dimanche 12 juin 2022

« Jenůfa » de Leos Janácek - Damiano Michieletto - Staatsoper à Berlin - 10/06/2022

 

Désormais incontournable sur les plus grandes scènes lyriques européennes, Damiano Michieletto souffle pourtant le chaud et le froid, avec plusieurs réussites majeures (notamment son percutant Orphée et Eurydice, présenté au Komische Oper en début d’année) et quelques déceptions, comme cette Jenůfa en manque d’idées pour convaincre sur toute la durée du spectacle. Comme souvent, le metteur en scène italien impressionne au niveau visuel par la mise en avant d’une idée forte, ici représentée par un iceberg renversé qui finit par envahir le centre de la scène et faire fondre littéralement une partie du plancher. Outre la représentation symbolique des angoisses de Kostelnicka, cernée par les remords, cet iceberg évoque l’inaptitude des personnages à communiquer entre eux, prisonniers qu’ils sont du rôle que les codes sociaux villageois tendent à leur imposer. Malheureusement, malgré un travail toujours aussi diversifié sur les éclairages, la direction d’acteur paresseuse peine à animer le plateau d’une vitalité souvent absente, notamment lors des scènes de groupe. On regrette surtout le choix de faire chanter le chœur en coulisse au I, alors qu’une poignée de figurants renouvelle les rares éléments de décor (plusieurs bancs réagencés géométriquement au gré de l’action).

Face à cette proposition minimaliste et essentiellement visuelle, le plateau vocal réuni reçoit une ovation enthousiaste en fin de représentation. Remplaçante de dernière minute suite au retrait d’Evelyn Herlitzius, Dalia Schaechter (familière du rôle qu’elle a notamment chanté à Wiesbaden en 2018) donne à sa Kostelnicka une interprétation vibrante de caractère, mais ne peut toutefois faire oublier un timbre usé jusqu’à la corde, sans parler de l’aigu trop étranglé. On lui préfère grandement la Grand‑mère Buryja plus chantante de Hanna Schwarz (elle aussi habituée du rôle, notamment à Genève en 2012), qui malgré une justesse relative dans le suraigu, de même qu’un vibrato prononcé, porte son chant puissant d’une belle noblesse de ligne. L’interprétation de Jenůfa par Asmik Grigorian déçoit, avec des phrasés sans âme, mais elle se rattrape par sa belle aisance sur toute la tessiture, tout comme une rondeur d’émission délicieusement veloutée. Malgré des difficultés dans l’aigu, tendu en première partie, Stephan Rügamer (Laca) est plus à l’aise au niveau théâtral, tandis que le beau timbre de Alexey Dolgov (Steva) ne peut faire oublier sa projection globalement insuffisante.

Outre un chœur superlatif, le plaisir vient surtout du surprenant Thomas Guggeis, jeune chef allemand de seulement 29 ans, que Toulouse et Paris ont déjà pu entendre. Il opte pour des tempi très retenus tout du long : on s’habitue peu à peu à cette lenteur habitée par un sens du rebond très souple, portée par une attention millimétrée aux nuances. Si les parties folkloriques apparaissent un rien trop lisses, on aime toutefois ce geste tout en sobriété et en raffinement, qui donne beaucoup avec très peu d’effets. Assurément un chef à suivre, notamment dans le répertoire de la fin du XIXe siècle, où sa lecture distanciée devrait éviter tout pompiérisme.

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