L’Opéra de Dijon nous offre le rare « Ariane et Barbe-Bleue » de Dukas, pour lequel l’histoire seule, allusive et mystérieuse,
vaut le déplacement. Et ce, malgré l’interprète du rôle-titre qui, malade, gâche la fête.
La renommée du compositeur français Paul Dukas (1865-1935) reste
attachée de nos jours au poème symphonique « l’Apprenti sorcier »,
popularisé par le fameux dessin-animé
Fantasia de Walt Disney. Les images bien connues
de Mickey luttant contre ses balais indisciplinés ont fait le tour du
monde, imposant durablement cette œuvre au concert. Les
autres opus de Dukas n’ont pas cette faveur, sans doute du fait de
leur faible nombre, le compositeur censeur exigeant envers lui-même
ayant choisi de n’en conserver qu’une dizaine
seulement.
Parmi eux, son chef-d’œuvre et unique opéra Ariane et Barbe-Bleue est créé en 1907, cinq ans après le Pelléas et Mélisande
de Debussy, une œuvre intensément admirée par Dukas. À l’instar de
ses contemporains Jean Sibelius et Richard Strauss, sa musique porte
l’influence de Wagner et refuse
les innovations atonales ou la révolution stravinskienne. Autour
de cet indiscutable classicisme, son sens de l’orchestration et son
attention portée au détail raffiné font merveille dans
l’adaptation symboliste du conte de Charles Perrault.
Barbe-Bleue revisitée
Le livret de Maurice Maeterlinck, initialement destiné au
compositeur norvégien Edvard Grieg, modifie sensiblement l’histoire bien
connue de Barbe-Bleue. Si la
sœur Anne disparaît au profit d’une nourrice qui suit l’héroïne
dans la découverte des différentes richesses (prétexte à d’éblouissantes
variations orchestrales de Dukas) qui
précédent l’ouverture de la dernière porte, les frères sont quant à
eux remplacés par un chœur de villageois prêts à se révolter contre la
figure de Barbe-Bleue.
Dans l’opéra, son épouse Ariane a désormais un nom, en référence
au mythe grec qui la voit aider Thésée à s’échapper du labyrinthe
du Minotaure. Ce labyrinthe où se terrent les anciennes
épouses non pas mortes, mais emmurées vivantes par Barbe-Bleue,
est réutilisé par Maeterlinck afin de symboliser l’aveuglement et le
renoncement de ces femmes face à l’arbitraire. Ariane
se détourne ainsi de toutes les richesses (« Elles ne sont là que
pour nous détourner de ce qu’il faut savoir ») afin de guider les autres
épouses vers la lumière, cette liberté
qu’elles ne peuvent trouver qu’en elles-mêmes.
Particulièrement enthousiaste à la lecture du livret
de Maeterlinck, Dukas fait cependant réduire le rôle de Barbe-Bleue,
souvent présent mais muet, face à l’omniprésence d’Ariane. La
seule scène où Barbe-Bleue chante est celle de l’ouverture de la
porte interdite où il lâche un laconique « Vous aussi… », aussitôt
assumé par sa femme en retour (« Moi,
surtout »). L’importance considérable du rôle d’Ariane, qui fait
toute l’originalité de cet opéra, nécessite une soprano de grande
envergure capable de maîtriser les périlleuses
difficultés vocales de la partition.
Des chanteuses souffrantes
Malheureusement souffrante lors de la première, la canadienne
Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane) déçoit de bout en bout.
Particulièrement en difficulté dans les aigus, elle peine trop
souvent à positionner sa voix, avec une diction peu caractérisée.
Elle ne rattrape qu’à peine sa prestation par ses qualités d’actrice.
Également malade, la Nourrice assez terne de
Delphine Haidan se réfugie dans une technique sûre qui lui permet
de sauver les meubles. Dès lors, les anciennes femmes de Barbe-Bleue
ravissent en comparaison, particulièrement
la Sélysette radieuse de Carine Séchaye, que l’on aimerait
retrouver dans un rôle plus important encore.
Côté fosse, aidé par la parfaite acoustique de
l’Auditorium de Dijon, Daniel Kawka détaille chaque subtilité avec une
grâce infinie, étageant les différents groupes d’instrument
de manière très lisible. On pourra regretter un manque de fièvre,
d’urgence, dans les scènes avec le chœur, réserve qui s’explique sans
doute par la relative faiblesse de ce dernier. Il
est vrai que la mise en scène de Lilo Baur, visuellement superbe
mais assez statique, n’aide pas ses protagonistes. Son indéniable poésie
mélancolique s’associe cependant aux costumes
magnifiques, comme surgis hors du temps. Mais une Ariane sans
Ariane ne peut néanmoins satisfaire un public averti. Et c’est bien là
une réserve majeure pour cette soirée au goût
d’inachevé.
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