Créé l’an passé au Theater an der Wien (Autriche), le « Hamlet » mis en scène par Olivier Py triomphe
à Bruxelles avec une distribution différente. Une ovation méritée pour un opéra à bien des égards sous-estimé.
À l’instar de Jean-Léon Gérôme, adulé en son temps pour ses
éclatantes peintures orientalisantes et aujourd’hui taxé d’académisme,
Ambroise Thomas (1811-1896) souffre d’une réputation
exécrable pour qui veut bien encore connaître son nom. Un
compositeur rétif aux influences wagnériennes, profondément
conservateur, qui s’impose peu à peu dans le répertoire léger avec ses
mélodies faciles et immédiates d’accès. Sans doute stimulé par la
nouvelle concurrence de Gounod, le natif de Metz donne un tour décisif à
sa carrière en dévoilant coup sur coup
deux chefs-d’œuvre plus sérieux, Mignon (d’après les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe) en 1866, puis Hamlet
en
1868. Un double triomphe parisien rapidement repris à travers les
scènes du monde entier, mais qui reste aujourd’hui plus confidentiel.
Est-ce le bon mot d’Emmanuel Chabrier, répété à l’envi, qui
exprime le mieux la perplexité rencontrée pour la musique de son aîné ?
« Il y a deux espèces de musique, la
bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique
d’Ambroise Thomas. » L’adaptation efficace de l’œuvre de Shakespeare
semble prouver le contraire, même si elle peut surprendre le
puriste par les nombreuses modifications et coupes réalisées par
le livret. Si l’on retrouve le personnage tourmenté du jeune prince
du Danemark tentant de venger l’assassinat de son père,
celui-ci laisse plus de place à sa relation amoureuse avec la
délicate Ophélie. Avant que cette dernière ne sombre dans la folie lors
d’une scène fascinante, l’un des sommets de la partition.
Le spectre du feu roi acquiert lui aussi davantage de poids
(rappelant à bien des égards le rôle du Commandeur de Don Giovanni de Mozart), tandis que l’intrigue se
resserre autour du couple régicide composé de Claudius et de Gertrude.
Une redoutable efficacité dramatique
Si nombre des ambiguïtés de l’œuvre originelle sont ici gommées,
on ne peut nier la redoutable efficacité dramatique d’une histoire
assise sur de courts tableaux qui varient habilement les
climats. La musique de Thomas semble tout entière au service d’un
ouvrage qui porte sans faillir une éloquence simple et directe. Ici, pas
de construction savante ou de plaisir musical
sans cesse repoussé. L’accord parfait est rapidement atteint, sans
surprise, mais savamment enrichi d’une palette de couleurs bienvenues,
telle l’originale utilisation d’un solo de saxophone
lors de l’acte II.
En homme de théâtre, Olivier Py a voulu revenir au drame
shakespearien, rétablissant la mort du héros lors de la scène finale ou
supprimant le ballet de l’acte IV qui ralentit
l’action. Déjà créé au Theater an der Wien (Autriche) en
avril 2012 avec une distribution différente (hormis Stéphane Degout dans
le rôle-titre), cette production est
reprise avec bonheur tant les différents choix du metteur en scène
français se révèlent marquants. D’un noir uniforme, la superbe
scénographie compose des tableaux très variés autour d’un vaste
gradin, dont les différents modules se séparent ou se rejoignent
au gré de l’action, permettant de figurer les différents lieux. La
cathédrale souterraine ainsi figurée, étouffante et
mortifère, offre un tombeau majestueux à des personnages
incapables d’échapper à leur destin tragique.
Un Hamlet dénudé
Comme à son habitude, Py parvient à enrichir le propos lors des
différents tableaux, suggérant par exemple une relation incestueuse
entre Hamlet et sa mère Gertrude lors d’une scène
de bain où le héros apparaît dénudé. Rien de gratuit là-dedans
tant la douceur se marie à la violence, emportant les deux personnages
dans une orageuse et passionnante confrontation. Le
choix de Sylvie Brunet‑Grupposo s’avère magistral, la
mezzo-soprano française imposant une fois encore (1) son tempérament
intense et ses graves opulents. Autre incontestable réussite
vocale, et ce malgré un vibrato un peu trop présent, le Hamlet
de Franco Pomponi qui retrouve là un rôle qu’il connaît bien (2).
Diction, éloquence, sens du jeu, le baryton
américain n’est pas pour rien dans la belle réussite de la soirée.
À ses côtés, la délicate Ophélie de Lenneke Ruiten paraît quelque
peu en retrait, gênée par une faible projection qui la rend inaudible
dans le trio entre Hamlet
et Gertrude. Elle se rattrape heureusement lors de la scène de
folie, particulièrement réussie, avec ses périlleuses vocalises dans
l’aigu. Sans doute l’explication d’une remarquable
ovation en fin de soirée. Si Vincent Le Texier (Claudius) assure
correctement sa partie, desservi par une voix quelque peu fatiguée, les
autres rôles convainquent pleinement
– épaulés par un Marc Minkowski des grands jours.
Le chef français déploie une énergie constante, marquant les
césures, imprimant le rythme avant de se faire plus lyrique dans les
passages plus apaisés. Sa direction vive et contrastée apporte
un bonheur constant, peut-être un rien gâchée par une sonorisation
excessive. Un bémol tout relatif pour une soirée particulièrement
aboutie qui donne envie d’entendre au plus vite les délices
de Mignon, l’autre grand succès du sous-estimé Ambroise Thomas.
(1) On se souvient notamment de son interprétation de Mme de Croissy dans les Dialogues des Carmélites l’an passé.
(2) Notamment devant le public de l’Opéra de Marseille en mai 2010. Les habitués du Théâtre du Châtelet le connaissent également puisqu’il y a interprété ces dernières années les rôles marquants de Richard Nixon et Sweeney Todd.
(1) On se souvient notamment de son interprétation de Mme de Croissy dans les Dialogues des Carmélites l’an passé.
(2) Notamment devant le public de l’Opéra de Marseille en mai 2010. Les habitués du Théâtre du Châtelet le connaissent également puisqu’il y a interprété ces dernières années les rôles marquants de Richard Nixon et Sweeney Todd.
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