Après « Jenůfa » et « l’Affaire Makropoulos » de Leoš Janáček, la musique tchèque est une nouvelle fois à l’honneur à
l’Opéra d’Angers-Nantes avec Smetana. Une réussite éclatante.
Cent trente-huit ans après Prague, la quatrième œuvre lyrique de
Bedřich Smetana débarque enfin en France. Une production originale de
l’Opéra d’Angers-Nantes qui, tout en programmant
les inévitables Verdi et Mozart, propose une saison audacieuse et
équilibrée avec les rares John Blow, Nino Rota et Udo Zimmermann à
l’affiche. En portant son intérêt sur
Smetana, le directeur Jean‑Paul Davois nous rappelle combien le
père de l’opéra tchèque ne reste connu du grand public qu’avec une
poignée d’œuvres au répertoire, tel son joyau symphonique
la Moldau.
Car c’est peu dire que Dvořák, auteur de la célébrissime Symphonie du Nouveau Monde, éclipse tous ses compatriotes. Si les opéras de Janáček ont fait un retour remarqué sur
les scènes européennes depuis dix ans, que dire de Martinů et Smetana ? Pour ce dernier, la création française des Deux Veuves contribue ainsi à rendre justice à son
génie mélodique et sa verve rythmique délicieuse, autant de qualités déjà présentes dans son chef-d’œuvre lyrique la Fiancée vendue.
Une comédie endiablée
Composé en 1874, l’opéra les Deux Veuves est adapté de la
comédie contemporaine éponyme du français Félicien Mallefille qui voit
s’affronter Karolina et Anežka,
deux cousines vivant différemment leur veuvage, l’une tournée vers
l’avenir et résolument joyeuse, l’autre grave et sur la défensive.
L’irruption de Ladislav Podhájský, prêt à toutes
les maraudes pour séduire Anežka, rompt la monotonie d’un univers
domestique figé.
La très belle scénographie de Joanna Parker représente
parfaitement cet intérieur triste et sans âme que tente de réveiller
Karolina par son énergie et sa joie de vivre. Le décor unique
pendant tout l’opéra enferme les deux héroïnes dans un salon
poussiéreux jonché de trophées de chasse et de bibelots, où trône un
immense escalier qui mène aux deux chambres.
Au dehors, par‑delà les fenêtres, les promesses d’une vie
meilleure sont symbolisées en contraste par des branches d’arbre irisées
d’une lumière très vive. La mise en scène énergique de la
britannique Jo Davies, particulièrement impressionnante dans
l’animation du chœur, fait claquer les portes à la manière d’un
vaudeville, tandis que la musique joyeuse de Smetana emporte
tout sur son passage.
Un plateau vocal idéal
Le premier acte privilégie ainsi les aspects bouffes,
principalement avec les pitreries du Mumlal d’Ante Jerkunica (magnifique
timbre de basse, au sens comique affirmé) et l’irrésistible
scène du vrai-faux procès du maraudeur. Le deuxième acte se fait
plus intime avec les hésitations de l’Anežka de Sophie Angebault,
touchante et délicate, tandis que la musique plus lyrique
traduit l’influence de Wagner et apporte une émotion inattendue.
Smetana y déploie une admirable palette de couleurs qui transfigure des
cordes pourtant mises à mal en début d’opéra avec la
redoutable ouverture, et ce malgré la direction précise et affutée
de Mark Shanahan.
Mais la soirée est surtout dominée par le Tchèque Ales Briscein
(Ladislav) et la Slovaque Lenka Macikova (Karolina) qui imposent une
musicalité et une diction idéale dans cette œuvre.
Avec deux seconds rôles parfaits (Robin Tritschler et
Khatouna Gadelia), un chœur de tout premier plan, le plateau vocal réuni
frise la perfection. Une soirée dès lors vivement
applaudie par un public nantais aux anges. Gageons que d’autres
directeurs d’opéra sauront nous dévoiler un diamant brut tout aussi
savoureux, tel le rare Manoir hanté du
compositeur polonais Stanisław Moniuszko, un contemporain de Smetana.
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