mercredi 25 novembre 2020

« Concertino et Concerto pour violoncelle » de Mieczyslaw Weinberg - Raphael Wallfisch - Disque CPO

 

On aurait tort de minorer l’importance des origines juives de Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) pour cerner sa personnalité et les influences prépondérantes dans sa musique. S’il dut fuir le régime nazi par deux fois, en 1939 lors de l’invasion de Varsovie, puis en 1941 à Minsk, Weinberg mit un point d’honneur à inclure des thèmes populaires juifs dans ses premières compositions orchestrales, les mêlant à son style post-romantique puissamment évocateur. Bien avant que son amitié et son admiration réciproque pour Chostakovitch ne lui permettent d’être libéré de son incarcération par le KGB en 1953 pour «nationalisme bourgeois juif», la doctrine Jdanov et son antisémitisme rampant lui reprochent, en tant que tenant du «formalisme», de ne pas suffisamment glorifier le Socialisme triomphant.

On peut aisément comprendre ce reproche à l’écoute du sombre et méditatif Concertino pour violoncelle, composé en 1948, mais seulement créé en 2017 lors du festival international Weinberg, organisé au Théâtre Bolchoï à Moscou. Il s’agit manifestement de la version initiale du Concerto pour violoncelle, qui n’aurait pas été écrit en 1948 comme on le pensait jusqu’à présent, mais en 1956, un an avant sa création par le dédicataire Mstislav Rostropovitch. Son indéniable «efficacité» explique sa plus grande fréquentation dans les répertoires des salles de concert de nos jours, comme à Strasbourg en 2017 ou à Paris en 2018 lors d’une tournée européenne de Sol Gabetta. 
 
On pourra toutefois préférer le bref et chambriste Concertino, là où le Concerto lorgne davantage vers un langage cinématographique opulent, en lien avec les succès contemporains rencontrés par Weinberg, notamment le film Quand passent les cigognes (1957). Quoi qu’il en soit, on ne pourra que se réjouir de la stimulante confrontation de ces ouvrages, ce que n’avait pas osé le premier enregistrement mondial du Concertino en 2018, chez l’éditeur Northern Flowers.
 
En complément de programme, l’inspirée Fantaisie pour violoncelle (1954) déroule sa mélodie lancinante avec beaucoup de grâce, même si le langage reste peu aventureux en comparaison de Chostakovitch – son dédicataire. Raphael Wallfisch joue la carte de la musicalité et du lyrisme, autour d’une superbe maîtrise technique de son instrument, le tout bien épaulé par les belles couleurs de l’Orchestre symphonique de Kristiansand. On regrettera toutefois que le geste serein de Lukasz Borowicz n’apporte davantage de surprises à ces ouvrages agréables mais un rien trop prévisibles. Doté d’une notice aussi détaillée qu’instructive, ce disque bénéficie d’un confort sonore optimal, à même d’en faire une version de première approche tout à fait recommandable.

lundi 23 novembre 2020

« Concertos pour piano » d'Ernő Dohnányi - Ariane Matiakh - Disque Capriccio

Après son récent enregistrement du ballet pantomime Le Voile de Pierrette (1910) d’Ernő Dohnányi (1877-1960), Ariane Matiakh se consacre aux deux Concertos pour piano du compositeur hongrois, déjà enregistrés avec brio par Howard Shelley et Mathias Bamert pour Chandos en 2002 et 2004. La Française n’a pas à rougir de la comparaison et propose une autre version superlative de ces deux ouvrages au souffle post-romantique, certes peu aventureux, mais qui montrent le compositeur à son meilleur, sans doute inspiré par son instrument de prédilection. Pianiste virtuose, chef d’orchestre et professeur de renom, Dohnányi forma toute une génération d’artistes aussi renommés que Géza Anda, Annie Fischer, Georg Solti ou Győrgy Cziffra. Malgré sa longue carrière, Dohnányi laisse un catalogue de compositions plutôt modeste, d’où ressort sa musique de chambre influencée par Brahms.

C’est logiquement le maître de Hambourg auquel on pense d’emblée à l’écoute du superbe Premier Concerto (1898), mais également à Liszt: le lyrisme de Dohnányi souffle sur cette partition aérienne, sans temps mort. Les deux premiers mouvements sont les plus réussis, avec une inspiration mélodique du plus bel effet. Autour de piquants contrechants aux vents dans le délicat mouvement lent, le langage montre peu d’évolution en 1947, lorsque Dohnányi achève son Second Concerto. Seules les parties pianistiques épurées rappellent le style de Rachmaninov, tandis que le finale est autre grande réussite, porté par un sentiment d’urgence digne du grand maître russe là aussi.

Tout admirateur du romantisme finissant aurait grand tort de faire l’impasse sur la découverte de ces deux petits bijoux, parfaitement ciselés par l’art des contrastes toujours savamment dosés d’Ariane Matiakh. On est aussi grandement séduit par le toucher félin de Sofja Gülbadamova, qui s’est déjà illustrée dans un double disque des meilleures pages pour piano de Dohnányi (Capriccio, 2018), donnant ainsi une stimulante alternative au piano plus viril de Shelley dans ce même répertoire.

samedi 21 novembre 2020

« Der Schleier der Pierrette » d'Ernő Dohnányi - Ariane Matiakh - Disque Capriccio

D’origine hongroise, mais plus connu sous sa dénomination germanisée Ernst von Dohnányi, Ernő Dohnányi (1877-1960) fut d’abord influencé en début de carrière par la clarté lumineuse de Brahms, ce dont témoigne cet enregistrement du ballet pantomime Le Voile de Pierrette (1910), une première mondiale dans sa version intégrale. Outre les références à la rigueur classique du Brahms des Variations sur un thème de Haydn, on pourra déceler plusieurs éléments en hommage à la valse viennoise, autour d’un langage post-romantique qui évoque aussi parfois Rachmaninov, sans le souffle dramatique. 
 
Inégal et peu aventureux, le ballet reste toutefois toujours élégant et bien instrumenté, ce qui a pu convaincre le compositeur d’en tirer une suite (notamment enregistrée par Matthias Bamert pour Chandos, en 1999), avec la Valse nuptiale comme «tube» incontestablement efficace. On pourra préférer le geste enflammé de Bamert, là où Ariane Matiakh fouille davantage les détails de la partition avec une belle sensibilité, sans oublier des contrastes bienvenus entre douceur des passages lents et vivacité accrue des parties verticales, le tout avec une assise notable dans les graves. 
 
L’ouvrage gagnerait sans doute à être découvert sur scène afin de bien saisir tout l’humour narquois de la pantomime, écrite par rien moins qu’Arthur Schnitzler, alors au fait de sa renommée en Autriche. L’ouvrage est pourtant assez mal reçu à la création, ce qui n’empêche pas quelques reprises contemporaines dans les pays germaniques. Le disque est à réserver aux plus curieux, amateur du geste subtil d’Ariane Matiakh, qui poursuit ainsi avec Capriccio son exploration des raretés du répertoire, après ses premiers disques consacrés à Johanna Doderer, Zara Levina ou Harald Genzmer.

mercredi 4 novembre 2020

Oeuvres de William Dawson et Ulysses Kay - Arthur Fagen - Disque Naxos

Spécialiste de la musique américaine du XXe siècle pour l’éditeur Naxos, Arthur Fagen (né en 1951) s’intéresse cette fois aux méconnus compositeurs noirs américains William Dawson (1899-1990) et Ulysses Kay (1917-1995). 
 
Si la Negro Folk Symphony (1934) de Dawson a l’honneur d’une création à Philadelphie par rien moins que Leopold Stokowski, et ce dès 1934, l’ouvrage ne parvient pas à s’imposer par la suite, le compositeur semblant abandonner la grande forme pour privilégier les ouvrages pour chœur a capella ou avec piano. Lors de la révision de la symphonie en 1952 (version ici enregistrée), l’ajout de rythmes africains confirme le goût du compositeur pour une coloration en lien avec l’intérêt manifesté pour la recherche de ses origines, à l’instar de sa passion pour les negro spirituals. 
 
La symphonie reste toutefois arrimée à un langage postromantique peu aventureux, heureusement portée par un souffle mélodique au charme immédiat – notamment dans son deuxième mouvement, le plus réussi. La version proposée par Fagen joue la carte d’un équilibre entre les pupitres, en une respiration harmonieuse, là où Stokowski (1963, réédité par Deutsche Grammophon en 2007) s'appuyait davantage sur les contrastes et les couleurs, avec la mise en valeur des interventions aux bois. On préfère grandement la version plus nerveuse, d’une admirable vivacité, proposée par Neeme Järvi avec l’Orchestre symphonique de Detroit (1992, rééditée par Chandos en 2001), qui rendit un bel hommage au compositeur, peu de temps après son décès. 
 
Le disque est complété par deux ouvrages symphoniques d’Ulysses Kay, un compositeur autrement plus prolifique que son aîné, notamment dans le domaine lyrique, avec cinq opéras. Ses Fantasy Variations (1963) montrent un tempérament plus aventureux dans l’exploration des dissonances à la frontière de la tonalité, à la manière de son professeur et modèle Paul Hindemith. L’ouvrage joue des oppositions massives entre cordes et cuivres, en un style spectaculaire mais jamais lourd, d’une belle facture d’ensemble. Le mouvement symphonique Umbrian Scene (1963), dont le titre évoque la période d’études romaine de Kay, surprend par un ton plus apaisé en comparaison, aux subtiles et mystérieuses variations d’atmosphère. 
 
Arthur Fagen se montre moins inspiré que dans la pièce précédente, du fait de tempi étirés et d’une lecture linéaire, mais le disque constitue globalement un bon second choix, surtout pour son programme passionnant, à même de convaincre les plus curieux.