vendredi 13 décembre 2013

« Hamlet » d'Ambroise Thomas - La Monnaie à Bruxelles - 05/12/2013

Créé l’an passé au Theater an der Wien (Autriche), le « Hamlet » mis en scène par Olivier Py triomphe à Bruxelles avec une distribution différente. Une ovation méritée pour un opéra à bien des égards sous-estimé.



À l’instar de Jean-Léon Gérôme, adulé en son temps pour ses éclatantes peintures orientalisantes et aujourd’hui taxé d’académisme, Ambroise Thomas (1811-1896) souffre d’une réputation exécrable pour qui veut bien encore connaître son nom. Un compositeur rétif aux influences wagnériennes, profondément conservateur, qui s’impose peu à peu dans le répertoire léger avec ses mélodies faciles et immédiates d’accès. Sans doute stimulé par la nouvelle concurrence de Gounod, le natif de Metz donne un tour décisif à sa carrière en dévoilant coup sur coup deux chefs-d’œuvre plus sérieux, Mignon (d’après les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe) en 1866, puis Hamlet en 1868. Un double triomphe parisien rapidement repris à travers les scènes du monde entier, mais qui reste aujourd’hui plus confidentiel.

Est-ce le bon mot d’Emmanuel Chabrier, répété à l’envi, qui exprime le mieux la perplexité rencontrée pour la musique de son aîné ? « Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas. » L’adaptation efficace de l’œuvre de Shakespeare semble prouver le contraire, même si elle peut surprendre le puriste par les nombreuses modifications et coupes réalisées par le livret. Si l’on retrouve le personnage tourmenté du jeune prince du Danemark tentant de venger l’assassinat de son père, celui-ci laisse plus de place à sa relation amoureuse avec la délicate Ophélie. Avant que cette dernière ne sombre dans la folie lors d’une scène fascinante, l’un des sommets de la partition. Le spectre du feu roi acquiert lui aussi davantage de poids (rappelant à bien des égards le rôle du Commandeur de Don Giovanni de Mozart), tandis que l’intrigue se resserre autour du couple régicide composé de Claudius et de Gertrude.

Une redoutable efficacité dramatique

Si nombre des ambiguïtés de l’œuvre originelle sont ici gommées, on ne peut nier la redoutable efficacité dramatique d’une histoire assise sur de courts tableaux qui varient habilement les climats. La musique de Thomas semble tout entière au service d’un ouvrage qui porte sans faillir une éloquence simple et directe. Ici, pas de construction savante ou de plaisir musical sans cesse repoussé. L’accord parfait est rapidement atteint, sans surprise, mais savamment enrichi d’une palette de couleurs bienvenues, telle l’originale utilisation d’un solo de saxophone lors de l’acte II.


En homme de théâtre, Olivier Py a voulu revenir au drame shakespearien, rétablissant la mort du héros lors de la scène finale ou supprimant le ballet de l’acte IV qui ralentit l’action. Déjà créé au Theater an der Wien (Autriche) en avril 2012 avec une distribution différente (hormis Stéphane Degout dans le rôle-titre), cette production est reprise avec bonheur tant les différents choix du metteur en scène français se révèlent marquants. D’un noir uniforme, la superbe scénographie compose des tableaux très variés autour d’un vaste gradin, dont les différents modules se séparent ou se rejoignent au gré de l’action, permettant de figurer les différents lieux. La cathédrale souterraine ainsi figurée, étouffante et mortifère, offre un tombeau majestueux à des personnages incapables d’échapper à leur destin tragique.

Un Hamlet dénudé

Comme à son habitude, Py parvient à enrichir le propos lors des différents tableaux, suggérant par exemple une relation incestueuse entre Hamlet et sa mère Gertrude lors d’une scène de bain où le héros apparaît dénudé. Rien de gratuit là-dedans tant la douceur se marie à la violence, emportant les deux personnages dans une orageuse et passionnante confrontation. Le choix de Sylvie Brunet‑Grupposo s’avère magistral, la mezzo-soprano française imposant une fois encore (1) son tempérament intense et ses graves opulents. Autre incontestable réussite vocale, et ce malgré un vibrato un peu trop présent, le Hamlet de Franco Pomponi qui retrouve là un rôle qu’il connaît bien (2). Diction, éloquence, sens du jeu, le baryton américain n’est pas pour rien dans la belle réussite de la soirée.

À ses côtés, la délicate Ophélie de Lenneke Ruiten paraît quelque peu en retrait, gênée par une faible projection qui la rend inaudible dans le trio entre Hamlet et Gertrude. Elle se rattrape heureusement lors de la scène de folie, particulièrement réussie, avec ses périlleuses vocalises dans l’aigu. Sans doute l’explication d’une remarquable ovation en fin de soirée. Si Vincent Le Texier (Claudius) assure correctement sa partie, desservi par une voix quelque peu fatiguée, les autres rôles convainquent pleinement – épaulés par un Marc Minkowski des grands jours.

Le chef français déploie une énergie constante, marquant les césures, imprimant le rythme avant de se faire plus lyrique dans les passages plus apaisés. Sa direction vive et contrastée apporte un bonheur constant, peut-être un rien gâchée par une sonorisation excessive. Un bémol tout relatif pour une soirée particulièrement aboutie qui donne envie d’entendre au plus vite les délices de Mignon, l’autre grand succès du sous-estimé Ambroise Thomas.

(1) On se souvient notamment de son interprétation de Mme de Croissy dans les Dialogues des Carmélites l’an passé.
(2) Notamment devant le public de l’Opéra de Marseille en mai 2010. Les habitués du Théâtre du Châtelet le connaissent également puisqu’il y a interprété ces dernières années les rôles marquants de Richard Nixon et Sweeney Todd.

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