dimanche 16 décembre 2012

« Ariane et Barbe-Bleue » de Paul Dukas - Opéra de Dijon - 07/12/2012

L’Opéra de Dijon nous offre le rare « Ariane et Barbe-Bleue » de Dukas, pour lequel l’histoire seule, allusive et mystérieuse, vaut le déplacement. Et ce, malgré l’interprète du rôle-titre qui, malade, gâche la fête.



La renommée du compositeur français Paul Dukas (1865-1935) reste attachée de nos jours au poème symphonique « l’Apprenti sorcier », popularisé par le fameux dessin-animé Fantasia de Walt Disney. Les images bien connues de Mickey luttant contre ses balais indisciplinés ont fait le tour du monde, imposant durablement cette œuvre au concert. Les autres opus de Dukas n’ont pas cette faveur, sans doute du fait de leur faible nombre, le compositeur censeur exigeant envers lui-même ayant choisi de n’en conserver qu’une dizaine seulement.
Parmi eux, son chef-d’œuvre et unique opéra Ariane et Barbe-Bleue est créé en 1907, cinq ans après le Pelléas et Mélisande de Debussy, une œuvre intensément admirée par Dukas. À l’instar de ses contemporains Jean Sibelius et Richard Strauss, sa musique porte l’influence de Wagner et refuse les innovations atonales ou la révolution stravinskienne. Autour de cet indiscutable classicisme, son sens de l’orchestration et son attention portée au détail raffiné font merveille dans l’adaptation symboliste du conte de Charles Perrault.
Barbe-Bleue revisitée
Le livret de Maurice Maeterlinck, initialement destiné au compositeur norvégien Edvard Grieg, modifie sensiblement l’histoire bien connue de Barbe-Bleue. Si la sœur Anne disparaît au profit d’une nourrice qui suit l’héroïne dans la découverte des différentes richesses (prétexte à d’éblouissantes variations orchestrales de Dukas) qui précédent l’ouverture de la dernière porte, les frères sont quant à eux remplacés par un chœur de villageois prêts à se révolter contre la figure de Barbe-Bleue.
Dans l’opéra, son épouse Ariane a désormais un nom, en référence au mythe grec qui la voit aider Thésée à s’échapper du labyrinthe du Minotaure. Ce labyrinthe où se terrent les anciennes épouses non pas mortes, mais emmurées vivantes par Barbe-Bleue, est réutilisé par Maeterlinck afin de symboliser l’aveuglement et le renoncement de ces femmes face à l’arbitraire. Ariane se détourne ainsi de toutes les richesses (« Elles ne sont là que pour nous détourner de ce qu’il faut savoir ») afin de guider les autres épouses vers la lumière, cette liberté qu’elles ne peuvent trouver qu’en elles-mêmes.
Particulièrement enthousiaste à la lecture du livret de Maeterlinck, Dukas fait cependant réduire le rôle de Barbe-Bleue, souvent présent mais muet, face à l’omniprésence d’Ariane. La seule scène où Barbe-Bleue chante est celle de l’ouverture de la porte interdite où il lâche un laconique « Vous aussi… », aussitôt assumé par sa femme en retour (« Moi, surtout »). L’importance considérable du rôle d’Ariane, qui fait toute l’originalité de cet opéra, nécessite une soprano de grande envergure capable de maîtriser les périlleuses difficultés vocales de la partition.
Des chanteuses souffrantes
Malheureusement souffrante lors de la première, la canadienne Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane) déçoit de bout en bout. Particulièrement en difficulté dans les aigus, elle peine trop souvent à positionner sa voix, avec une diction peu caractérisée. Elle ne rattrape qu’à peine sa prestation par ses qualités d’actrice. Également malade, la Nourrice assez terne de Delphine Haidan se réfugie dans une technique sûre qui lui permet de sauver les meubles. Dès lors, les anciennes femmes de Barbe-Bleue ravissent en comparaison, particulièrement la Sélysette radieuse de Carine Séchaye, que l’on aimerait retrouver dans un rôle plus important encore.
Côté fosse, aidé par la parfaite acoustique de l’Auditorium de Dijon, Daniel Kawka détaille chaque subtilité avec une grâce infinie, étageant les différents groupes d’instrument de manière très lisible. On pourra regretter un manque de fièvre, d’urgence, dans les scènes avec le chœur, réserve qui s’explique sans doute par la relative faiblesse de ce dernier. Il est vrai que la mise en scène de Lilo Baur, visuellement superbe mais assez statique, n’aide pas ses protagonistes. Son indéniable poésie mélancolique s’associe cependant aux costumes magnifiques, comme surgis hors du temps. Mais une Ariane sans Ariane ne peut néanmoins satisfaire un public averti. Et c’est bien là une réserve majeure pour cette soirée au goût d’inachevé.

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