lundi 25 février 2013

« Ciboulette » de Reynaldo Hahn - Opéra-Comique - 18/02/2013

L’Opéra-Comique nous offre un avant-goût de printemps avec la nouvelle production de « Ciboulette », chef-d’œuvre de Reynaldo Hahn. Ce brillant hommage à l’opérette est aussi l’occasion de découvrir la première promotion de l’académie de l’Opéra-Comique, composée de jeunes chanteurs professionnels recrutés spécifiquement pour défendre ce répertoire.

Grande affluence lundi soir à l’Opéra-Comique pour la deuxième représentation du Ciboulette de Reynaldo Hahn (1874-1947). Affichant complet tous les soirs, cette nouvelle production constitue un évènement salué par France Musique, qui consacre une semaine entière au compositeur avant la retransmission de l’ouvrage en direct vendredi 22 février à 20 heures. Outre la traditionnelle présentation de l’œuvre dans le Grand Foyer restauré, les spectateurs peuvent participer à une préparation vocale leur permettant de chanter deux des airs les plus fameux de l’opérette pendant la représentation. Une initiative ludique et chaleureuse due au metteur en scène Michel Fau et à la chef d’orchestre Laurence Equilbey.
Tous deux ont souhaité apporter de légères modifications au livret original, coupant ou modernisant quelques passages parlés, ajoutant aussi une délicieuse mélodie (1) de Hahn chantée par un Michel Fau (2) grimé en Comtesse de Castiglione, personnage mineur de l’opérette. Un irrésistible moment d’humour décalé, où l’acteur interprète une diva aux allures de Castafiore qui s’émeut et s’époumone devant un public aux anges. Cela ne dénature en rien cette œuvre composée en 1923 qui reste avant tout un savoureux pastiche de l’opérette, hommage réussi à un genre alors en déclin.
Un hommage à Lecocq et Offenbach
Ciboulette est une commande du célèbre librettiste Robert de Flers à son ami Reynaldo Hahn, esthète raffiné et membre des plus éminents salons littéraires de Paris. L’ancien amant de Marcel Proust est chargé de composer une opérette en hommage à Lecocq et Offenbach, dans l’esprit de la fin du xixe siècle. On y retrouve ainsi tous les ingrédients du couple amoureux contrarié, des rebondissements aussi soudains que rocambolesques, tandis qu’une galerie de truculents personnages gravite autour de la ravissante héroïne.
Le livret imagine l’improbable rencontre entre deux jeunes gens que tout oppose socialement, Ciboulette, maraîchère aux Halles, et Antonin de Mourmelon, riche benêt qui se remet à peine de la perte de sa chère Zénobie, partie conter fleurette avec un beau lieutenant. Antonin est consolé par son nouvel ami Duparquet, qui n’est autre que le Rodolphe de la Bohème (référence au roman d’Henri Murger et non pas à l’opéra de Puccini), personnage plus âgé qui commente souvent l’action et guide les deux amoureux vers une issue heureuse.
Julie Fuchs (Ciboulette) obtient une ovation méritée à l’issue du spectacle tant son chant raffiné et subtil offre à son interprétation une classe indéniable. Malgré une projection un peu faible, elle compose un couple très crédible avec Julien Behr (Antonin), qui n’en fait jamais trop dans ce difficile rôle de benêt. À ses côtés, le Duparquet de Jean-François Lapointe, lui aussi vivement applaudi, convainc tout autant. Et que dire des seconds rôles tous parfaits, des savoureux parents de Ciboulette, à la rocailleuse Bernadette Lafont en hilarante vendeuse de poissons, en passant par Jérôme Deschamps dans son propre rôle de directeur d’Opéra ?
La première académie de l’Opéra-Comique
Si la réussite de cette production repose avant tout sur ses interprètes, c’est que ceux-ci ont été choisis pour leur capacité à alterner le chant avec les passages parlés, très nombreux, et leur diction impeccable. La première académie de l’Opéra-Comique, mise en place pour la saison 2012-2013, répond précisément à ces contraintes en formant dix jeunes chanteurs de moins de 35 ans aux spécificités du répertoire de l’opérette, offrant cours de diction, de respiration, ainsi que la nécessaire application à la scène. Mention particulière à la Zénobie d’Eva Ganizate, vibrante et insolente, tandis que Patrick Kabongo Mubenga montre de belles qualités d’interprète comique dans le petit rôle de Victor.
La mise en scène classique de Michel Fau refuse toute transposition et dévoile des tableaux réalistes très respectueux de l’œuvre, en évoquant les halles ou Aubervilliers par la reproduction de vieux clichés photographiques sur des décors suspendus. Fau joue constamment avec les volumes ou les couleurs, ces dernières magnifiées par les différents éclairages ou les costumes extravagants de David Belugou. Alors, évidemment, on pourra regretter les quelques insuffisances du pupitre de cordes de l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon, celles du chœur Accentus, un rien trop timide dans les passages facétieux, mais parfait côté chant.
Fort heureusement, la direction précise et attentive de Laurence Equilbey apporte un équilibre décisif à la cohésion des ensembles, permettant à la verve rythmique entraînante des mélodies de Hahn de se déployer et de satisfaire autant le profane que l’amateur de musique lyrique, à l’instar de ce que professait son cher Mozart. 

1. « Mon rêve était d’avoir un amant », mélodie de Reynaldo Hahn composée pour le film la Dame aux Camélias (1934).
2. Voir aussi Cabaret emphatique, avec Michel Fau.

vendredi 8 février 2013

« Le Tour d'écrou » de Benjamin Britten - Opéra de Massy - 02/02/2013

À Massy, une excellente production venue d’Arras dévoile l’énigmatique « Tour d’écrou » de Benjamin Britten. Un opéra au suspens implacable et à la musique ensorcelante.


On s’est parfois demandé à quoi pouvait bien servir de fêter l’anniversaire de la naissance ou de la mort d’un compositeur largement connu et reconnu. En 2006, ce fut ainsi au tour de Mozart d’accuser 250 printemps, offrant ainsi une opportune publicité à de nombreuses productions qui n’en demandaient pas tant. De même, cette année, impossible d’échapper au bicentenaire de la naissance des incontournables Wagner et Verdi, tandis que Benjamin Britten (1913-1976), leur cadet de cent ans tout juste, ne recueille visiblement pas les mêmes honneurs (1).
Fort heureusement, la programmation de l’Opéra de Massy se distingue de celles de ses homologues parisiens en rendant hommage en 2013 aux trois compositeurs (2), à commencer par Britten et son huitième opéra le Tour d’écrou. Le compositeur britannique reste curieusement méconnu du grand public alors qu’on peut le considérer comme l’égal d’un Richard Strauss en matière d’opéra. Britten partage avec lui les mêmes qualités d’orchestrateur virtuose, ainsi qu’une attention minutieuse dans le choix de ses livrets d’opéra, qui trouvent souvent leur source dans des adaptations littéraires, du Billy Budd de Hermann Melville au Mort à Venise de Thomas Mann, en passant par le Tour d’écrou de Henry James.
Une nouvelle énigmatique
Esthète cultivé amateur de poésie et de littérature, Britten a eu très tôt une fascination pour cette nouvelle énigmatique de James, aux interprétations multiples, qui raconte les difficultés rencontrées par une gouvernante chargée d’assurer l’éducation de deux jeunes orphelins, Miles et Flora, probablement hantés par les revenants Peter Quint et Miss Jessel. Personnage au centre de toutes les attentions, Miles se retrouve étouffé, telle une vis que l’on resserre, par des tours d’écrou progressifs qui évoquent l’emprise morale exercée par les adultes sur le monde de l’enfance. La musique de Britten, aux infinies subtilités chambristes que révèlent treize instrumentistes, parvient à un degré d’alchimie avec l’œuvre originale en refusant tout effet spectaculaire, augmentant la tension au fur et à mesure dans un climat toujours plus mystérieux.
La belle scénographie épurée d’Alain Lagarde joue avec quelques éléments de décor, parfois suspendus dans les airs, qui apparaissent et disparaissent rapidement pour différencier les courts tableaux. Sur le vaste plateau aux sols aussi sombres que les murs, les éclairages projetés impriment une forêt inquiétante en ombre chinoise ou un manoir constitué d’uniques fenêtres rougeoyantes. L’atmosphère fantastique ainsi créée offre un écrin captivant à la mise en scène d’Olivier Bénézech qui privilégie l’interprétation des deux revenants corrupteurs, révélateurs du monde de l’expérience et chantres de la fin de l’innocence. Peter Quint rôde ainsi dans la chambre des enfants, entourant leurs lits fragiles de son chant inquiétant, ou manipule un Miles réduit au rôle de pantin lorsqu’il joue debout au piano, dos au public. La scène finale particulièrement réussie voit le jeune enfant marcher lentement derrière la gouvernante, tel un félin sûr de lui auprès de sa proie, tandis que Quint apparaît toujours visible en retrait pour manipuler les fils de l’action.
Une direction enlevée
La direction enlevée de Jean-Luc Tingaud enflamme cette production venue d’Arras et reprise au Théâtre de l’Athénée à Paris en 2011, où les rôles des enfants sont ici tenus par deux solistes issus de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Juliette Maes et Théophile Baquet-Gonin offrent une composition scénique et vocale très convaincante pour leur jeune âge. À leurs côtés, David Curry (Quint) et Chantal Santon Jeffery (la gouvernante) imposent un chant radieux, mais où manquent peut-être quelques aspérités vénéneuses en rapport avec l’ambiguïté de leurs rôles. Seule la Miss Jessel de Liisa Viinanen parvient à se montrer réellement inquiétante avec sa voix aux riches harmoniques, tandis que Rachel Calloway (Mrs Grose) démontre de réelles qualités d’actrice malgré une voix légèrement fatiguée.
Dans un suspens digne de Hitchcock, mené par de subtiles allusions aussi bien littéraires que musicales, ce Tour d’écrou se déploie superbement, offrant un plaisir sans doute plus intellectuel que réellement physique. Prochain rendez-vous avec Britten en mars prochain à Colmar (avant Mulhouse en avril et Strasbourg en juillet) pour entendre Owen Wingrave, une autre adaptation d’une œuvre de Henry James où il est question de revenants. 

1. Les deux chefs-d’œuvre de Britten, Peter Grimes et Billy Budd, ont été joués à l’Opéra Bastille pour la dernière fois respectivement en 2004 et 2010, tandis que l’Opéra Comique présentait de son côté le savoureux Albert Herring en 2009. Enfin, notons l’excellente production du Tour d’écrou, reprise en 2005 au Théâtre des Champs-Élysées avec Mireille Delunsh dans le rôle de la gouvernante.
2. Une « Nuit Wagner » sera ainsi proposée le 28 mars, tandis que l’opéra Nabucco de Verdi sera monté à la mi-avril 2013.