Parmi les quelques festivals sauvés des nombreuses annulations, les Heures musicales de l’abbaye de Lessay (Manche) accueillent une dizaine de concerts cet été, tout en permettant de découvrir les beautés de la nature préservée du Cotentin, entre côtes sauvages, bocages et marais. Située entre Cherbourg et Coutances, l’abbaye romane de Lessay en impose d’emblée par ses dimensions majestueuses aux lignes épurées, sans qu’il soit possible de deviner les stigmates des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, suite à une parfaite reconstruction à l’identique. Bénéficiant d’une acoustique peu réverbérée pour un édifice religieux, l’abbaye favorise naturellement la musique baroque, particulièrement la musique vocale, et ce depuis 1993, date fondatrice du festival. Malgré le contexte sanitaire, la plupart des concerts (un peu moins d’une dizaine chaque été) ont pu être maintenus pour le plus grand bonheur des spectateurs, même si la jauge a été adaptée avec seulement 270 places, généreusement espacées dans la nef.
Par son invitation au recueillement et à la concentration, cette disposition inhabituelle sied admirablement au spectacle proposé par la compagnie La Tempête, menée par son excellent fondateur Simon-Pierre Bestion (né en 1988). On retrouve les qualités de jeux sur la palette de timbres et la spatialisation, qui nous avaient tant séduit à la découverte de cet ensemble, alors tout jeune en 2015 à Périgueux. Au fur et à mesure de l’avancée du concert, l’ensemble du public lâche prise en ne cherchant plus systématiquement à voir, mais bien à se concentrer sur l’écoute, et tout particulièrement les huit voix réparties différemment selon les morceaux. Comme à Périgueux, le spectacle joue de l’alternance virtuose entre répertoire a capella ancien et contemporain, osant revisiter des chants italiens liturgiques anonymes des IXe et XIe siècles. Ces pièces surprennent par leur ferveur et leur intensité, aux atours joyeux et hypnotiques marqués par l’utilisation du mélisme, rappelant certaines musiques juives traditionnelles. Les extraits religieux des XIVe et XVe siècles font l’étalage d’une modernité toujours aussi étonnante dans l’entrecroisement savant des voix, en parfait miroir avec les audaces du répertoire contemporain. Entre le magma informe et fascinant d’où émerge progressivement l’emphase d’Olivier Greif (1950-2000) et les ondulations entre piano et forte de Giacinto Scelsi (1905-1988), le répertoire a capella s’exprime dans toute sa diversité, sans oublier Arvo Pärt (né en 1935) et sa palette de notes qui parcourent subrepticement les voix, pour mieux s’éteindre discrètement ensuite.
Les huit interprètes se montrent à la hauteur malgré quelques infimes
décalages au début, se chauffant peu à peu pour convaincre pleinement
ensuite. On notera toutefois quelques disparités de niveau, l’un des
ténors montrant peu de style dans la puissance, là où les sopranos
rayonnent littéralement à chaque intervention. De même, le chef
Simon-Pierre Bestion déçoit quelque peu dans ses passages solistes
psalmodiés en incipit, par une voix légèrement engorgée. Fort
heureusement, il se rattrape grandement par sa direction aussi détaillée
que précise qui fait tout le prix de ce concert, à chaque fois au
service de la narration d’ensemble. Peu de choses à dire en revanche sur
les éclairages minimalistes imaginés par Marianne Pelcerf, qui se
contente de répartir quelques néons verticaux en différentes parties de
l’abbaye, les éclairant ou non selon les différentes pièces proposées.
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