Après " Qui a peur de Virginia Woolf " d’Edward Albee, Dominique Pitoiset se met en scène dans une nouvelle pièce consacrée au théâtre nord‑américain du xxe siècle. Un
spectacle visuellement réussi, mais qui manque d’émotion.
Honnête représentant de commerce qui parcourt les routes pour
gagner sa vie, Willy Loman est un homme ordinaire. De ceux à qui l’on a
vendu un mythe : le rêve américain et ses
promesses d’ascension sociale par le travail, fondé sur
l’édification d’une famille tout entière tournée vers ce but. Lorsque
les années passent, que la fatigue des longs déplacements
s’accumule, le père de famille constate qu’il n’a, pas plus que
ses fils, gravi les échelons tant désirés. Acculé par les dettes, viré
de son travail sans ménagement, Willy Loman reste
incapable de se réinventer, prisonnier d’un logiciel unique de
pensée exclusivement tourné vers la réussite, mais muet pour aider ceux
qui échouent.
Héritière du réalisme social cher à Henrik Ibsen, la pièce Mort d’un commis voyageur
d’Arthur Miller – à ne pas confondre avec son compatriote, l’écrivain
contemporain Henry Miller – obtient le célèbre prix Pulitzer en
1949. Broadway lui réserve un triomphe et encense son metteur en scène
Elia Kazan, celui‑là même qui,
quelques années plus tard, dévoile les sympathies communistes de
son ami Arthur Miller et commet avec son film Sur les quais,
une apologie de la dénonciation,
opportunément oscarisée en ces temps de chasse aux sorcières.
L’ancien mari de Marylin Monroe choisit quant à lui de lutter
courageusement contre cette hystérie collective avec sa célèbre
pièce les Sorcières de Salem.
Des rythmes déconcertants
On comprend dès lors toute l’aura d’Arthur Miller aux États-Unis,
alors qu’il reste encore assez peu joué en France. On ne peut donc que
se féliciter d’une nouvelle production du premier
chef‑d’œuvre de Miller, créée par Dominique Pitoiset en mars 2010
et reprise cette année en tournée à Bordeaux, Sceaux et Marseille. Le
directeur du Théâtre national de Bordeaux
propose une scénographie épurée, au décor unique composé d’une
vaste colline de gazon qui envahit tout l’espace, avec une voiture
accidentée en son centre. Les comédiens déambulent autour, et
matérialisent les changements de scène au moyen de différents
accessoires, parfois aidés par les éclairages (magnifiques contre‑jours
notamment) ou la musique très présente (souvent en
décalage, avec des airs guillerets). Le metteur en scène adopte
cependant des rythmes déconcertants, accélérant les premières scènes et
ralentissant au contraire la respiration de la dernière
partie de la pièce, avant le drame final.
L’ensemble de ces choix nécessite des comédiens particulièrement
affûtés, capables de suppléer à l’épure par la force de leur jeu.
Malheureusement, hormis Pitoiset en impeccable imposteur
pitoyable, seul Pierre‑Alain Chapuis apporte une véritable densité
au rôle de l’ami à qui Willy Loman refuse la main tendue, celle d’une
aide sincère et désintéressée. Les autres
rôles s’en sortent passablement, tandis que Nadia Fabrizio surjoue
l’épouse pathétique au fil de ses interventions.
On sort de la salle un peu déboussolé, avec cette impression d’un
spectacle dont l’émotion est absente malgré ses qualités visuelles. Un
léger goût d’inachevé.
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