Quand
l’Opéra de Tours remonte opportunément une opérette de l’un des maîtres
de la mélodie française, André Messager, on accourt.
Un Régis Mengus impérial mène la troupe, accompagné de toute la
malice d’un metteur en scène ravi.
Traditionnel bonbon de fête, l’opérette fait partie de ces délices
dont on se délecte souvent avec un plaisir coupable. On a bien tort,
tant l’apparente légèreté des situations recèle une
critique sociale d’autant plus fine et efficace qu’elle passe par
le rire. Si l’on peut regretter de trop peu fréquentes productions
d’opérettes, c’est que ce répertoire constitué d’alternance
de chant et de théâtre, mettant à rude épreuve ses interprètes,
nécessite une équipe parfaitement aguerrie pour monter un spectacle
équilibré. Avec l’association Art musical, le comédien
et metteur en scène Jacques Duparc relève ce défi depuis plusieurs
années avec constance et efficacité.
De Phi-Phi au Chanteur de Mexico, en passant par la rare Auberge du cheval blanc
de Benatzky (donnée en début d’année à
l’Opéra de Massy), Duparc embrasse ce vaste répertoire avec un
enthousiasme communicatif. Pour cette fin d’année, il a choisi de
remonter Passionnément, une comédie musicale
d’André Messager (1853-1929) interprétée voilà dix ans à
l’Opéra de Rennes avec des chanteurs différents. Belle idée que de
mettre une nouvelle fois à l’honneur le nom
de Messager, un compositeur de musique légère qui reste trop peu
connu du grand public, et ce malgré l’élégance de ses mélodies. Chef
d’orchestre admiré de ses contemporains (Debussy lui
confia la direction de la première de son unique opéra, Pelléas
et Mélisande), son renom l’amena à diriger le prestigieux Covent Garden de Londres sans pour autant négliger la composition.
Un vaudeville aux rebondissements incessants
Si Fortunio et Véronique restent ses deux œuvres les plus fréquemment jouées, Passionnément bénéficie du savoir-faire incomparable du librettiste
Maurice Hennequin, à qui l’on doit notamment le Système Ribadier
écrit avec Feydeau, et du célèbre parolier Albert Willemetz (Dédé, Ta bouche, Félicie aussi, etc.).
Véritable vaudeville aux rebondissements
incessants, on retrouve les habituels thèmes de l’adultère qui
gangrène tous les couples, pour faire gagner au final l’amour véritable.
On y voit ainsi l’oisif Robert Perceval prêt à tout
pour séduire la belle Ketty, épouse du richissime homme d’affaires
américain William Stevenson. Déguisée en vieille dame sur les ordres de
son mari jaloux, Ketty tente d’éconduire par tous
les moyens ce trop entreprenant jeune Français.
Jacques Duparc modernise le texte en apportant des ajouts heureux,
telles ces nombreuses références à la mythique série télévisée Palace
aux IIe et IIIe actes. Sa propre
interprétation du majordome, tout en majesté dans ses lenteurs
(corporelle ou de débit) étudiées, apporte une fantaisie malicieuse dont
on se délecte à chaque apparition. On passera sur un
premier acte qui apparaît quelque peu poussif avec sa mise en
place de l’intrigue, tant les deux suivants sont un régal. Il faut dire
que le casting très homogène ici réuni semble prendre
beaucoup de plaisir dans la farce.
Étincelant pendant toute la représentation, Régis Mengus campe un
Robert Perceval tour à tour séducteur et amoureux, irrésistible de
fraîcheur et d’énergie. Mais c’est surtout sur le
plan vocal qu’il surclasse l’ensemble de ses partenaires, un cran
au-dessous. Voix ample, timbre apollinien, on se réjouit de le revoir
très vite dans ce répertoire qui lui va comme un
gant *. À ses côtés, la Ketty Stevenson de Catherine Dune compense
une certaine dureté d’émission par des qualités d’actrice hors pair, se
jouant aisément des pièges de son
double rôle. On retiendra aussi l’espiègle Chloé Chaume (Julia),
si drôle dans ses effronteries, tandis que Cécile Galois
(Hélène Le Barrois) impose un naturel confondant
dans le rôle de l’amante éconduite. Tout ce petit monde est mené
par un Emmanuel Trenque qui fait vivre le moindre rebondissement avec
une précision d’orfèvre dans la fosse. Sens du
rythme, élégance du phrasé, tout y est.
* Et pour lequel ce jeune chanteur possède une expérience certaine. Outre Véronique de Messager à l’Opéra de Saint-Étienne, il a participé ces dernières années aux productions de Pas sur la bouche (Maurice Yvain) et de la Veuve joyeuse (Franz Lehár).
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