Retour d’une
production emblématique des débuts de Jean‑Luc Choplin au Châtelet. Une
mise en scène astucieuse et désopilante, mais qui prend
trop de place par rapport à l’œuvre de Rossini.
Si le Théâtre du Châtelet constitue désormais le temple dédié aux comédies musicales américaines du xxe siècle,
on oublie un peu trop souvent la place que cette
institution parisienne accorde à quelques raretés du répertoire
classique. Son directeur, Jean‑Luc Choplin, a ainsi opportunément
accueilli en 2009 la création scénique française du tout
premier opéra de Wagner, les Fées, tandis que deux ans plus tôt, un éclairage était donné à une œuvre du jeune Rossini, la Pietra
del paragone (la Pierre de touche). Sa reprise en ce début d’année donne l’occasion de découvrir ou redécouvrir l’une des productions emblématiques du
début du mandat de Choplin, qui avait fait grand bruit avec sa mise en scène originale, captée en D.V.D.
Une œuvre de jeunesse certes, mais précédée d’une réputation
flatteuse due à Stendhal lui-même, pour qui cet opus serait supérieur au
Barbier de Séville. Un
rien exagérée, cette appréciation ne résiste pas à l’écoute d’une
œuvre inégale qui comporte trop de remplissage, et ce malgré de beaux
numéros comiques, tel l’irrésistible air de l’écho, suivi
d’un improbable duo qui fait rimer Mississipi avec… cui-cui. On
pense aussi au délicieux quatuor a capella ou au superbe finale du premier acte, comme autant de
réussites qui annoncent déjà les grandes œuvres composées dans les deux années qui suivent, l’Italienne à Alger et
le Turc en Italie.
Des assauts de virtuosité
Le talent de Rossini impressionne déjà par sa maîtrise d’un
orchestre qui multiplie les assauts de virtuosité dans ses accélérations
rythmiques toujours plus haletantes. Déjà, la marque de
fabrique du « cygne de Pessaro » qui, pour être redevable à
Cimarosa, s’enrichit d’une admirable imagination mélodique. Mais
peut-être laisse-t-il trop peu de place à des moments
de respiration aériens et poétiques si précieux chez Mozart. Pour
pallier l’écueil de la virtuosité assommante, le maestro
Jean‑Christophe Spinosi choisit d’alléger les textures, notamment
en réduisant l’importance des cordes.
Un choix judicieux tant sa direction lumineuse et gracile permet
de ne jamais couvrir les voix, variant subtilement les atmosphères avec
un ensemble qui semble lui répondre d’instinct. C’est
incontestablement la grande satisfaction de la soirée face à une
mise en scène qui laisse un avis plus mitigé. Giorgio Barberio Corsetti
choisit en effet de s’appuyer sur un inédit et
audacieux travail de superposition vidéo imaginé par le plasticien
Pierrick Sorin. Filmés en permanence, les chanteurs évoluent sur un
fond bleu en guise de décor et apparaissent
simultanément sur de vastes écrans au-dessus d’eux. Un astucieux
travail d’incrustation permet d’ajouter des décors qui n’apparaissent
qu’en vidéo, tandis que les chanteurs se déplacent dans le
vide. Le spectateur s’amuse des différents trucages réalisés en
direct, tout en faisant un constant aller-retour entre les
deux perceptions de la réalité.
Autour d’effets spéciaux malicieux, truffés de gags visuels ou de
visions poétiques, Giorgio Barberio Corsetti imagine une société
bling-bling dont les décors d’opérette font
furieusement penser à un mauvais soap, type Amour, gloire et beauté.
D’abord savoureux, ce procédé finit cependant par lasser dans sa
répétition, tout en prenant sa propre
indépendance par rapport à l’action. Une initiative
particulièrement dommageable pour la compréhension d’un livret qui, sans
être impérissable, se montre efficace dans ses aspects bouffes.
Faire tomber les masques
La Pietra del paragone raconte
ainsi l’histoire du riche Comte Asdrubale qui, cerné par les
courtisans, choisit d’éprouver la sincérité
de son entourage en se disant ruiné. Par ce stratagème, il pense
faire tomber les masques et lever les doutes qui l’empêchent de
percevoir son amour réciproque pour
la Marquise Clarice ou son amitié sincère avec Pacuvio. Dans le
rôle du Comte, Simon Lim déçoit quelque peu avec un timbre assez terne,
peu agile dans les différentes
modulations imposées par Rossini. Tout l’inverse
d’un Davide Luciano (Pacuvio), particulièrement impressionnant dans cet
exercice, tout comme le désopilant Macrobio
de Bruno Taddia, aux faux airs de François Morel. Dans ce rôle de
journaliste véreux, il fait de chacune de ses apparitions une fête.
Teresa Iervolino incarne quant à
elle une convaincante Marquise Clarice, et ce malgré une voix un
peu trop légère pour la vaste scène du Châtelet.
On retiendra aussi les deux excellentes courtisanes interprétées
par Raquel Camarinha (Fulvia) et Mariangela Sicilia (Aspasia), aussi à
l’aise dans les récitatifs que dans les airs.
Un plateau vocal qui, sans être de premier plan, se montre
complice et engagé, tout en étant parfaitement épaulé par un solide
chœur de l’Armée française. Au final, une production
équilibrée et intéressante, à réserver prioritairement aux
amateurs de surprises visuelles multiples.
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