Depuis sa fondation en 1970 par des maisons d’opéra issues de tout
l’Hexagone jusqu’en Suisse, le Centre français de promotion lyrique
(récemment renommé « Génération Opéra ») s’est donné pour mission de
mettre en œuvre une vaste coproduction annuelle réunissant quelques
jeunes pousses vocales prometteuses, associées à des artistes plus
chevronnés. Si la pandémie a repoussé le dernier projet consacré au Voyage dans la Lune
(1875) d’Offenbach, il est enfin venu le temps de découvrir ce
spectacle sur scène, d’abord à Marseille, avec un plateau vocal
différent de celui présenté lors des répétitions à Montpellier voilà
tout juste un an. De même, les prochaines représentations, prévues dans
pas moins de quinze opéras différents sur plusieurs saisons, devraient
renouveler la plupart des chanteurs entendus dans la cité phocéenne, à
quelques exceptions près (notamment Violette Polchi, Sheva Tehoval et
Kaëlig Boché).
Hasard du calendrier, une autre production de ce même ouvrage a été
confiée par l’Opéra-Comique à Laurent Pelly l’an passé, malheureusement
inaboutie pour cause de pandémie, même si France Télévision a pu heureusement capter le spectacle, sans public. Après la production réussie d’Olivier Desbordes en 2014, montée à ici puis ici,
le choix d’une réduction drastique de l’ouvrage (deux heures trente
avec un entracte) a également été opéré à Marseille, tout en conservant
l’orchestration originale pour grand orchestre, à l’inverse de
Saint-Céré. Le disque à paraître dans la collection de livres-disques
« Opéra français », édité par les équipes du Palazzetto Bru Zane,
devrait en revanche comporter la partition complète – un événement
inédit jusqu’à présent.
On ne peut que se réjouir de voir proposé au plus grand nombre l’un des
ouvrages les plus inspirés d’Offenbach au niveau musical, rarement monté
du fait de son livret rocambolesque et farfelu, dans la veine des
extravagances à grand spectacle du Roi Carotte (1872) – voir la dernière reprise du spectacle de Laurent Pelly à Lyon en 2019.
Offenbach cherche à faire oublier la défaite face aux Prussiens en
convoquant la féerie et l’imaginaire développé par Jules Verne dans ses
romans, dont les adaptations triomphent alors sur les planches. Faute de
l’accord du romancier, Offenbach et ses librettistes s’en tiennent à
une évocation lointaine, s’amusant à passer du coq à l’âne en surfant
sur l’air du temps, prétexte à une satire contemporaine savoureuse
moquant autant le jargon scientifique, le progrès technique, la
condition féminine que la justice aux ordres.
Très efficace, l’adaptation réalisée pour la scène s’enchaîne sans temps
mort, en limitant autant que possible les dialogues parlés. La musique
d’Offenbach, d’une imagination mélodique inépuisable et d’une finesse
d’orchestration portée par les vents, varie les climats à l’envi, entre
rythmes sautillant et entrainant, ivresses orientales (un dromadaire fut
amené sur scène à la création !) et raffinement des ballets. Il faut
dire qu’un véritable orfèvre est dans la fosse en la personne de Pierre
Dumoussaud, dont on se régale des phrasés souples et aériens, si subtils
à force d’attention aux détails. Les cordes frémissantes et le climat
volontiers chambriste permettent de ne jamais couvrir le plateau, ce qui
est d’autant plus appréciable que celui-ci se montre malheureusement
assez inégal.
Ainsi de Violette Polchi, aux moyens sans doute trop lourds pour
maîtriser les redoutables accélérations et l’attention au texte que
nécessite son rôle de Prince Caprice. Elle compense ses difficultés par
une émission d’un beau velouté et une composition dramatique engagée. A
ses côtés, Sheva Tehoval (Fantasia) s’impose avec un naturel confondant
dans l’articulation et la fraîcheur d’intention, même si on note les
mêmes défauts dès que le rythme s’accélère. Autour de la délicieusement
piquante Cécile Galois (Popotte), aux accents comiques irrésistibles de
drôlerie, on aime aussi le timbre radieux et la présence scénique de
Kaëlig Boché (Qui passe par là). Autour du solide mais un rien trop
sérieux Eric Vignau (Microcospe), Erick Freulon (Cosmos) tente de
compenser par son jeu dramatique son incapacité manifeste à savoir
chanter, tandis que le timbre fatigué et les approximations dans le
texte de Christophe Lacassagne (Vlan) sont bien loin de la truculence
attendue.
Comme à son habitude, Olivier Fredj, ancien assistant de Robert Carsen
notamment, donne une grande force visuelle à son travail (aux audaces
formelles proches de son Roi pasteur de Mozart, donné au Châtelet en 2015) :
en complément des illustrations anciennes modernisées en arrière-scène,
l’exploration des volumes des différents cadrages de la scène rend un
hommage évident à Georges Méliès. On aime aussi la volonté de renforcer
le rôle du prince Qui passe par là, devenu metteur en scène d’une mise
en abîme finalement peu exploitée par la suite. Enfin, l’apport des
danseurs, très applaudis en fin de représentation, se révèle judicieux
pour animer un plateau un rien trop statique dans sa direction d’acteur.
Malgré une interprétation vocale inégale, le spectacle vaut par son
évocation visuelle poétique et surtout les délices inépuisables de la
muse d’Offenbach, toujours aussi stimulante.
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