Julia Fischer |
Pour son concert d’ouverture de saison, l’Orchestre national de France a
la satisfaction de faire salle comble, avant d’entamer une tournée avec
la même affiche à Dijon, puis Besançon. On ne peut que s’en réjouir,
tant le programme proposé par les forces de Cristian Măcelaru bouscule
les lignes, en mettant en avant la figure d’Elsa Barraine (1910‑1999)
autour de l’une de ses œuvres les plus abouties, la Seconde Symphonie.
Créé en 1938 par Désiré-Emile Ingelbrecht, l’ouvrage a ensuite été
soutenu par des chefs tout aussi renommés, de Manuel Rosenthal à Jean
Martinon, dont on peut encore trouver en ligne les gravures, en un son
malheureusement précaire. De quoi patienter avant le disque annoncé l’an
prochain par le National et Măcelaru, afin de rendre hommage à cette
compositrice en grande partie oubliée de nos jours.
Avec la Seconde Symphonie, on découvre un bijou d’ivresse
rythmique qui surprend constamment par sa capacité à mobiliser toutes
les sonorités à disposition, en un sens des transitions très fluide. Si
les cordes sinueuses ou quelques détails d’orchestration (de la caisse
claire à la harpe inquiétante en ostinato) évoquent Chostakovitch, les
ruptures de ton entre verticalités acérées et passages faussement
apaisés se tournent davantage vers Roussel. L’atmosphère tragique
entonnée par les cuivres au tout début du deuxième mouvement fait penser
quant à elle à la manière de Kurt Weill avant son départ aux
Etats‑Unis, du Lac d’Argent aux Sept péchés capitaux.
Toutes ces influences n’empêchent pas Barraine de trouver un ton propre,
qui, au‑delà de la maîtrise formelle, sait embrasser un souffle d’une
vitalité allante, de plus en plus solaire jusqu’au paroxysme du
mouvement conclusif. Cristian Măcelaru allège la pâte orchestrale pour
mieux faire ressortir les subtilités d’orchestration, donnant ainsi à
entendre quelques moments inoubliables, tel ce passage du dernier
mouvement, tout en transparence dans les aigus confiés aux violons,
flûtes et hautbois.
Le chef roumain est peut-être plus encore à son affaire pour faire ressortir les sortilèges harmoniques des Images
(1913) de Debussy, en un festival de couleurs distillées comme un feu
d’artifice. L’élan narratif passe au second plan, tant ce geste évite de
privilégier la mélodie principale, donnant à l’ensemble un vent de
modernité plus décoiffant qu’à l’habitude, notamment pour le tube Iberia.
Aucune espagnolade dans cette interprétation, mais plutôt une volonté
de surprendre par des phrasés aussi chaloupés que chaleureux. En bis,
toute la grâce aérienne de la compositrice Cécile Chaminade s’épanouit
dans le gracieux « Pas des écharpes », tiré du ballet Callirhoé (1888).
Avant l’entracte, le Concerto pour violon (1879) de Brahms a pu
initialement dérouter par sa volonté de fouiller les détails, sans
toutefois sacrifier au discours d’ensemble. Il faut certainement arriver
à évacuer toute une tradition interprétative germanique, aux élans
massifs et tragiques, pour apprécier les variations de tempo et les
phrasés mouvants de Măcelaru, tous parcourus d’infimes nuances. Quel
plaisir, pourtant, lorsqu’on parvient ainsi à ouvrir ses chakras ! Le
Roumain a sa vision et s’y tient tout du long, en ralentissant
ostensiblement la mesure dans les passages lents, qui semblent
l’intéresser bien davantage (une constante tout au long de la soirée),
pour mieux s’emporter dans les verticalités, plus expédiées en
comparaison. Julia Fischer (née en 1983) épouse ce geste contrasté et
sans pathos par une relance du discours musical toujours intense et
engagée, montrant qu’elle n’a rien perdu de son tempérament avec les
années. En bis, la violoniste allemande reprend un bis typique de la
génération des années 2000 à laquelle elle appartient, en interprétant
la Sarabande de la Deuxième Partita de Bach, avant de surprendre
davantage en mettant en avant toute l’espièglerie doucereuse du
Treizième Caprice de Paganini, en second bis conclusif.
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