En grande partie oublié du grand public, Florimond Ronger, dit Hervé (1825-1892), reste aujourd’hui considéré comme le créateur de l’opérette, après avoir lutté avec son rival et néanmoins ami Offenbach contre les monopoles des grands théâtres lyriques nationaux en son temps. On doit à l’incontournable Palazzetto Bru Zane la survivance de son œuvre, pourtant considérable, avec deux productions montées dans la toute la France, Les Chevaliers de la table ronde (dès 2015), puis Mam’zelle Nitouche (dès 2017 ).
On ne peut donc que se féliciter de découvrir une nouvelle production des Chevaliers de la Table ronde (1866-1872), déjà présentée à Lausanne en 2019
avant une vaste tournée dans toute la Suisse. La version de 1866 a été
préférée, même si on a la surprise de découvrir les deux versions du
final de l’acte II données à la suite, juste avant l’entracte, ce qui
permet d’assister à la fois à l’empoisonnement de Roland et au mariage
d’Angélique avec Médor. Les Avignonnais bénéficient par ailleurs de
l’orchestration originale rétablie par Simon Cochard, contrairement aux
représentations données en Suisse.
Si l’exécution musicale très soignée et équilibrée de Christophe Talmont
dans la fosse donne beaucoup de satisfactions tout du long, on est en
revanche plus déçu par l’adaptation des dialogues parlés réalisée par
Jean-François Vinciguerra, également metteur en scène du spectacle et
interprète de Merlin II. Il aurait sans doute fallu se souvenir qu’à
l’instar de Wagner (qu’Hervé rencontra à Paris dans les années 1860,
recueillant son estime et admiration), Hervé écrivait ses propres
livrets, se livrant à des charges féroces de l’actualité contemporaine.
Si l’on peut comprendre que certaines répliques soient aujourd’hui
désuètes, il aurait sans doute fallu réduire les dialogues plutôt que de
nous noyer sous une avalanche bavarde de calembours éculés. Etonnament,
Jean-François Vinciguerra semble souvent hésiter entre plusieurs
influences, de l’adaptation boulevardière façon Feydeau aux réparties
pour les plus petits, en passant par quelques anachronismes dans le
style de la série télévisée Kaamelott. On est malheureusement
bien loin de la verve jubilatoire des grandes heures moyenâgeuses de la
troupe des Brigands (voir notamment La Cour du Roi Pétaud de Delibes en 2008, ou Au temps des croisades de Claude Terrasse en 2009).
D’où cette désagréable impression que la musique semble passer au
second plan, ce qui est d’autant plus dommageable que la qualité inégale
des interprètes au niveau théâtral n’aide pas à faire passer la pilule.
La mise en scène de Jean-François Vinciguerra enferme ses protagonistes dans le cadre étroit d’un château miniature, qui offre certes une caisse de résonance bienvenue à ses interprètes, mais restreint par trop la visibilité des spectateurs situés sur les côtés de la scène. Le plateau est animé par une direction d’acteur dynamique vivifiante, parsemée de fils rouges (gag de la barbe piétinée de Merlin) ou d’accessoires amusants (le trône qui révèle un téléviseur). On regrette toutefois la faiblesse du jeu d’éclairages, qui trahit les origines de ce spectacle itinérant, conçu pour de petites scènes.
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