L’Opéra-Comique nous
offre un avant-goût de printemps avec la nouvelle production de
« Ciboulette », chef-d’œuvre
de Reynaldo Hahn. Ce brillant hommage à l’opérette est aussi
l’occasion de découvrir la première promotion de l’académie
de l’Opéra-Comique, composée de jeunes chanteurs
professionnels recrutés spécifiquement pour défendre ce
répertoire.
Grande affluence lundi soir à l’Opéra-Comique pour la deuxième représentation du Ciboulette
de Reynaldo Hahn (1874-1947). Affichant complet tous les soirs, cette
nouvelle
production constitue un évènement salué par France Musique, qui
consacre une semaine entière au compositeur avant la retransmission de
l’ouvrage en direct vendredi 22 février
à 20 heures. Outre la traditionnelle présentation de l’œuvre dans
le Grand Foyer restauré, les spectateurs peuvent participer à une
préparation vocale leur permettant de chanter
deux des airs les plus fameux de l’opérette pendant la
représentation. Une initiative ludique et chaleureuse due au metteur en
scène Michel Fau et à la chef d’orchestre
Laurence Equilbey.
Tous deux ont souhaité apporter de légères modifications au livret
original, coupant ou modernisant quelques passages parlés, ajoutant
aussi une délicieuse mélodie (1) de Hahn chantée
par un Michel Fau (2) grimé en Comtesse de Castiglione, personnage
mineur de l’opérette. Un irrésistible moment d’humour décalé, où
l’acteur interprète une diva aux
allures de Castafiore qui s’émeut et s’époumone devant un public
aux anges. Cela ne dénature en rien cette œuvre composée en 1923 qui
reste avant tout un savoureux pastiche de l’opérette,
hommage réussi à un genre alors en déclin.
Un hommage à Lecocq et Offenbach
Ciboulette est une commande du célèbre librettiste
Robert de Flers à son ami Reynaldo Hahn, esthète raffiné et membre des
plus éminents salons littéraires de Paris.
L’ancien amant de Marcel Proust est chargé de composer une
opérette en hommage à Lecocq et Offenbach, dans l’esprit de la fin du xixe siècle.
On y retrouve ainsi tous les ingrédients du couple amoureux contrarié,
des rebondissements aussi soudains que rocambolesques,
tandis qu’une galerie de truculents personnages gravite autour de
la ravissante héroïne.
Le livret imagine l’improbable rencontre entre deux jeunes gens
que tout oppose socialement, Ciboulette, maraîchère aux Halles, et
Antonin de Mourmelon, riche benêt qui se
remet à peine de la perte de sa chère Zénobie, partie conter
fleurette avec un beau lieutenant. Antonin est consolé par son nouvel
ami Duparquet, qui n’est autre que le Rodolphe
de la Bohème (référence au roman d’Henri Murger et non
pas à l’opéra de Puccini), personnage plus âgé qui commente souvent
l’action et guide les deux amoureux
vers une issue heureuse.
Julie Fuchs (Ciboulette) obtient une ovation méritée à l’issue du
spectacle tant son chant raffiné et subtil offre à son interprétation
une classe indéniable. Malgré une projection un peu
faible, elle compose un couple très crédible avec Julien Behr
(Antonin), qui n’en fait jamais trop dans ce difficile rôle de benêt. À
ses côtés, le Duparquet
de Jean-François Lapointe, lui aussi vivement applaudi, convainc
tout autant. Et que dire des seconds rôles tous parfaits, des savoureux
parents de Ciboulette, à la rocailleuse
Bernadette Lafont en hilarante vendeuse de poissons, en passant
par Jérôme Deschamps dans son propre rôle de directeur d’Opéra ?
La première académie de l’Opéra-Comique
Si la réussite de cette production repose avant tout sur ses
interprètes, c’est que ceux-ci ont été choisis pour leur capacité à
alterner le chant avec les passages parlés, très nombreux, et
leur diction impeccable. La première académie de l’Opéra-Comique,
mise en place pour la saison 2012-2013, répond précisément à ces
contraintes en formant dix jeunes chanteurs de
moins de 35 ans aux spécificités du répertoire de l’opérette,
offrant cours de diction, de respiration, ainsi que la nécessaire
application à la scène. Mention particulière à la
Zénobie d’Eva Ganizate, vibrante et insolente, tandis que
Patrick Kabongo Mubenga montre de belles qualités d’interprète comique
dans le petit rôle de Victor.
La mise en scène classique de Michel Fau refuse toute
transposition et dévoile des tableaux réalistes très respectueux de
l’œuvre, en évoquant les halles ou Aubervilliers par la
reproduction de vieux clichés photographiques sur des décors
suspendus. Fau joue constamment avec les volumes ou les couleurs, ces
dernières magnifiées par les différents éclairages ou les
costumes extravagants de David Belugou. Alors, évidemment, on
pourra regretter les quelques insuffisances du pupitre de cordes de
l’Orchestre symphonique de l’Opéra
de Toulon, celles du chœur Accentus, un rien trop timide dans les
passages facétieux, mais parfait côté chant.
Fort heureusement, la direction précise et attentive
de Laurence Equilbey apporte un équilibre décisif à la cohésion des
ensembles, permettant à la verve rythmique entraînante des
mélodies de Hahn de se déployer et de satisfaire autant le profane
que l’amateur de musique lyrique, à l’instar de ce que professait son
cher Mozart.
1. « Mon rêve était d’avoir un amant », mélodie de Reynaldo Hahn composée pour le film la Dame aux Camélias (1934).
2. Voir aussi Cabaret emphatique, avec Michel Fau.
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