lundi 27 janvier 2014

« La Pietra del paragone » de Gioachino Rossini - Théâtre du Châtelet - 20/01/2014

Retour d’une production emblématique des débuts de Jean‑Luc Choplin au Châtelet. Une mise en scène astucieuse et désopilante, mais qui prend trop de place par rapport à l’œuvre de Rossini.


Si le Théâtre du Châtelet constitue désormais le temple dédié aux comédies musicales américaines du xxe siècle, on oublie un peu trop souvent la place que cette institution parisienne accorde à quelques raretés du répertoire classique. Son directeur, Jean‑Luc Choplin, a ainsi opportunément accueilli en 2009 la création scénique française du tout premier opéra de Wagner, les Fées, tandis que deux ans plus tôt, un éclairage était donné à une œuvre du jeune Rossini, la Pietra del paragone (la Pierre de touche). Sa reprise en ce début d’année donne l’occasion de découvrir ou redécouvrir l’une des productions emblématiques du début du mandat de Choplin, qui avait fait grand bruit avec sa mise en scène originale, captée en D.V.D.

Une œuvre de jeunesse certes, mais précédée d’une réputation flatteuse due à Stendhal lui-même, pour qui cet opus serait supérieur au Barbier de Séville. Un rien exagérée, cette appréciation ne résiste pas à l’écoute d’une œuvre inégale qui comporte trop de remplissage, et ce malgré de beaux numéros comiques, tel l’irrésistible air de l’écho, suivi d’un improbable duo qui fait rimer Mississipi avec… cui-cui. On pense aussi au délicieux quatuor a capella ou au superbe finale du premier acte, comme autant de réussites qui annoncent déjà les grandes œuvres composées dans les deux années qui suivent, l’Italienne à Alger et le Turc en Italie.

Des assauts de virtuosité

Le talent de Rossini impressionne déjà par sa maîtrise d’un orchestre qui multiplie les assauts de virtuosité dans ses accélérations rythmiques toujours plus haletantes. Déjà, la marque de fabrique du « cygne de Pessaro » qui, pour être redevable à Cimarosa, s’enrichit d’une admirable imagination mélodique. Mais peut-être laisse-t-il trop peu de place à des moments de respiration aériens et poétiques si précieux chez Mozart. Pour pallier l’écueil de la virtuosité assommante, le maestro Jean‑Christophe Spinosi choisit d’alléger les textures, notamment en réduisant l’importance des cordes.

Un choix judicieux tant sa direction lumineuse et gracile permet de ne jamais couvrir les voix, variant subtilement les atmosphères avec un ensemble qui semble lui répondre d’instinct. C’est incontestablement la grande satisfaction de la soirée face à une mise en scène qui laisse un avis plus mitigé. Giorgio Barberio Corsetti choisit en effet de s’appuyer sur un inédit et audacieux travail de superposition vidéo imaginé par le plasticien Pierrick Sorin. Filmés en permanence, les chanteurs évoluent sur un fond bleu en guise de décor et apparaissent simultanément sur de vastes écrans au-dessus d’eux. Un astucieux travail d’incrustation permet d’ajouter des décors qui n’apparaissent qu’en vidéo, tandis que les chanteurs se déplacent dans le vide. Le spectateur s’amuse des différents trucages réalisés en direct, tout en faisant un constant aller-retour entre les deux perceptions de la réalité.

Autour d’effets spéciaux malicieux, truffés de gags visuels ou de visions poétiques, Giorgio Barberio Corsetti imagine une société bling-bling dont les décors d’opérette font furieusement penser à un mauvais soap, type Amour, gloire et beauté. D’abord savoureux, ce procédé finit cependant par lasser dans sa répétition, tout en prenant sa propre indépendance par rapport à l’action. Une initiative particulièrement dommageable pour la compréhension d’un livret qui, sans être impérissable, se montre efficace dans ses aspects bouffes.

Faire tomber les masques

La Pietra del paragone raconte ainsi l’histoire du riche Comte Asdrubale qui, cerné par les courtisans, choisit d’éprouver la sincérité de son entourage en se disant ruiné. Par ce stratagème, il pense faire tomber les masques et lever les doutes qui l’empêchent de percevoir son amour réciproque pour la Marquise Clarice ou son amitié sincère avec Pacuvio. Dans le rôle du Comte, Simon Lim déçoit quelque peu avec un timbre assez terne, peu agile dans les différentes modulations imposées par Rossini. Tout l’inverse d’un Davide Luciano (Pacuvio), particulièrement impressionnant dans cet exercice, tout comme le désopilant Macrobio de Bruno Taddia, aux faux airs de François Morel. Dans ce rôle de journaliste véreux, il fait de chacune de ses apparitions une fête. Teresa Iervolino incarne quant à elle une convaincante Marquise Clarice, et ce malgré une voix un peu trop légère pour la vaste scène du Châtelet. 
On retiendra aussi les deux excellentes courtisanes interprétées par Raquel Camarinha (Fulvia) et Mariangela Sicilia (Aspasia), aussi à l’aise dans les récitatifs que dans les airs. Un plateau vocal qui, sans être de premier plan, se montre complice et engagé, tout en étant parfaitement épaulé par un solide chœur de l’Armée française. Au final, une production équilibrée et intéressante, à réserver prioritairement aux amateurs de surprises visuelles multiples.

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