jeudi 24 mars 2016

« La Juive » de Jacques Fromental Halévy - Opéra de Lyon - Olivier Py - 19/03/2016

Parmi la vingtaine d’ouvrages composés par Jacques Fromental Halevy (1799-1862) au cours de sa carrière, seule La Juive conserve de nos jours une certaine audience, relancée voilà quelques années à Vienne et à Paris après de longues décennies d’absence sur les planches. Si Cecilia Bartoli avait réussi en 2008 à faire revivre Clari, le tout premier essai lyrique d’Halévy écrit en 1828 pour la Malibran, c’est bien son plus célèbre opéra que l’on retrouve aujourd’hui à Lyon dans le cadre du festival pour l’Humanité. Organisé tous les ans à la même période dans la capitale des Gaules, ce festival d’opéras nous plonge cette fois dans les affres du XXe siècle et de la tourmente nazie, que ce soit autour de la création de Michel Tabachnik (ancien directeur musical du Philharmonique de Bruxelles) ou des ouvrages de Viktor Ullmann (1898-1944) et Hans Krása (1899-1944), deux musiciens gazés à Auschwitz.

Composée en 1835, La Juive annonce l’Holocauste par bien des aspects, en traitant de l’intolérance religieuse et de l’aveuglement individuel et collectif: un sujet qui avait déjà capté l’attention d’Olivier Py en 2007-2008 (à Bruxelles puis Strasbourg) lors de l’exhumation du grand opéra emblématique de Meyerbeer, Les Huguenots, contemporain de La Juive et dû lui aussi à la plume d’Eugène Scribe.


D’emblée, on reconnaît immanquablement le style d’Olivier Py, avec sa propension pour les ambiances sombres parsemées de clairs-obscurs, de contrejours, de contrastes entre noir et blanc, sans parler du rouge vif accordé aux désirs de séduction incarnés par la princesse Eudoxie. Outre le plateau tournant et les gradins, on retrouve les inévitables échafaudages métalliques, ici en forme de mirador pour évoquer le camp de concentration auquel les descendants des deux héros ne sauraient échapper. Tout, dans le décor, semble annoncer cette terrible prophétie, de l’ombre inquiétante des arbres décharnés qui se balancent inlassablement à cette immense bibliothèque en forme de symbole du savoir balayé par la barbarie. Mais l’image la plus forte n’est-elle pas le fracas provoqué par ces centaines de chaussures lâchées du plafond comme autant de trophées arrachés aux gazés des camps? Dans un silence effroyable, le public sonné retient son souffle avant la reprise de la musique.

Pour autant, Py n’ancre pas sa transposition dans une temporalité donnée: les sobres costumes des forces de l’ordre évoquent ainsi une société totalitaire qui ne saurait se limiter à la seule époque nazie. Le péril noir rôde toujours, ce que Py nous rappelle par l’insistance d’une foule ivre de sa haine face aux étrangers et prête à se livrer à ses pires instincts. Tout en faisant résonner le livret avec l’actualité contemporaine, Py apporte un soin constant à la direction d’acteurs, pivot de son travail depuis de longues années, apportant davantage de cohérence dramatique au livret. On citera par exemple l’insistance sur la faiblesse de Léopold, jouet du désir féminin. C’est là, une fois encore, l’un des grands points forts du metteur en scène français. Mais pour réussir à monter La Juive, encore faut-il s’assurer de réunir un plateau vocal à la hauteur des cinq grand rôles exigeants que requiert la partition. Si celle-ci a été réduite d’une heure environ, comme il est d’usage, les quelque trois heures que durent l’opéra n’en restent pas moins un défi pour les interprètes.


On reste ici bluffé de la parfaite cohérence de la distribution réunie, impressionnante de diction et d’articulation du français – même si les femmes dominent. Ainsi de Rachel Harnisch, idéale de velouté et de souplesse malgré une propension à se laisser couvrir par ses partenaires, tandis que Sabina Puértolas impose une princesse Eudoxie radieuse et éloquente, d’un beau tempérament. A ses côtés, Enea Scala met un peu de temps à se chauffer, desservi par une émission étroite dans l’aigu, avant de convaincre davantage en seconde partie. C’est aussi le cas de Nikolai Schukoff (Eléazar), souvent en délicatesse dans le chant aigu en puissance, mais heureusement plus séduisant dans l’expression dramatique. Le cas de Roberto Scandiuzzi (le cardinal de Brogni) est plus problématique: tout simplement irrésistible dans la déclamation, portée par une attention aux nuances et un timbre grave superbe, plus décevant dans les difficultés techniques des accélérations, à la limite de la justesse. Enfin, Vincent Le Texier (Ruggiero) assure bien sa partie malgré un timbre un rien trop rêche.

Si les chœurs affichent une belle cohésion, on est moins séduit par un inégal Daniele Rustioni (né en 1983), certes vigoureux et tranchant, mais qui a du mal à faire ressortir la transparence et l’élégance d’une orchestration bien française. L’actuel chef permanent de l’Opéra de Lyon nous avait ainsi semblé plus à l’aise dans les beautés vénéneuses du Simon Boccanegra monté ici-même voilà deux ans. Gageons qu’il saura se rattraper au cours de la prochaine saison lyonnaise, qui s’annonce d’ores et déjà passionnante autour de nombreuses raretés exhumées. Ainsi d’Une nuit à Venise de Johann Strauss ou de Jeanne au bûcher d’Honegger, sans parler d’un Viva la Mamma de Donizetti réglé par Laurent Pelly. Surtout, l’ouverture de saison mettra en valeur l’un des chefs-d’œuvre méconnu de Prokofiev, L’Ange de feu, dans la très belle production du Komische Oper de Berlin reprise récemment. Autant de grands rendez-vous excitants à ne pas manquer!

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