Qui était Britten avant le succès fulgurant de son deuxième opéra, Peter Grimes,
en 1945? C’est un peu à cette question que tente de répondre l’Opéra de
Francfort en présentant pour la première fois, soixante-quinze ans
après sa composition, l’opérette Paul Bunyan dans la capitale de
la Hesse. On s’étonne, à la découverte des délices de cet ouvrage
irrésistible, qu’un Jean-Luc Choplin n’ait eu l’idée d’en monter une
production durant son mandat au Châtelet. Négligé au point d’être
souvent inconnu de la plupart des mélomanes, ce tout premier ouvrage
lyrique de Britten a été conçu lors de l’exil américain pour une troupe
de semi-amateurs universitaires. Si le Britannique remit sur le métier
son ouvrage en 1975 (c’est la version ici proposée), on a déjà là
l’œuvre d’un compositeur accompli, jouant avec les sonorités et faisant
sonner son orchestre selon ses besoins, en touches gracieuses ou plus
dissonantes par endroit, tout en se délectant des multiples références
aux musiques américaines de l’époque, dans l’esprit de la comédie
musicale façon Broadway. Seuls les interludes longuets paraissent de
trop dans cette opérette – il est vrai peu mis en valeur par le fade
chansonnier allemand Biber Herrmann, pourtant spécialiste de la country music.
Avec cette histoire désopilante de bûcherons empêtrés dans leur quotidien répétitif, notamment celui de trouver un cuisinier à la hauteur de leurs ambitions culinaires, Britten et son librettiste Auden s’emparent des suites de la «Grande dépression» avec humour, comme put le faire avant eux John Steinbeck dans son tout premier succès Tortilla Flat (1935). On retrouve déjà certains des thèmes chers à Britten, telles l’exploration des règles particulières à un groupe d’hommes isolé (repris ensuite dans Billy Budd) ou encore une critique voilée de la religion à travers la figure de Paul Bunyan, voix off qui guide les hommes comme une sorte de gourou. La mise en scène de Brigitte Fassbaender insiste sur ce point en montrant seulement la bouche du rôle-titre en incrustation vidéo, surplombant la scène telle une apparition divine. Sans jamais en faire trop, les nombreux gags visuels de Fassbaender servent habilement le propos, agrémentant l’intrigue volontairement minimaliste d’Auden.
La scénographie évoque quant à elle le folklore américain dans l’esprit de Warhol, en représentant plusieurs boîtes de soupe Campbell plus délirantes les unes que les autres avec leur taille extravagante. Très dynamique, la direction d’acteurs bénéficie de ce beau décor unique pendant toute la représentation, sans oublier d’investir avec bonheur les à-côtés de la scène ou les estrades du public, jouant ainsi sur la spatialité et l’acoustique. On regrettera seulement le placement de l’orchestre sur le côté gauche, qui occasionne certains décalages, le chef ne pouvant donner que de très loin ses indications. Mais ce n’est là qu’un détail tant les interprètes s’en donnent à cœur joie, offrant un niveau global d’excellente qualité jusque dans les seconds rôles – une constante souvent soulignée à Francfort. On retrouve avec plaisir les jeunes talents issus de la troupe de l’Opernstudio de Francfort dont se dégage la délicieuse Elizabeth Sutphen (Tiny), tandis que les plus aguerris Michael Porter (Slim) et Michael McCown (Johnny Inkslinger) s’imposent par leur incontestable aisance vocale et dramatique.
Une production de très haute tenue vivement applaudie par le public de Francfort, gâté en ce début de saison comme le prouve l’autre réussite lyrique à voir en ce moment, la rare Martha de Friedrich von Flotow.
Avec cette histoire désopilante de bûcherons empêtrés dans leur quotidien répétitif, notamment celui de trouver un cuisinier à la hauteur de leurs ambitions culinaires, Britten et son librettiste Auden s’emparent des suites de la «Grande dépression» avec humour, comme put le faire avant eux John Steinbeck dans son tout premier succès Tortilla Flat (1935). On retrouve déjà certains des thèmes chers à Britten, telles l’exploration des règles particulières à un groupe d’hommes isolé (repris ensuite dans Billy Budd) ou encore une critique voilée de la religion à travers la figure de Paul Bunyan, voix off qui guide les hommes comme une sorte de gourou. La mise en scène de Brigitte Fassbaender insiste sur ce point en montrant seulement la bouche du rôle-titre en incrustation vidéo, surplombant la scène telle une apparition divine. Sans jamais en faire trop, les nombreux gags visuels de Fassbaender servent habilement le propos, agrémentant l’intrigue volontairement minimaliste d’Auden.
La scénographie évoque quant à elle le folklore américain dans l’esprit de Warhol, en représentant plusieurs boîtes de soupe Campbell plus délirantes les unes que les autres avec leur taille extravagante. Très dynamique, la direction d’acteurs bénéficie de ce beau décor unique pendant toute la représentation, sans oublier d’investir avec bonheur les à-côtés de la scène ou les estrades du public, jouant ainsi sur la spatialité et l’acoustique. On regrettera seulement le placement de l’orchestre sur le côté gauche, qui occasionne certains décalages, le chef ne pouvant donner que de très loin ses indications. Mais ce n’est là qu’un détail tant les interprètes s’en donnent à cœur joie, offrant un niveau global d’excellente qualité jusque dans les seconds rôles – une constante souvent soulignée à Francfort. On retrouve avec plaisir les jeunes talents issus de la troupe de l’Opernstudio de Francfort dont se dégage la délicieuse Elizabeth Sutphen (Tiny), tandis que les plus aguerris Michael Porter (Slim) et Michael McCown (Johnny Inkslinger) s’imposent par leur incontestable aisance vocale et dramatique.
Une production de très haute tenue vivement applaudie par le public de Francfort, gâté en ce début de saison comme le prouve l’autre réussite lyrique à voir en ce moment, la rare Martha de Friedrich von Flotow.
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