, également très réussi.

Autre chef-d’œuvre avec le Second Trio (1915), qui joue avec les frontières de la tonalité dans l’Allegro initial, aussi mouvant qu’évasif. La sensibilité des interprètes magnifie ensuite le superbe Andante, avec un jeu sur les timbres qui soutient un mélange délicat de tristesse mélodieuse. Sommet de l’ouvrage, le Scherzo rageur est porté par l’élan grinçant des attaques, au service d’un mouvement étonnamment tournoyant et narquois. Voilà un corpus qui modifie en profondeur l’image uniforme qu’on avait du compositeur.

lundi 17 août 2020

« Maître Péronilla » de Jacques Offenbach - Markus Poschner - Disque Glossa

 

Après la réussite du précédent album consacré à Offenbach, les équipes du Palazzetto Bru Zane nous offrent de découvrir un ouvrage plus méconnu, Maître Péronilla (1878). Présenté l’an passé en version de concert lors d’une unique représentation au Théâtre des Champs-Elysées, cet opéra bouffe ne laisse pas un grand souvenir au niveau de son livret, dû au compositeur avec l’aide de Charles-Louis-Etienne Nuitter et Paul Ferrier. L’intrigue inutilement alambiquée lorgne vers Goldoni, en un ton passéiste que ne sauvent pas des dialogues souvent convenus. Fort heureusement, Offenbach se montre plus inspiré au niveau mélodique, multipliant les airs entêtants et irrésistibles.


On a donc là un Offenbach de second rang, mais qui vaut par l’excellent plateau vocal réuni, toujours aussi attentif à la diction. Les femmes se distinguent avec le timbre opulent d’Antoinette Dennefeld (Frimouskino), l’élégance drolatique de Véronique Gens (Léona) ou la sensibilité de Chantal Santon-Jeffery (Alvarès) – et ce malgré des aigus parfois arrachés. Eric Huchet (Maître Péronilla) et Tassis Christoyannis (Ripardos) n’ont plus rien à prouver dans ce répertoire où ils trouvent toujours le ton juste dans leurs réparties comiques, tandis que le moindre second rôle démontre toute l’attention portée à cet enregistrement. Autour d’un Chœur de Radio, France très précis, le chef allemand Markus Poschner (né en 1971) tient bien son rôle, même si l’on aimerait davantage de détails dans sa direction un rien trop virile. Un très bel enregistrement, toujours aussi soigneusement édité et présenté par des notices précises, notamment celle de Gérard Condé.

mercredi 5 août 2020

«Hypnos» par la compagnie La Tempête - Simon-Pierre Bestion - Heures musicales de l'abbaye de Lessay - 31/07/2020

 

Parmi les quelques festivals sauvés des nombreuses annulations, les Heures musicales de l’abbaye de Lessay (Manche) accueillent une dizaine de concerts cet été, tout en permettant de découvrir les beautés de la nature préservée du Cotentin, entre côtes sauvages, bocages et marais. Située entre Cherbourg et Coutances, l’abbaye romane de Lessay en impose d’emblée par ses dimensions majestueuses aux lignes épurées, sans qu’il soit possible de deviner les stigmates des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, suite à une parfaite reconstruction à l’identique. Bénéficiant d’une acoustique peu réverbérée pour un édifice religieux, l’abbaye favorise naturellement la musique baroque, particulièrement la musique vocale, et ce depuis 1993, date fondatrice du festival. Malgré le contexte sanitaire, la plupart des concerts (un peu moins d’une dizaine chaque été) ont pu être maintenus pour le plus grand bonheur des spectateurs, même si la jauge a été adaptée avec seulement 270 places, généreusement espacées dans la nef.

Par son invitation au recueillement et à la concentration, cette disposition inhabituelle sied admirablement au spectacle proposé par la compagnie La Tempête, menée par son excellent fondateur Simon-Pierre Bestion (né en 1988). On retrouve les qualités de jeux sur la palette de timbres et la spatialisation, qui nous avaient tant séduit à la découverte de cet ensemble, alors tout jeune en 2015 à Périgueux. Au fur et à mesure de l’avancée du concert, l’ensemble du public lâche prise en ne cherchant plus systématiquement à voir, mais bien à se concentrer sur l’écoute, et tout particulièrement les huit voix réparties différemment selon les morceaux. Comme à Périgueux, le spectacle joue de l’alternance virtuose entre répertoire a capella ancien et contemporain, osant revisiter des chants italiens liturgiques anonymes des IXe et XIe siècles. Ces pièces surprennent par leur ferveur et leur intensité, aux atours joyeux et hypnotiques marqués par l’utilisation du mélisme, rappelant certaines musiques juives traditionnelles. Les extraits religieux des XIVe et XVe siècles font l’étalage d’une modernité toujours aussi étonnante dans l’entrecroisement savant des voix, en parfait miroir avec les audaces du répertoire contemporain. Entre le magma informe et fascinant d’où émerge progressivement l’emphase d’Olivier Greif (1950-2000) et les ondulations entre piano et forte de Giacinto Scelsi (1905-1988), le répertoire a capella s’exprime dans toute sa diversité, sans oublier Arvo Pärt (né en 1935) et sa palette de notes qui parcourent subrepticement les voix, pour mieux s’éteindre discrètement ensuite.


Les huit interprètes se montrent à la hauteur malgré quelques infimes décalages au début, se chauffant peu à peu pour convaincre pleinement ensuite. On notera toutefois quelques disparités de niveau, l’un des ténors montrant peu de style dans la puissance, là où les sopranos rayonnent littéralement à chaque intervention. De même, le chef Simon-Pierre Bestion déçoit quelque peu dans ses passages solistes psalmodiés en incipit, par une voix légèrement engorgée. Fort heureusement, il se rattrape grandement par sa direction aussi détaillée que précise qui fait tout le prix de ce concert, à chaque fois au service de la narration d’ensemble. Peu de choses à dire en revanche sur les éclairages minimalistes imaginés par Marianne Pelcerf, qui se contente de répartir quelques néons verticaux en différentes parties de l’abbaye, les éclairant ou non selon les différentes pièces proposées.