Précipitez‑vous ! Si l’Opéra de Lyon affiche complet pour la plupart des représentations de Tannhäuser,
on sait d’expérience que plusieurs places se libèrent au fil du temps,
pour le plaisir des plus persévérants. C’est là l’occasion de découvrir
un plateau vocal proche de l’idéal, et ce malgré un rôle‑titre qui met
du temps à se chauffer, faute d’une émission plus ouverte, occasionnant
plusieurs aigus arrachés en première partie. En immense artiste qu’il
est, Stephen Gould se rattrape par la suite, faisant valoir sa
connaissance millimétrée d’un rôle qu’il chante sur les plus grandes
scènes depuis une vingtaine d’années : précision redoutable de diction, phrasés montrant une
attention au texte portée par un sens dramatique toujours très juste. A
ses côtés, on aime la voix large à la résonance profonde de Liang Li
(Hermann), sans parler de la noblesse d’âme portée par Christoph Pohl
(Wolfram), d’une sensibilité aussi touchante que pudique en dernière
partie. Mais ce sont peut-être plus encore les deux rôles féminins qui
ravissent à force d’aisance technique rayonnante sur toute la tessiture,
Johanni van Oostrum (Elisabeth) faisant valoir davantage d’émotion, en
phase avec son rôle, là où Irène Robert (Vénus) se situe davantage en
hauteur, en mêlant autorité et ardeurs maîtrisées.
Autour de seconds rôles parfaitement distribués, notamment le Biterolf
tout d’éclat et de fraîcheur du timbre de Pete Thanapat, le Chœur et la
Maîtrise de l’Opéra de Lyon emportent l’adhésion à force de précision et
de tranchant dans l’intention, à même de donner une vitalité dramatique
saisissante dans les scènes d’ensemble. Autre grand artisan de la
réussite de la soirée, Daniele Rustioni surprend au début de l’Ouverture
par ses tempi lents, sans aucun vibrato, avant d’enflammer l’orchestre
de toute sa fougue. On rentre peu à peu dans sa conception (à mille
lieux des grandes lectures allemandes du passé), qui ose mettre sur le
même plan mélodie principale et contrechant, autour de phrasés d’une
grande ductilité et souvent impressionnants dans les fulgurances
tempétueuses ou péremptoires. On a là un Wagner aérien, d’une légèreté
joyeuse aux vents, qui rappelle plusieurs fois l’art de Mendelssohn
au II, en contraste avec les parties plus verticales aux cuivres : de
quoi évoquer le tourbillon ambivalent du rôle‑titre, écartelé tout du
long entre désir charnel et élévation spirituelle, sous le regard
implacable et censeur de ses pairs.
Si Tannhäuser (1845) reste l’un des ouvrages les plus attachants
de son auteur, c’est que Wagner laisse entrevoir tous ses tourments
juvéniles, à seulement 32 ans, donnant à entendre une variété de climats
aussi colorée qu’admirable de vérité dramatique. Pour autant, il
succombe déjà à sa propension pour les longs monologues introspectifs,
qui réduisent l’action à peau de chagrin : dès lors, le metteur en scène
franco‑allemand David Hermann choisit d’imaginer une transposition
audacieuse en un futur post-apocalyptique, afin de renforcer la tension
dramatique tout au long du spectacle (d’une durée de 4 heures 20, dont
deux entractes).
C’est là un pari relevé haut la main, d’une maestria visuelle éblouissante partagée entre costumes et décors, à l’inspiration proches de l’univers de la saga Star Wars (rappelant en cela la grande réussite scénographique de L’Italienne à Alger de Rossini, un succès repris plusieurs fois en France, dont en 2019 à Tours). Autour d’éclairages variés, le décor est revisité astucieusement grâce à la multiplicité de ses possibilités d’exploration, réservant plusieurs surprises techniques, entre trappes révélées et retour stylisé du Venusberg au III. S’il est préférable de connaitre La Guerre des étoiles et de lire au préalable les intentions du metteur en scène pour bien suivre les différentes péripéties, le travail d’Hermann se montre cohérent de bout en bout, enrichissant le livret sans jamais le trahir et animant l’action en lien avec les moindres inflexions musicales. Plusieurs clins d’œil humoristiques raviront ainsi les fans de la saga, entre enfants grimés en Jawas chapardeurs et pape transformé en empereur Palpatine, aux pouvoirs télékinésiques. On aime aussi l’idée d’ajouter le personnage humanoïde muet qui accompagne Tannhäuser tout au long de son parcours initiatique, permettant une inattendue réconciliation en fin d’ouvrage entre les deux camps, grâce à l’intercession d’Elisabeth.
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