Chef principal de l’Orchestre national de l’Opéra croate de 1923 à 1958,
Jakov Gotovac (1895-1982) fit parallèlement une carrière de compositeur
particulièrement reconnu dans son pays et au-delà : le deuxième de ses
huit opéras, Ero et son petit monde (1935), reste l’un des rares
ouvrages lyriques croates encore donné de nos jours. On comprend
pourquoi à l’écoute des premières mesures, tant l’allégresse entraînante
aux rythmes survitaminés et les couleurs orchestrales brillantes nous
embarquent dans les aventures du fantasque et astucieux Ero. A force de
ruses, le héros parvient à tromper tout son petit monde villageois, en
écho au conte populaire dont est tiré le récit. On pourra bien entendu
reprocher à Gotovac de limiter son langage musical aux dernières lueurs
du romantisme, solidement arrimé à la tonalité. Il n’en reste pas moins
que son goût pour l’ivresse des coloris folkloriques, autant que son
imagination mélodique et son orchestration variée, n’ont rien à envier à
ses probables modèles Smetana et Moniuszko, ou parfois à son
contemporain Carl Orff.
Il était possible jusqu’à présent de découvrir l’ouvrage dans la version enregistrée par Gotovac lui-même en 1962 pour Croatia Records,
avec la sublime contralto Marijana Radev dans le rôle de Doma. En
comparaison, la présente version bénéficie d’interprètes à la hauteur,
en un niveau homogène dominé par le soprano lumineux de Valentina
Fijacko Kobic (Dula). L’autre grand atout de ce disque est constitué par
la cohésion du Chœur de la Radio-télévision croate, bien plus en place
que celui de la version Gotovac, tandis qu’Ivan Repusic se distingue par
son geste vif et allégé, à l’humour narratif piquant dans les détails
révélés aux bois. On se félicitera encore de la superbe prise de son,
qui permet de rendre hommage à ce compositeur dans les meilleures
conditions. Un album vivement recommandé!
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
samedi 26 septembre 2020
« Ero et son petit monde » de Jakov Gotovac - Ivan Repusic - Disque CPO
vendredi 25 septembre 2020
Oeuvres rares de Haydn, Schubert, Françaix, Taneïev, Kodály, Krása et Enesco - Trio Goldberg - Disque Ars Produktion
Le présent disque combine les deux versants avec le recours à une transcription de la Sonate pour piano Hob.XVI:40 de Haydn (1784), tout en nous faisant découvrir plusieurs petites pièces inattendues de Jean Françaix (1912-1997), Zoltán Kodály, Hans Krása (1899-1944) ou Georges Enesco, sans parler de quelques ouvrages inachevés, dus à Sergueï Taneïev (1856-1915) et Franz Schubert.
A chaque fois, le trio donne le meilleur de ces œuvres, avec une sensibilité à fleur de peau qui évite soigneusement tout vibrato: l’élégance domine, d’une maîtrise parfaite dans les mouvements lents, là où on aimerait parfois davantage de corps dans les parties plus enlevées. Un disque à réserver aux plus curieux, désireux d’embrasser ce voyage musical sur tout le continent européen, jusqu’à Moscou, sur plus de deux siècles.
lundi 21 septembre 2020
« Ouvertures 2 » de Daniel-François-Esprit Auber - Dario Salvi - Disque Naxos
Lancée dans un premier volume en 2015, l’intégrale des ouvertures des ouvrages lyriques de Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871) fait son retour chez Naxos,
cette fois avec un orchestre tchèque et un chef italien, et ce après un
autre disque déjà paru en 2018 avec les mêmes interprètes, curieusement
intitulé «Ouvertures». C’est donc en réalité le troisième disque
consacré à Auber, avec de nombreuses premières mondiales, dont son tout
premier essai lyrique en 1805, L’Erreur d’un moment, une comédie
«mêlée en un acte de chant». On y découvre un Auber inattendu, aux
atours mozartiens, déjà plus inspiré au niveau mélodique que son mentor
Cherubini.
Une autre surprise du disque vient de la présence du Concerto pour violon,
une œuvre de jeunesse composée vers 1805, qui obtient un vif succès à
sa création. L’interprétation malheureusement trop sage de Dario Salvi
(une constante de cet enregistrement), il est vrai peu aidé par les
cordes un rien flottantes de la Philharmonie de chambre de Pardubice, ne
rend qu’imparfaitement justice à l’ouvrage. Fort heureusement, le
violon aérien de Markéta Cepická donne davantage d’élan à ce Concerto
qui marie habilement lyrisme et rythmique entraînante en son premier
mouvement – le plus ambitieux.
Le disque s’intéresse également à la période des années 1820, celle où
Auber se lance dans une carrière de compositeur prolifique pour l’opéra:
toute de raffinement épuré, l’introduction lente de l’Ouverture de son
premier drame lyrique écrit en solo, Léocadie (1824), permet de mesurer tous les progrès accomplis en termes de variété dans l’architecture musicale, tandis que celle du Concert à la cour,
composée la même année, lorgne vers Rossini avec ses envolées aux
cordes frémissantes. On retrouve la même légèreté aux fulgurances
étourdissantes dans les extraits symphoniques de Fiorella (1826), alors que les autres morceaux proposés se révèlent plus anecdotiques, notamment du fait de leur durée brève.
C’est précisément un autre reproche que l’on pourra faire à ce disque,
un rien trop court (un peu plus d’une heure de musique), à
l’interprétation de bonne tenue, à laquelle manque toutefois un grain de
folie. Un disque à réserver aux plus curieux de l’œuvre d’Auber.
dimanche 20 septembre 2020
« La Musique entre France et Espagne. XVIe-XXe siècles » de Louis Jambou - Livre L’Harmattan Univers musical
La limite de l’ouvrage vient toutefois de l’hétérogénéité des articles, que Jambou tente néanmoins de hiérarchiser en une passionnante introduction, que l’on aurait aimé plus développée encore. L’ouvrage est ainsi l’occasion d’étudier les relations musicales entre les deux pays, principalement pendant la période baroque. A la manière d’un historien avisé, Jambou n’en oublie pas de rappeler la réalité de la division du pouvoir entre les couronnes d’Aragon et de Castille, avant la domination de Madrid sur le reste du pays, puis les autonomies régionales contemporaines. En des études toujours étayées d’exemples précis au service de sa démonstration, l’auteur s’attache aussi à balayer certains clichés, tels que la réalité des notions de source populaire, de nationalisme musical au XIXe siècle ou d’«espagnolade». On trouvera aussi des articles avec des analyses plus musicologiques qu’historiques, notamment pour différencier les styles français et espagnol, tandis que Jambou n’en oublie pas de s’intéresser à deux de ses instruments favoris, la guitare et l’orgue.
La fin de l’ouvrage fait place à des articles centrés autour de personnalités telles qu’Emmanuel Chabrier, Henri Collet, Manuel de Falla, Alexandre Tansman ou... Uuno Klami. Dommage que le texte souffre d’un travail éditorial pour le moins bâclé, en multipliant coquilles et erreurs de ponctuation – l’auteur se montrant souvent fâché avec les virgules. Pas de quoi renoncer à découvrir cette somme qui démontre la réalité des liens féconds et souvent méconnus entre les deux grands voisins que sont la France et l’Espagne.
lundi 7 septembre 2020
« Phèdre » de Jean-Baptiste Lemoyne - Győrgy Vashegyi - Disque Glossa
Lancée en 2014 avec Amadis de Gaule de Jean-Chrétien Bach,
la collection «Opéra français» continue de s’intéresser au genre de la
tragédie lyrique encore très apprécié dans les années 1790. Après Les Danaïdes de Salieri,
les équipes du Palazzetto Bru Zane nous font découvrir le méconnu
Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796), qui fit une partie de sa carrière en
Allemagne, en tant que second maître de musique à la cour de Prusse.
Proche de Gluck, sa musique fut parfois jugée un peu raide par ses
contemporains, mais on ne peut lui contester une grande efficacité
dramatique, comme en témoigne la version réduite de Phèdre (1786) donnée ici
au Théâtre des Bouffes du Nord avec Julien Chauvin à la direction. Ce
spectacle produit par le Palazzetto Bru Zane avait bénéficié de
plusieurs aménagements par rapport au présent disque, réduisant
l’ouvrage à l’essentiel avec la suppression des rôles secondaires: la
charge émotionnelle ainsi obtenue avait pleinement justifié sa
présentation sur scène.
Avec cet album, aucune coupure ne viendra fâcher le puriste, tandis que
l’on retrouve l’orchestration originale dirigée, cette fois, par le
geste un rien statique du chef hongrois Győrgy Vashegyi. Rescapée du
plateau vocal réuni aux Bouffes du Nord, Judith van Wanroij illumine
chacune de ses interventions de son timbre toujours aussi superbe de
profondeur et d’intensité, porté par un engagement de tous les instants.
A ses côtés, Julien Behr assure l’essentiel, et ce malgré une émission
souvent trop serrée, tandis que Tassis Christoyannis met en valeur ses
qualités de diction et d’articulation, faisant oublier le peu de
couleurs qu’il lui reste. Parmi les seconds rôles, le toujours
impeccable Jérôme Boutillier se distingue par sa musicalité, prenant le
dessus sur ses partenaires féminines, Melody Louledjian et Ludivine
Gombert, à l’émission instable dans le suraigu. Le chœur hongrois
Purcell surprend encore par sa maîtrise quasi parfaite du français,
donnant beaucoup de satisfactions tout du long.
Du fait de ses qualités théâtrales, l’ouvrage de Lemoyne mérite d’être
découvert en priorité sur scène: il reste toutefois très agréable à
l’écoute au disque, malgré une orchestration un peu froide et quelques
redites.
dimanche 6 septembre 2020
Symphonie concertante pour violoncelle de Prokofiev et Concerto pour violoncelle de Khatchatourian - Xenia Jankovic - Disque Calliope
Dernier chef-d’œuvre de Prokofiev composé en 1952, la Symphonie concertante pour violoncelle
est l’adaptation d’un concerto composé juste avant la guerre, qui
n’avait pas rencontré le succès escompté. Inspiré par Mstislav
Rostropovitch pour lequel il composait parallèlement un Concertino
(resté malheureusement inachevé), Prokofiev donne davantage de place à
l’orchestre, tout en accentuant le rôle virtuose du soliste: l’ouvrage
conserve toutefois sa richesse mélodique généreuse, dont se saisit la
violoncelliste serbe Xenia Jankovic (née en 1958) – admirable
d’engagement, tout en faisant ressortir de superbes couleurs.
Enfant prodige qui fut l’élève de
Rostropovitch, Pierre
Fournier et André Navarra, elle demeure très rare dans nos contrées, de telle sorte qu’on se réjouit de découvrir cet enregistrement réussi. Son lyrisme fait également merveille dans le Concerto pour violoncelle
(1946) de Khatchatourian, proche de la manière du dernier Prokofiev. On
retrouve les qualités de mélodiste du compositeur arménien, en un style
spectaculaire lyrique et fluide, très agréable à l’écoute. Cet ouvrage
abordable n’empêchera pas le Soviétique d’être catalogué comme
«formaliste» en 1948, avant que l’écriture du ballet Spartacus (1954) ne vienne redorer son blason auprès des autorités.
On pourra préférer l’accompagnement un peu plus nerveux de Dejan Savic,
là où Christian Ehwald se montre un rien plus en retrait face au superbe
violoncelle de Xenia Jankovic. On se délecte par ailleurs de la prise
de son à la réverbération équilibrée, qui rend justice à cet
enregistrement sur le vif, tout comme à l’excellent Orchestre
symphonique de la Radio-télévision serbe (RTS). Un grand disque.