Présenté en ce
moment à Strasbourg et en avril à Mulhouse, l’opéra « le Roi Arthus »
de Chausson nous plonge dans les
méandres d’un triangle amoureux sur fond de climat guerrier. Une
œuvre rare à découvrir dans une interprétation homogène de belle tenue.
Les Trois Coups se sont déjà plusieurs fois fait l’écho de la
programmation
audacieuse (1) de l’Opéra du Rhin, prestigieuse maison qui
n’hésite pas cette année encore à mettre en avant les œuvres rares
de Nino Rota (Aladin
et la lampe merveilleuse), John Adams (avec la création française en mai prochain de Doctor Atomic) ou Ernest Chausson. Si vous n’avez jamais entendu
parler du Roi Arthus, unique opéra du compositeur
français, rien d’étonnant puisque l’œuvre n’a pas été montée depuis des
décennies et n’a guère les faveurs du disque
– trois enregistrements existants, ce qui est bien maigre de nos
jours (2).
Élève de Massenet et Franck, Ernest Chausson (1855-1899) fait
partie de ces compositeurs trop tôt disparus, dont le souvenir ne
subsiste qu’à travers quelques œuvres telle la Symphonie
en si bémol majeur, op. 20, le Poème de l’amour et de la mer, op. 19 et surtout le Poème pour violon et orchestre,
op. 25, un des « tubes » du répertoire. Vivement influencé
par Wagner, cet intellectuel raffiné n’a eu de cesse de chercher sa voie
propre, une exigence parfois castratrice
qui explique la longue gestation de son opéra. Une période de
dix ans aura ainsi été nécessaire au compositeur qui écrit à la fois le
livret et la musique.
Wagner n’est pas loin
Créée en 1903 à titre posthume, l’œuvre évoque le Tristan und Isolde
de Wagner dont elle reprend les personnages en leur donnant des noms
légendaires celtes
(Tristan devenant ainsi Arthus, etc), mais s’en éloigne
sensiblement quant à l’histoire. Trônant parmi les chevaliers de
la Table ronde, le Roi Arthus félicite le
valeureux Lancelot, récent vainqueur sur le champ de bataille.
Mais si Lancelot se montre un loyal serviteur en ce domaine, il n’en va
pas de même dans les affaires privées où il file le
parfait amour avec la Reine Genièvre. Tandis qu’Arthus soupçonne
la trahison, les orages guerriers grondent autour des deux amants,
augmentant progressivement la tension.
Chausson construit un scénario habile qui s’intéresse autant au
code d’honneur des chevaliers qu’à la romance coupable, teintant son
message de références chrétiennes et d’une étonnante fin
d’opéra où triomphe l’affirmation de « l’idéal ». Des repères
moraux peu surprenants chez Chausson, mais qui ne sont guère exploités
par la mise en scène de Keith Warner. Le
Britannique choisit en effet de transposer l’action lors de la
Première Guerre mondiale, option nullement gênante pour la compréhension
de l’histoire, mais qui n’apporte pas grand-chose au-delà
de la résonance locale avec un conflit marquant pour le territoire
alsacien.
Warner a cependant l’heureuse idée d’animer les nombreux passages
orchestraux qui parcourent l’œuvre en faisant interpréter les
personnages au-delà de ce qu’indique le livret. Une initiative
qui permet de conserver un intérêt constant en début d’opéra, tant
l’œuvre gagne en profondeur au fur et à mesure de son déroulement. Il
est vrai que la longue gestation de l’opéra se ressent à
l’écoute dans l’évolution du style, le dernier acte s’avérant
ainsi nettement supérieur aux deux autres.
Des rôles périlleux
Les chanteurs eux-mêmes mettent un peu de temps à se chauffer,
particulièrement mis à rude épreuve par les nombreuses difficultés
vocales. Outre des passages de pleine voix
« wagnérienne », les interprètes se doivent de maîtriser un
parlé-chanté périlleux pour qui ne manie pas parfaitement la langue
française. En cet exercice, Elisabete Matos
(Genièvre) avale parfois quelques mots, tandis qu’Andrew Schroeder
(Arthus) se montre impeccable dans la diction, tout comme
Andrew Richards (Lancelot). Dans ce rôle, le ténor
américain démontre un beau tempérament d’acteur, parfois en
difficulté lorsqu’il faut pousser la voix.
On retiendra aussi un superlatif Nicolas Cavallier qui offre à
Merlin une dimension vocale luxueuse pour un aussi petit rôle. L’autre
grande satisfaction de la soirée vient de la fosse, où
le chef canadien Jacques Lacombe, spécialiste des compositeurs
oubliés (il a notamment enregistré l’opéra Colonel Chabert de
Hermann von Walthershausen,
chez C.P.O. en 2010), se montre attentif à ne pas couvrir les voix
tout en réduisant le rôle des cordes pour faire ressortir les
subtilités de l’orchestration. Assurément, un chef à
suivre.
À noter que l’Opéra national de Paris a d’ores et déjà annoncé une nouvelle production du Roi Arthus,
qui fera ainsi son entrée au répertoire de la grande maison. Il
faudra attendre juin 2015 pour découvrir rien moins que
Sophie Koch, Thomas Hampson et Roberto Alagna dans les trois rôles
principaux.
(1) Voir notamment le Son lointain de Schreker et Owen Wingrave de Britten.
(2) Si la crise des ventes de disques est bien réelle, il ne faut pas oublier que la production de disques n’a jamais été aussi importante.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire