Aux Ateliers Berthier,
la nouvelle création très attendue de Joël Pommerat déçoit autant pour
sa
scénographie maladroite que pour le survol de son vaste sujet,
l’amour. Une troupe de comédiens épatante, ainsi que de fulgurants
tableaux à la poésie visuelle envoûtante, parviennent
heureusement à sauver l’ensemble.
C’est peu dire que chaque nouvelle création théâtrale
de Joël Pommerat est vivement attendue saison après saison. Si l’ancien
comédien s’est frotté à l’écriture dès le début des
années 1990, il lui aura fallu attendre 2006 pour obtenir une
consécration méritée aux molières, puis 2010 pour que
le Théâtre de l’Odéon et
le Théâtre national de Belgique le nomment artiste associé pendant
trois ans. Avec Emma Dante ou Lars Norén, Pommerat a également été
sélectionné pour participer à
Villes en scène, un projet soutenu par la Commission européenne
qui a pour but de présenter les œuvres de différents auteurs-metteurs en
scène contemporains à travers toute
l’Europe.
Si Pommerat annonce sans rire vouloir monter une pièce par an
pendant quarante ans, force est de constater que ce défi est pour
l’instant relevé haut la main. Face à cette
incroyable boulimie de travail, celui qui ne se contente pas
d’écrire ses textes, mais également de les mettre en scène, a su
s’entourer d’une équipe technique et de comédiens fidèles, qui
participent d’un style immédiatement identifiable autour de
tableaux visuels poétiques et oniriques, et d’un jeu sur l’espace sans
cesse renouvelé.
Renouveler son inspiration
C’est précisément au moyen de cette curiosité pour l’exploration
de scénographies originales que Pommerat tente de renouveler son
inspiration d’année en année. La grande réussite visuelle
de Ma chambre froide, précédente pièce jouée aux Ateliers Berthier,
avait consisté à jouer sur des effets de surprise liés à la mise en
place mouvante
de l’action sur tout l’espace du plateau, suite aux déplacements
imprévisibles des comédiens dans le noir complet, l’éclairage revenu
dévoilant une succession de tableaux inattendus et
merveilleux.
Le même procédé est utilisé dans la Réunification des deux Corées
où les spectateurs se retrouvent, non plus dans un espace circulaire,
mais dans une opposition frontale
en deux gradins, laissant entre eux une scène aussi étroite en
largeur qu’immense en longueur. Alors que la disposition circulaire
permettait une vision idéale pour l’ensemble du public,
ce long corridor gêne la perception périphérique de l’action,
chaque voisin se penchant à qui mieux mieux pour tenter d’apercevoir ce
qui se passe aux extrémités. En dehors des effets
d’éclairage en damier plutôt réussis, l’utilisation de cette mise
en espace ne convainc donc pas pleinement.
L’amour et ses multiples aspects
Le spectateur se demande dès lors, en référence au titre du
spectacle, si ce corridor ne symbolise pas l’impossible rapprochement
entre les deux Corées. Fausse piste. Sans jamais aborder
la question politique entre Séoul et Pyongyang, Pommerat choisit
d’aborder un sujet plus universel, celui de l’amour et de ses multiples
aspects, à partir de l’exposition de courts fragments
d’histoires fictifs ou empruntés à Ingmar Bergman et Arthur Schnitzler.
À partir de ce kaléidoscope de saynètes virtuoses sans aucun
rapport entre elles si ce n’est le vaste sujet de l’amour, l’auteur
tisse un spectacle un peu creux où l’absence de fil conducteur
évacue tout enjeu et toute émotion. Dommage que Pommerat n’ait
finalement pas grand-chose à nous dire, car, comme toujours, ses
comédiens se montrent tout à fait épatants. On retiendra
surtout les femmes, aux rôles sans doute plus marquants,
particulièrement dans la scène aussi drôle qu’absurde du mariage avorté
par des sœurs unanimement amoureuses du même homme.
Un univers sonore omniprésent
L’usage de l’amplification des voix, sans doute rendue nécessaire
au vu de l’étendue de la scène, est encore une fois à regretter tant ce
choix uniformise et appauvrit la richesse des timbres
et leur perception spatiale. De même, l’utilisation quasi
systématique d’un fondu musical, à base de synthétiseur bloqué dans les
graves, apparaît comme une facilité rapidement rébarbative,
heureusement compensée par quelques extraits de tubes qui offrent
des décalages bienvenus. Sur scène, les comédiens prennent parfois le
micro pour chanter dans une langue inconnue, nous
rappelant ainsi que le langage de l’amour se veut universel. Un
bien maigre message pour un spectacle en forme de zapping virtuose, mais
un peu vain.
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