mercredi 1 juin 2022

« Le Barbier de Séville » de Gioacchino Rossini - Damiano Michieletto - Opéra Bastille à Paris - 30/05/2022

La première de la reprise de la production du Barbier de Séville par Damiano Michieletto (créée en 2012 à Genève, puis donnée ici même en 2014 et 2016) affichait complet, avec une forte présence anglophone, visible pendant l’entracte notamment. Le succès public du chef‑d’œuvre de Rossini ne s’est pas démenti au moment des saluts, avec une ovation debout pour l’ensemble des interprètes. D’où vient pourtant ce goût d’inachevé pour cette première production présentée par Michieletto à l’Opéra de Paris ? On s’ennuie ferme, en effet, pendant la majeure partie du premier acte, où le metteur en scène italien peine à animer le plateau au‑delà du vaste décor spectaculaire qui se déploie sous nos yeux et sous toutes ses coutures, au moyen d’un plateau tournant. On a beau entendre quelques commentaires ébahis, autour de soi, devant la prouesse technique d’un immeuble découpé en forme de maison de poupées, cela ne suffit pas à faire vivre un quartier populaire contemporain (que l’on peut situer dans les années 1990, ce que suggère le poster à la gloire du jeune Johnny Depp, dans la chambre de Rosina). Seules quelques opportunes saynètes, souvent savoureuses, tentent de renforcer le rôle de Berta, en la montrant affairée à ses occupations quotidiennes ou en lui prêtant un amant déjanté. Le début du second acte se montre plus réussi grâce au jeu d’acteur plus fouillé, qui tourne Bartolo en ridicule dans sa propre maison, mais retombe ensuite en des gesticulations qui tournent souvent à vide, à l’image du décor, révélateur d’un manque d’idées pour faire vivre le spectacle sur sa durée.


L’autre déception de la soirée vient de la fosse, où Roberto Abbado (neveu du regretté Claudio) fouille chaque détail de la partition en révélant nuances et souplesse féline, tout en oubliant par trop l’électricité attendue dans les parties rythmiques. Le soyeux obtenu des cordes est certes un régal, mais cette lecture chambriste manque d’ampleur pour une salle aussi vaste que Bastille et met souvent à nu les chanteurs, trop peu soutenus. C’est particulièrement dommageable pour René Barbera (Almaviva), dont le jeu dramatique extérieur et peu engagé manque de stimulation. Peu audible dans le médium, sa voix claire se déploie mieux en pleine puissance, mais le déséquilibre est frappant avec sa partenaire Aigul Akhmetshina (Rosina), autrement plus convaincante.

Au sommet de ses moyens, la jeune chanteuse russe donne une incarnation solaire à chacune de ses interventions, montrant autant un beau caractère que des qualités techniques superlatives – entre facilité sur toute la tessiture et beauté des graves corsés. Seul l’aigu peut encore gagner en intention dramatique plus prononcée, mais ça n’est là qu’un détail, tant on souhaite revoir très vite en France cette chanteuse attachante. A ses côtés, Renato Girolami réussit tout autant ses débuts à l’Opéra de Paris en composant un désopilant Bartolo, très investi tout du long. On regrette toutefois ses défaillances vocales nombreuses dans son unique air, notamment dans l’aigu, même si l’Italien compense ses difficultés par un art interprétatif toujours très à propos. On aime aussi l’impeccable Figaro d’Andrzej Filonczyk, à l’abattage scénique aussi agile que percutant, de même que le Basilio d’Alex Esposito, très applaudi pour sa rondeur de phrasés ou sa projection sonore et bien articulée. Tous les seconds rôles apportent beaucoup de plaisir, au premier rang desquels la lumineuse Katherine Broderick (Berta), d’une facilité déconcertante dans le brio comme les accents comiques. Les chœurs masculins, enfin, montrent qu’ils ont encore du chemin à parcourir pour atteindre la cohésion attendue, mise à mal dans les périlleuses accélérations rossiniennes. 

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