lundi 18 juin 2018

« El Prometeo » d'Antonio Draghi - Opéra de Dijon - 15/06/2018

(© Gilles Abegg/Opéra de Dijon)
Quel plaisir de retrouver Leonardo Garciá Alarcón et son ensemble Cappella Mediterranea à Dijon en cette fin de saison! Nouvel artiste en résidence de l’Opéra depuis cette année, le chef argentin poursuit ainsi l’ancrage de l’institution dans le répertoire baroque: rien d’étonnant à cela quand on sait que le grand Jean-Philippe Rameau est natif de la capitale bourguignonne. En cette fin de saison, il nous est donné de découvrir un compositeur largement oublié de nos jours en la personne d’Antonio Draghi (1634-1700), alors qu’il fut l’un des artistes les plus fêtés de son temps. D’abord chanteur pour Francesco Cavalli et librettiste pour d’autres grands compositeurs, Antonio Draghi s’imposa en tant que compositeur à partir de la fin des années 1660, écrivant tout au long de sa carrière plus d’une centaine d’opéras et se montrant tout aussi prolifique dans le répertoire religieux. Sa renommée lui permit de rejoindre de 1658 jusqu’à sa mort la Cour impériale d’Autriche, travaillant pour un souverain particulièrement féru de musique en la personne de Léopold Ier.

Si Vincent Dumestre a pu exhumer en début d’année l’oratorio Le Tremblement de terre (1682), place cette fois à l’ouvrage lyrique El Prometeo, créé fin 1669 pour célébrer l’anniversaire de la reine d’Espagne. C’est bien la découverte de la traduction espagnole dans les archives viennoises qui a incité Alarcón à monter ce spectacle, et ce malgré le troisième acte manquant. L’Argentin a souhaité le compléter, tout en y adjoignant une Ouverture plus développée, dans un style légèrement différent de Draghi, moins élaboré au niveau orchestral et plus virtuose au niveau vocal. Les deux premiers actes nous plongent ainsi dans la musique envoûtante de Draghi, au flot continu principalement constitué de récitatifs ornés dans le style de Cavalli et accompagnés par un orchestre particulièrement imaginatif, souvent en opposition. Les airs sont assez rares, tout comme les interventions du chœur, le tout se rapprochant nettement de l’opéra vénitien.


On est moins convaincu en revanche par l’intrigue, particulièrement confuse avec sa douzaine de personnages. Il s’agit semble-t-il de la première adaptation du mythe de Prométhée en musique, vaguement inspirée de Calderón, dont Draghi ne reprend que certains éléments spectaculaires, du vol du feu à la punition divine, tout en lui ajoutant rivalités amoureuses et relations conflictuelles entre hommes et Dieux. On ne relatera pas le détail de l’intrigue, mais force est de constater que le travail de Laurent Delvert (ancien assistant de Denis Podalydès) n’aide pas à la démêler. C’est là sa première mise en scène, réalisée en peu de temps en reprenant les travaux préparatoires de Gustavo Tambascio, décédé en début d’année sans pouvoir achever la production. Le parti pris des deux hommes joue la carte du visuel, en proposant une scénographie de toute beauté, avec des costumes originaux pour les Dieux, inspirés du monde marin. L’idée forte consiste à transposer l’action humaine dans un cabinet de curiosités d’où Prométhée joue à l’apprenti sorcier avec sa statue devenue humaine – à l’instar de Frankenstein. Les éléments de décor minimalistes et symboliques séduisent à la découverte, mais ennuient rapidement ensuite tant leur usage se borne à la seule esthétique visuelle. On ne parlera pas de la direction d’acteurs, au statisme lassant hormis le personnage du Satyre, tandis que les quelques éléments comiques sont peu mis en avant. Un travail néanmoins cohérent dans son parti pris, mais qui ressemble par trop à un beau magazine de mode sur papier glacé.


Fort heureusement, le plateau vocal réuni se montre de belle qualité, au premier rang duquel la toujours lumineuse Mariana Flores (Tetis, La Estatua), tout autant qu’Ana Quintans (Minerva), à l’émission toute en rondeur et en sensibilité. On retiendra aussi le superlatif Mercure de Zachary Wilder, très sonore, tandis que Fabio Trümpy (Prometée) déçoit en début de représentation avec des aigus mal maîtrisés et quelques décalages avec la fosse, avant de convaincre davantage par la suite. Borja Quiza est un Satyre formidable de conviction, d’une fraîcheur d’intention et d’une qualité vocale admirable dans les attaques et la prononciation. Leonardo Garciá Alarcón dirige avec une attention toujours aussi soutenue son bel ensemble Cappella Mediterranea: on retrouvera le chef argentin dès le 6 juillet prochain au festival de Beaune dans l’oratorio Samson de Haendel.

samedi 16 juin 2018

« Manga-Café » de Pascal Zavaro et « Trouble in Tahiti » de Leonard Bernstein - Théâtre de l'Athénée à Paris - 13/06/2018

(© Odile Motelet)
Voilà une bien belle idée que de reprendre la production réussie de Trouble in Tahiti, montée à Tours en 2016. Composé en 1952, le premier opéra, en un acte, de Leonard Bernstein se voit cette fois adjoindre la création de Manga-Café de Pascal Zavaro (né en 1959) – là aussi une toute première expérience lyrique en un format court. L’idée est opportune tant les deux livrets peuvent être rapprochés: d’un côté l’expérience d’une vraie-fausse rencontre sur fond de geek attitude et de l’autre l’expérience des faux-semblants à l’œuvre dans un couple. Ces deux miroirs d’une solitude sont heureusement enrichis d’une musique scintillante, faisant valoir une énergie rythmique et une variation de climats enthousiastes chez Zavaro, ancien percussionniste souvent proche de la musique minimaliste américaine, tandis que Bernstein séduit plus encore par ses dons d’orchestrateur et son irrésistible talent mélodique. Ce sens du swing que l’on retrouve chez l’un et l’autre est le vrai fil conducteur de la soirée, même si l’on regrettera un texte (volontairement?) pauvre chez Zavaro, tourné vers l’esprit simpliste et naïf des mangas, là où Bernstein interroge avec finesse les illusions du rêve américain, tout autant que le machisme et l’individualisme (matérialisé dans la nécessité de réussir professionnellement en tant que winner).

La réussite de la soirée doit beaucoup à la mise en scène pétillante et inventive de Catherine Dune, inspirée par le comique absurde des situations dans les deux ouvrages. Les climats sont admirablement variés dans Manga-Café, s’approchant au plus près des intentions musicales, très nerveuses en son début. Associée à ce sentiment d’urgence, la banalité du fait divers (une femme se fait agresser dans le métro sous les yeux d’un jeune homme qui hésite à réagir) n’en ressort que davantage, bien rendue par la vidéo en noir et blanc et ses images oppressantes de tunnel pris à pleine vitesse. Catherine Dune sait aussi trouver quelques passages empreints de poésie lorsqu’un immense kimono sert à cacher les déplacements des personnages, permettant de découvrir des tableaux visuels inattendus. Avec Trouble in Tahiti, son travail se fait plus minimaliste, moquant avec beaucoup d’à-propos les personnages secondaires, incarnés par les comédiens comme des robots sans âme. La critique sociale de Bernstein prend ainsi un tour absurde tout à fait bienvenu.


L’ensemble du plateau vocal réuni emporte l’adhésion par sa fraîcheur vocale et son investissement manifeste. Si l’on pourra regretter la légère sonorisation pour une salle de si petite taille (un peu moins de 600 places), force est de constater que le choix d’Eléonore Pancrazi (Thomas, Dinah) parait d’emblée évident, tant la mezzo laisse entendre une plénitude vocale à l’aise dans tous les registres. Elle se montre curieusement plus en retrait dans la prononciation du français, un peu hésitante dans les attaques, tout en emportant l’adhésion dans Trouble in Tahiti, au chant il est vrai davantage tourné vers la comédie musicale. De naturel, Morgane Heyse (Makiko) ne manque pas, démontrant des qualités interprétatives superlatives et une souplesse vocale aérienne. Laurent Deleuil compose quant à lui un convainquant Sam, à l’émission bien placée, mais un rien plus en retrait au niveau de la projection. Dans la fosse, Julien Masmondet parvient à lier avec beaucoup de finesse tous les différents climats musicaux à l’œuvre, en adoptant un tempo qui respire harmonieusement: en fin de représentation, il a la bonne idée de faire applaudir sur scène son ensemble Les Apaches, à la hauteur de l’événement.

jeudi 14 juin 2018

« Barbe-Bleue » de Jacques Offenbach - Stefan Herheim - Opéra Comique de Berlin - 10/06/2018


Si Barbe-Bleue (1866) fait partie des incontestables chefs-d’œuvre d’Offenbach du fait, notamment, de ses mélodies irrésistibles et de son génie satirique, notre pays semble l’avoir quelque peu oublié. En dehors de la production de Waut Koeken montée à Nancy et à Angers-Nantes voilà quatre ans, il faudra ainsi attendre la saison prochaine pour apprécier le travail (toujours inspiré dans ce répertoire) de Laurent Pelly à Lyon. En attendant, depuis mars, les plus curieux ont pu se précipiter à Berlin pour entendre la version allemande revisitée par Stefan Herheim et son équipe. Il faut dire que ce choix est facilité par l’opportun apport des sous-titres individuels à choisir sur chaque siège du Komische Oper, et ce parmi quatre langues dont le français. Comme à son habitude, le metteur en scène norvégien conçoit un spectacle d’une rare intelligence, en s’attachant à améliorer le livret de Meilhac et Halévy pour lui donner plus de cohérence dramatique, tout en cherchant à se rapprocher au plus près de ses intentions comiques.


La version «classique» donnée pendant des décennies au Komische Oper dans la production de Walter Felsenstein faisait en effet l’impasse sur les nombreux sous-entendus grivois du texte français. Dans cet esprit, Herheim se permet aussi des ajouts en résonance avec l’actualité, tel le débat sur la reconstruction du château de Berlin: un projet vivement contesté ici, tant par son coût que par le choix d’y installer un musée consacré aux civilisations non européennes. Avec l’assemblage de dés géants et multifaces, la mise en scène laisse entrevoir tous les projets possibles (notamment l’ancien Parlement de la RDA), puis se contente de railler l’idée de construire un château... en l’absence d’un roi. L’ajout le plus pertinent est sans conteste celui de deux figures tutélaires, l’Amour et la Mort, qui rivalisent de bons mots pour se convaincre l’une l’autre, sans oublier de philosopher à l’occasion. Leur joute malicieuse prend toujours une place raisonnable par rapport à l’action et l’on se surprend même à s’attacher d’une part à la nostalgie et à la noblesse d’âme de la Mort et d’autre part, aux facéties précieuses de l’Amour. Herheim donne à un nain zozotant le plaisir d’incarner ce dernier rôle: Manni Laudenbach lui donne tour à tour une énergie frivole dans l’affirmation de ses principes et une simplicité touchante dans la fragilité. Face à lui, c’est plus encore l’éloquent Wolfgang Häntsch qui impressionne dans son rôle de Monsieur Loyal triste et sincère.


A cette double face de Janus répond un plateau vocal de haut niveau mené par Wolfgang Ablinger-Sperrhacke dans le rôle-titre – tout simplement irrésistible de bonne humeur volubile et d’arrogance futile. Mais c’est plus encore le Popolani désopilant de Tom Erik Lie, auquel ses maladresses et hésitations donnent des faux airs du magicien Garcimore, qui convainc pleinement. A ses côtés, Peter Renz (Roi Bobèche) n’est pas en reste dans le comique théâtral, tandis que Philipp Meierhöfer (Comte Oscar) assure correctement sa partie. Le couple de tourtereaux écervelés, composé de Vera-Lotte Böcker (Fleurette) et Johannes Dunz (Prince Saphir), rivalise admirablement entre innocence et ingénuité, tandis que Stefanie Schaefer fait valoir de belles qualités interprétatives pour son rôle de Boulotte – le plus exigeant vocalement. Son timbre corsé, admirablement projeté, lui vaut une belle ovation en fin de représentation, tout comme le chef Stefan Soltész, très inspiré. Il saisit bien toute la grâce légère d’Offenbach, sans jamais appesantir le tempo ou couvrir ses chanteurs. Il n’est pas pour rien dans la réussite de ce spectacle que l’on pourra à nouveau retrouver jusqu’à la fin de l’année à Berlin et que l’on recommande chaudement.

mercredi 13 juin 2018

« Arianna in Creta » de Haendel - Ulrichskirche à Halle - Festival de Halle - 09/06/2018

© Thomas Ziegler
Dans la chaleur étouffante de l’ancienne église Saint-Ulrich, désormais désacralisée et dévolue aux concerts, voilà que le festival de Halle nous propose l’une des affiches les plus alléchantes de la saison avec la version de concert d’Ariane en Crète (1734) : le plateau vocal réuni rassemble en effet des chanteurs baroques de tout premier plan jusque dans les moindres seconds rôles, expliquant la foule en nombre et l’enthousiasme général tout au long de la soirée. L’une des plus grandes satisfactions, au-delà du pur plaisir vocal, est l’ambiance de franche camaraderie qui règne sur le plateau: les sourires se lisent sur tous les visages qui s’encouragent et se congratulent, bien conscients de la valeur de chacun.

Il faut dire que le jeune chef russe Maxim Emelyanychev ne ménage pas ses efforts pour entraîner les interprètes à donner le meilleur, par une gestuelle aussi attentive que volubile... tout en dirigeant du clavecin. L’effet visuel n’est pas toujours heureux, tant cette débauche d’énergie frise l’hystérie, n’évitant pas quelques décalages avec les chanteurs, mais il faut reconnaître un amour sincère pour cette musique défendue avec panache. On regrettera aussi que l’acoustique de Saint-Ulrich favorise par trop les voix au détriment de l’orchestre: le travail avec l’ensemble Il Pomo d’Oro est ainsi noyé dans un fondu peu lisible malgré l’effectif réduit à douze cordes. Il faut dire que l’ouvrage de Haendel semble avoir privilégié l’écriture pour les voix, à l’inverse par exemple de Muzio Scevola (voir la représentation donnée la veille à Bad Lauchstädt, dans le cadre du festival).


Pour autant, avec un tel plateau vocal, nul ennui possible. On mentionnera en tout premier lieu une impériale Karina Gauvin (Ariane), faisant de chaque note un sortilège de couleurs, de nuances et de poésie, avec sa technique souple et aérienne basée sur un vibrato audible mais jamais envahissant. La pureté du timbre, intacte, comme la rondeur des phrasés, font de chacune de ses interventions un plaisir renouvelé. Elle affiche une grande complicité avec l’autre grande star de la soirée en la personne d’Ann Hallenberg (Thésée), très en forme. L’émission plus naturelle de la mezzo lui permet de se jouer de toutes les difficultés techniques avec une aisance stupéfiante, particulièrement dans les passages virtuoses entonnés en des tempi d’enfer. Le timbre garde toute sa beauté dans les graves, alors qu’on pourra noter une légère perte de substance dans l’aigu ou les vocalises: mais à ce niveau-là, ces réserves ne sont que mineures.


A ses côtés, Francesca Aspromonte (Alceste) impose sa force de caractère autour d’une interprétation rayonnante d’aisance la aussi: la voix plus tendue est un régal de précision dans la prononciation (les «r» roulés notamment). Autre grande dame, Kristina Hammerström (Carilda) émerveille par la noblesse de son chant basé sur la pureté de la ligne et la respiration harmonieuse. A peine pourra-t-on regretter une projection plus limitée par rapport à ses consœurs. Rien de tel pour Mary-Ellen Nesi qui s’impose dans le rôle de Tauride avec beaucoup de conviction. Sa superbe articulation et son impact physique lui valent des applaudissements nourris elle aussi. On mentionnera enfin Andreas Wolf dans le court rôle de Minos (un seul air), dont les qualités de diction et le volume sonore emportent l’adhésion.

mardi 12 juin 2018

« Muzio Scevola » de Filippo Amadei, G. B. Bononcini & Haendel - Goethe-Theater à Bad Lauchstädt - Festival de Halle - 08/06/2018

© Stiftung Händel-Haus
Les soirées se suivent mais ne se ressemblent pas au festival de Halle: après la superbe production de Bérénice donnée la veille, voilà que l’on retombe brutalement à un niveau vocal globalement correct mais desservi par le contre-ténor Alexis Vassiliev, aux interventions pourtant conséquentes dans le rôle-titre. On avoue ne pas comprendre son choix par la direction du festival, tout autant que l’audace pour ce chanteur d’affronter un rôle si périlleux avec des moyens aussi réduits: l’émission instable, les faussetés nombreuses ou les décalages avec la fosse en font une caricature de mauvais chanteur, tel que les films consacrés à Florence Foster Jenkins ont pu nous la montrer.

C’est d’autant plus regrettable que le reste du plateau vocal est satisfaisant (surtout en dernière partie), sans pour autant briller. La soirée vaut surtout pour la découverte de Bad Lauchstädt, un village consacré au thermalisme et situé à une trentaine de minutes de Halle en voiture: son petit théâtre bénéficie d’une acoustique exceptionnelle dont les qualités de résonance doivent beaucoup à son revêtement intérieur en bois. L’affiche de la soirée passionne heureusement d’emblée pour la confrontation musicale entre les trois compositeurs contemporains à l’œuvre dans Muzio Scevola (1721): au méconnu Filippo Amadei revient le premier acte, tandis que le rival de Haendel, Giovanni Battista Bononcini se charge du II. En plus du III, Haendel a aussi composé l’Ouverture. On a souvent lu ici ou là l’indigence supposée des deux premiers actes: force est de constater que tout cela tient la route.


Aux moyens classiques et tournés vers le passé d’Amadei répond ainsi le savoir-faire de Bononcini, habile dans les effets dramatiques dévolus aux graves dans les passages orchestraux, tandis que le soutien aux chanteurs se fait souvent avec l’écho entêtant des cordes. Ces effets classiques mais efficaces ne résistent pas à l’imagination de l’écriture de Haendel au III, où les mélodies s’entrecroisent avec une virtuosité savante, en une richesse d’orchestration admirable. Curieusement, Marek Stryncl paraît moins à l’aise dans la musique de Haendel que dans celle de ses prédécesseurs, appuyant et articulant trop de nombreux passages. Auparavant, on s’était pourtant régalé de son énergie communicative, tout autant que des belles couleurs déployées par son orchestre.


On passera rapidement sur la mise en scène classique et interchangeable de Laurent Charoy, qui nous donne à voir une représentation dans l’esprit du XVIIIe siecle, avec postures figées face au public, costumes d’époque et décors à l’ancienne. Quelques danseurs viennent animer l’ensemble çà et là, évoquant les postures baroques alors en usage. L’ensemble est réglé avec goût dans les costumes et précision dans les détails, mais ce parti pris global manque singulièrement de prise de risque et d’originalité.

lundi 11 juin 2018

« Berenice » de Haendel - Opéra de Halle - Festival de Halle - 07/06/2018

© Anna Kolata
La saison des festivals bat déjà son plein en Allemagne et tout particulièrement dans les villes voisines que sont Leipzig et Halle : les géants contemporains Bach et Haendel y sont respectivement à l’honneur chaque année à cette période. Halle a choisi de centrer sa riche programmation sur l’immense production lyrique de Haendel que l’on peut ainsi découvrir dans toute sa diversité. Cette année, le festival s’intéresse à Bérénice (1737), l’un des ouvrages les moins connus de son auteur, qui laisse entrevoir une musique fluide, sûre de ses moyens mais peu aventureuse.

Le livret satirique est admirablement servi par la mise en scène astucieuse de Jochen Biganzoli, qui brocarde avec beaucoup de malice les travers contemporains d’une jeunesse entièrement happée par les réseaux sociaux: les attitudes narcissiques et superficielles trouvent leur expression au moyen d’un plateau tournant qui évoque le vide de sens à force de tournis, tout autant que la projection vidéo omniprésente. Dans le même temps, le rôle d’Aristobolo est transformé en maître de cérémonie et des illusions: c’est lui qui signifiera la fin de la récréation à l’issue du spectacle, permettant l’improbable réconciliation générale. Auparavant, Jochen Biganzoli a l’intelligence de ne pas tomber dans les limites que sa mise en scène dénonce: c’est bien Demetrio qui arrache d’un geste rageur le fil électrique permettant aux personnages de se libérer de leur addiction; enfin livrés au miroir de leur triste existence, ils peuvent retrouver le chemin vers l’autre.


L’ensemble du plateau vocal réuni se montre d’un haut niveau, au premier rang duquel se distingue l’impériale Romelia Lichtenstein dans le rôle-titre, imposant son sens dramatique et ses graves mordants. Son duo avec le hautboïste au III est l’un des plus grands moments du spectacle, vivement applaudi. A ses côtés, les deux contre-ténors Samuel Marino (Alessandro) et Filippo Mineccia (Demetrio) reçoivent des ovations méritées: qu’il est loin le temps où l’on reprochait à ce type de voix son manque de puissance et d’épaisseur! Tout le contraire ici, tant les deux jeunes interprètes semblent se jouer de toutes les difficultés vocales, signant par ailleurs une belle composition. On mentionnera encore le chant admirable de Franziska Gottwald (Arsace), très en forme. Jörg Halubek dirige d’un geste sûr une formation qui montre de belles qualités de cohésion, à défaut de couleurs individuelles. On aurait aimé davantage de respiration et de nuances ici ou là, mais ces réserves restent mineures par rapport à la qualité globale du spectacle.

dimanche 10 juin 2018

« Agnes von Hohenstaufen » de Gaspare Spontini - Opéra d'Erfurt - 06/06/2018

© Lutz Edelhoff
Spontini, le plus français des compositeurs italiens? En réalité, c’est davantage le régime napoléonien qui fêta ce jeune ambitieux de caractère, séduit par l’intensité dramatique de son premier grand succès, La Vestale (1807). C’est aujourd’hui le seul ouvrage de Gaspare Spontini (1776-1851) encore au répertoire, alors que la dernière partie de sa carrière en Prusse lui permit de rencontrer des succès notables. Ainsi de son dernier ouvrage Agnes von Hohenstaufen (1829), écrit en allemand pour la cour de Berlin et remanié ensuite dans cette même ville en 1837. C’est cette dernière version qui est présentée en ce moment au Théâtre d’Erfurt dans la langue de Goethe: un événement à souligner car il n’y a pas eu de reprises de l’ouvrage depuis le XIXe siècle, en dehors de l’adaptation en italien. On citera notamment la production réunissant rien moins que Riccardo Muti et Montserrat Caballé en 1970, heureusement préservée par le disque (Opera d’Oro).

En dehors de l’Ouverture et de la toute fin de l’ouvrage (trop longue et qui tourne à vide musicalement à force de rebondissements artificiels), Spontini montre un métier sûr, en variant admirablement les climats tout en recherchant de nouvelles sonorités, dans l’esprit aventureux de Berlioz ou Meyerbeer. Il fait également une grande place à l’orchestre, avec des effets de masse et des verticalités qui écrasent parfois les chanteurs. Il revient cette fois à Erfurt de s’intéresser à cet ouvrage au livret malheureusement trop confus, ancêtre du grand opéra à la française, qui met en avant les relations conflictuelles entre Français et Germaniques au temps des Guelfes et Gibelins.


Le metteur en scène français Marc Adam, ancien directeur des opéras de Rouen et Nice notamment, reste très fidèle au déroulé des événements, proposant une sobre scénographie qui met en valeur la richesse des costumes d’époque. Plusieurs allusions au futur conflit entre Français et Prussiens de 1914 sont distillées tout au long de l’action, des projections vidéo du conflit (pendant l’Ouverture) aux habits des deux souverains, sans parler du masque à gaz discrètement posé sur le côté du plateau. Adam se joue habilement de l’exiguïté de la scène de la salle moderne d’Erfurt, d’environ 800 places, tout en se servant à l’occasion du premier balcon pour placer le chœur et offrir quelques surprises dans la spatialisation du son. Seuls les déplacements convenus du chœur montrent un travail inabouti.


Autour de cette mise en scène classique et efficace, c’est surtout le plateau vocal qui convainc par sa belle homogénéité. Claudia Sorokina se joue admirablement du rôle-titre à force d’éloquence et d’investissement dramatique. L’émission, un peu serrée au premier acte, se déploie ensuite idéalement. Margrethe Fredheim (Irmengard) montre de belles qualités dans la seule virtuosité vocale, tandis que Máté Sólyom-Nagy (l’empereur Henri VI) donne une hauteur de vue à son personnage par la fluidité de sa ligne de chant. Bernhard Berchtold (Heinrich Braunschweig) n’est pas en reste dans l’élégance et le sens de nuance, mais manque par trop de projection. On mentionnera encore le superlatif Kakhaber Shavidze (l’archevêque de Mayence) et des seconds rôles globalement bons. La Grecque Zoi Tsokanou cherche à lisser les arrêtes dans un geste legato qui ne brusque pas l’orchestre local. On gagne en souplesse ce que l’on perd en architecture globale.