Le Théâtre 71 à Malakoff accueille la reprise d’« Invasion ! », comédie familiale extravagante
qui ose parler d’identité et du fantasme de la peur de l’étranger. L’air de rien et avec une redoutable efficacité.
Un véritable phénomène. À seulement 25 ans, Jonas Hassen Khemiri
obtient du jour au lendemain une notoriété considérable en Suède, son
pays natal, avec la publication en 2003 de
son premier roman Un œil rouge. Le jeune homme s’inspire de la Vie devant soi
de Romain Gary, et
fait parler son héros de 15 ans avec un langage truffé de fautes
d’orthographe et de grammaire. Né d’un père tunisien et d’une mère
suédoise parlant le français,
Jonas Hassen Khemiri est rapidement fasciné par les multiples
possibilités des langues qu’il maîtrise à son tour, en plus de
l’anglais. Il confesse ainsi que sa mère devient beaucoup
plus chaleureuse lorsqu’elle s’exprime en français ou que son père
est plus drôle lorsqu’il plaisante en arabe.
L’amour des mots et le jeu autour de la langue prennent une place importante dans Invasion !,
la première pièce du jeune auteur suédois, écrite en 2006.
L’utilisation du terme
fourre-tout « Abulkacem », par des adolescents à la recherche d’un
langage fédérateur, fait ainsi l’objet des premières scènes dont
Khemiri ne cache pas la part autobiographique.
D’abord innocent, le terme va rapidement déborder son cadre
d’origine et incarner le fantasme de l’étranger dangereux qu’il convient
de traquer pour se protéger. L’analogie avec Ben Laden
est ici évidente, et le metteur en scène Michel Didym s’en amuse,
convoquant les images de Georges Bush ou Condoleezza Rice pour illustrer
son propos.
Une comédie loufoque et parodique
Créée en France en 2007 au festival d’été de Pont-à-Mousson, le
spectacle de Michel Didym a été repris ensuite au Théâtre des Amandiers
de Nanterre, avant une vaste tournée en France et en
Belgique. Le fondateur de la M.E.E.C. (Maison européenne des
écritures contemporaines) se régale de la comédie loufoque de Khemiri,
particulièrement dans les scènes parodiques de psychose
anti-Abulkacem. Didym ne force ainsi jamais le trait pour
ridiculiser le présentateur de télévision narcissique et écervelé
(irrésistible Luc-Antoine Diquéro), accompagné d’un panel
d’experts aussi incompétents que farfelus.
Accompagné par la musique du groupe de rock Garçons d’étage, le
spectacle impose un rythme endiablé à ses comédiens, qui interprètent
plusieurs rôles à intervalle serré. Si les rôles
d’adolescents au langage de banlieue peinent à dépasser la
caricature (Zakariya Gouram particulièrement), tous les autres sont
parfaitement maîtrisés. Julie Pilod se montre ainsi
impressionnante dans le rôle de la traductrice manipulatrice et
retorse, imprimant dans son regard toutes les sensations qui la
traversent. Quentin Baillot distille quant à lui une émotion
brute, particulièrement rude dans l’éprouvante scène finale.
Car c’est dans sa dernière partie que la pièce de
Jonas Hassen Khemiri prend toute sa dimension par un nouveau contre-pied
particulièrement efficace. Alors que la comédie devient plus
grinçante, la dénonciation subtile prend un tour glaçant, le récit
du fait-divers sordide balayant brutalement le fantasme Abulkacem.
Délivré des malentendus et des clichés autour de l’autre,
la réalité de l’homme ordinaire, du Suédois banal, nous ramène à
l’évidente solitude de notre être. Et si l’autre, c’était moi ? À moins
que ça ne soit l’inverse ?
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