dimanche 14 décembre 2025

« Un Américain à Paris » d'après George Gershwin - Christopher Wheeldon - Opéra de Genève - 13/12/2025

Au Grand-Théâtre de Genève, la création suisse de la comédie musicale Un Américain à Paris est un événement incontournable pour les fêtes de fin d’année : les mélodies enjouées et irrésistibles de George Gershwin, mêlées aux chorégraphies virevoltantes de Christopher Wheeldon, embrassent la vitalité artistique du Paris d’après-guerre, sur fond de triangle amoureux entre trois amis américains, tous épris de la même femme.

Depuis sa création au Théâtre du Châtelet en 2014, la comédie musicale Un Américain à Paris a reçu un accueil triomphal et unanime à travers le monde, de l’Australie au Japon, en passant par le Royaume-Uni. On comprend pourquoi, tant l’agencement des extraits d’oeuvres de Gershwin semble couler de source : les partitions orchestrales bien connues résonnent ainsi à l’oreille du mélomane, qui reconnaîtra (outre le « ballet rapsodique » qui donne son nom à la comédie musicale), des extraits du Concerto en fa ou de l’Ouverture cubaine (lors d’un facétieux bal masqué qui conclut le premier acte). L’ouvrage n’en oublie pas d’incorporer les grandes chansons devenues des standards du répertoire de jazz, telles que « I’ve got rythm » ou « The Man I love« , tout en faisant découvrir d’autres morceaux plus confidentiels, mais toujours d’une invention délicieuse. Le spectacle bénéficie en outre des arrangements musicaux de Rob Fisher, avec des orchestrations de Christopher Austin.

Le livret de cette adaptation prend sa source dans le film éponyme de 1951, réalisé par Vincente Minelli et interprété par Gene Kelly aux danses endiablées, mais donne davantage de profondeur à l’ensemble, en insistant sur le contexte social foisonnant de la « jungle » parisienne, lors des années de reconstruction morale de l’après-Deuxième guerre mondiale. Au coeur de l’action, trois artistes en mal de reconnaissance voient leur amitié mise à l’épreuve par leur fascination commune pour la belle Lise : leurs rôles respectifs sont ici rééquilibrés, afin de renforcer les aspects tragi-comiques du triangle amoureux. Si la fascination des américains pour la capitale française a le parfum d’une carte postale que l’on ne se lasse pas d’admirer, elle permet aussi d’aborder des sujets de fond, notamment celui du choix entre les nécessités parfois contradictoires de l’amour, de l’ambition et du devoir. Si la première partie du spectacle met l’accent sur les élans individuels, entre non-dits et quiproquos, la deuxième montre un aspect plus sombre au début, avant de se conclure dans un sublime ballet qui réconcilie tous les protagonistes, au nom du triomphe des arts.

Pour sa première mise en scène, Christopher Wheeldon réalise un coup de maître, en nous embarquant dans une myriade de tableaux et de saynètes, revisités en un ballet virevoltant de tous les éléments de décors, transportés par les danseurs avec une grâce infinie, en un luxe de détails inouï. Le plateau nu s’anime ainsi avec une rapidité souvent vertigineuse, en même temps que les images projetées en arrière-scène. On a ainsi l’impression de faire un voyage dans le temps, qui nous fait retrouver les effluves d’un Paris disparu, à l’effervescence enivrante. Ce brio visuel, aux traits d’humour très présents, n’en oublie jamais de s’assagir pour laisser place aux questionnements individuels qui jalonnent l’ouvrage. Un travail d’une grande justesse, toujours au service de la compréhension du récit, et réjouissant de bout en bout. Le chorégraphe britannique prouve ainsi que l’on peut concilier avec bonheur la mise en scène d’ouvrages populaires, comme celui-ci, avec celle de spectacles à destination de compagnies prestigieuses, telles que les ballets des Opéras de Paris, Londres ou Monte-Carlo (voir notamment en 2024).

Pour cette première en Suisse, le Grand-Théâtre de Genève accueille la plupart des membres du casting initial de 2014. On retrouve ainsi la figure lumineuse de Robbie Fairchild, ancien danseur principal du New York City Ballet, qui n’a rien perdu de sa forme physique : sa prestation éblouissante en deuxième partie de soirée laisse une impression durable, et ce d’autant plus qu’il forme un couple admirable de cohésion avec la gracieuse Anna Rose O’Sullivan (Lise), elle-même danseuse étoile du Royal Ballet à Londres. Leurs chants respectifs se montrent à la hauteur de leur rôle, mais c’est surtout Tai Benson (Adam), qui s’impose en ce domaine, entre facilité d’articulation et expressivité. Si Emily Ferranti (Milo) fait valoir de beaux graves, on est moins séduit par Max von Essen (Henri), qui assure l’essentiel, mais manque de brillant et d’emphase pour embrasser toutes les facettes de son rôle.

Enfin, Wayne Marshall se met volontairement au second plan pour éviter de couvrir ses chanteurs, lissant les angles et les aspérités, pour jouer la carte d’un discours continu, mettant en valeur la mélodie. Dix ans tout juste après nous avoir offert l’unique opéra de Gershwin, Porgy and Bess, l’Opéra de Genève frappe un grand coup avec cette comédie musicale accueillie en fin de représentation par une standing ovation, amplement méritée. En juin prochain, une autre rareté va venir déferler comme un coup de tonnerre près des rives du Léman, avec le chef-d’oeuvre déjanté de Frank Zappa, 200 Motels (voir notamment en 2023 à Nice ) : le mélange de rock et de symphonique, au service d’une satire féroce, est à ne pas manquer !

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